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Au moment où Gruna prononçait ces mots, un éclair déchira le ciel et un coup de tonnerre fit vibrer les fondations du château. On eût dit que les vieilles murailles allaient s'effondrer d'un instant à l'autre. Une odeur de fumée âcre et soufrée s'éleva, comme si les entrailles de la terre venaient de libérer le diable. C'était donc cela, le mystère du château de Layenfels ! Malberg restait comme pétrifié. Ce que Gruna et Dulazek venaient d'expliquer avec des mots simples sentait suffisamment le soufre pour ébranler le monde et pour inaugurer une ère nouvelle.

- Et pourquoi me racontez-vous tout cela ? balbutia-t-il, désappointé. Je suis un étranger pour vous, je ne suis même pas membre de votre confrérie !

- C'est bien la raison pour laquelle nous vous mettons au courant ! s'exclama Gruna. Comme vous avez déjà pu le remarquer, ce château est un nid de vipères. Mais s'il y en a bien un que tous haïssent, c'est Murath.

- Nous voulons être francs avec vous, reprit le docteur Dulazek. Jusqu'à présent, nous avons réussi à saboter les résultats des recherches de Murath. Nous avons faussé tous ses échantillons en y mélangeant du sang de pigeon. Murath n'aura guère plus de chance avec le nouvel échantillon d'étoffe. Il va découvrir cette nuit que sa dernière tentative a également échoué. Nous nous en sommes chargés, dit-il, son visage s'éclairant d'un sourire radieux. Il va devenir fou ! Mais, tôt ou tard, Murath risque de découvrir nos agissements. Lorsque vous aurez décrypté le livre de Mendel, qui confirmerait l'hypothèse du professeur, il comprendra. Nous sommes prêts à accorder ce succès à n'importe qui, mais pas à Murath ! Nous avons donc pensé que vous pourriez peut-être...

Il n'alla pas plus loin. Le ciel se zébra à nouveau d'éclairs. L'instant d'après, un violent coup de tonnerre retentissait.

Les trois hommes rentrèrent la tête dans les épaules et se précipitèrent vers l'escalier. Une rafale de vent arracha la porte en bois que Gruna maintenait.

Elle vint heurter de plein fouet la tempe droite de Malberg qui s'effondra sur la dalle de pierre.

Il revint à lui quelques instants plus tard, à l'abri dans la cage d'escalier. De grosses gouttes de pluie cinglaient les tuiles. Il aperçut les visages inquiets de Gruna et de Dulazek, qui étaient penchés sur lui.

- Vous m'entendez ? cria Gruna à plusieurs reprises comme si Malberg était encore complètement inconscient.

- Oui, répondit Malberg avec hésitation.

Il lui fallut un long moment pour réaliser qu'il n'avait pas rêvé la conversation qui lui revenait progressivement en mémoire.

59

La tempête et la pluie, les éclairs et le tonnerre durèrent tout le jour. Le temps ne se calma qu'à la tombée de la nuit, au moment où Malberg se dirigeait vers les archives.

Toute la journée, Malberg avait passé en revue les événements des dernières semaines, à la lumière des informations que lui avaient fournies Gruna et Dulazek. Et il comprenait enfin pourquoi le minuscule bout de lin découpé dans le linceul de Turin que Gueule-brûlée lui avait proposé d'acheter avait une telle valeur marchande. Il savait aussi désormais pourquoi Anicet était prêt à payer une somme faramineuse pour le livre de Gregor Mendel qu'on avait cru à jamais disparu.

Mendel, le père de la génétique, s'était penché sur le même problème que celui qui préoccupait actuellement Murath.

Mais il fallait bien convenir qu'un étrange hasard avait amené Anicet, comme Mendel, à se servir de la même phrase de l'Apocalypse de saint Jean, chapitre 20, verset 7.

Quoi qu'il en soit, cette phrase illustrait aussi bien les projets de l'un que ceux de l'autre.

Quand les mille ans seront accomplis,

Satan sera relâché de sa prison.

Le moine bénédictin Gregor Mendel avait eu l'intuition qu'il serait un jour possible d'éliminer le gène de la foi de la mémoire génétique de l'homme.

Anicet, en revanche, savait, après avoir eu vent des résultats des recherches de Murath, que l'hypothèse était plausible.

C'est ce qui l'avait amené à choisir cette phrase comme code secret. Grâce aux recherches de Murath, Satan serait véritablement relâché de sa prison. La vengeance, dirigée contre l'Église romaine avec laquelle Anicet avait un compte à régler, serait terrible.

Il restait cependant une chose que Malberg n'était pas parvenu à élucider, en dépit de toutes ses réflexions : pourquoi Marlène détenait-elle cette croix ? Les circonstances de sa mort avaient été suffisamment éclaircies. Mais Malberg se demandait comment le médaillon avait atterri dans l'appartement de la jeune femme. Quelqu'un l'y avait-il perdu ? Il ne pouvait appartenir à Marlène, puisque la confrérie ne comptait pas de femmes. Parviendrait-il jamais à trouver la solution de cette dernière énigme ?

Marlène !

Penché sur le livre de Mendel dont les pages lui renvoyaient dans les yeux la lumière crue des néons, Malberg réfléchissait à la question. Il était presque ébloui. Et si Anicet l'avait attiré dans un piège ?

Mais dans quelle intention ? Non, tout cela n'avait aucun sens. Levant les yeux, Malberg se retrouva face à Marlène. Elle était là, devant lui, dans un accoutrement tout à fait inhabituel.

Elle portait un treillis de camouflage. Les boutons du haut de sa veste n'étaient pas fermés et laissaient voir la naissance de ses seins. Elle avait ramené ses longs cheveux noirs en chignon. Elle n'était pas maquillée, ce qui n'enlevait rien à son charme.

Malberg s'aperçut soudain que les mains de la jeune femme étaient crispées autour de la crosse d'un revolver de gros calibre ; elle était à moins de six mètres de lui et leva lentement l'arme pour la pointer exactement sur sa poitrine.

Malberg ne put réprimer un petit rire. Mais c'était plutôt un rire de désespoir. La tension à laquelle il avait été soumis ces derniers jours avait probablement faussé ses perceptions.

Plusieurs fois déjà, il avait été victime d'hallucinations de ce genre. De tels phénomènes n'avaient rien de rare chez des sujets imaginatifs.

Malberg se frotta les yeux pour revenir à la réalité. Mais l'apparition ne disparaissait pas.

- Marlène ? demanda Malberg à mi-voix.

- Lève-toi ! répondit la femme d'une voix grave et sourde.

Aucun doute possible, c'était sa voix. Malberg la fixa sans comprendre.

- Marlène ! Mais tu es...

- Morte ? Comme tu le vois, je suis vivante ! ricana-t-elle en agitant le revolver. Mais vas-tu donc lever ton cul !

Malberg voulut dire quelque chose, mais la voix lui manqua. Il s'exécuta sans un mot, pâle comme un linge. Il se mit debout et leva lentement les bras.

Marlène, ou la femme qui se faisait passer pour Marlène, passa derrière Malberg et lui appuya le canon du revolver dans le dos. Cela fait une drôle d'impression, même si ce n'est pas une première pour moi, songea Malberg. C'était effectivement la deuxième fois en peu de temps que quelqu'un lui enfonçait une arme dans les côtes.