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– Est-ce que vous êtes de ma Société, me demanda-t-il, la Société des Servantes de Jésus?…

– Non, Monsieur…

– Il faut en être… c’est indispensable… Je vais vous inscrire…

– Merci, Monsieur… Puis-je demander à Monsieur ce que c’est que cette Société?

– Une Société admirable, qui recueille et éduque chrétiennement les filles-mères…

– Mais, Monsieur, je ne suis pas une fille-mère…

– Ça ne fait rien… Il y a aussi les femmes qui sortent de prison… il y a les prostituées repenties… il y a un peu de tout… Je vais vous inscrire…

Il retira de sa poche des journaux soigneusement pliés et me les tendit.

– Cachez ça… lisez ça… quand vous serez seule… C’est très curieux…

Et il me prit le menton, disant avec un léger claquement de langue:

– Hé mais!… elle est drôlette, cette petite, elle est ma foi, très drôlette…

Quand Monsieur fut parti, je regardai les journaux qu’il m’avait laissés. C’était le Fin de siècle… le Rigolo… les Petites femmes de Paris. Des saletés, quoi!

Ah! les bourgeois! Quelle comédie éternelle! J’en ai vu et des plus différents. Ils sont tous pareils… Ainsi, j’ai servi chez un député républicain. Celui-là passait son temps à déblatérer contre les prêtres… Un crâneur, fallait voir!… Il ne voulait pas entendre parler de la religion, du pape, des bonnes sœurs… Si on l’avait écouté, on eût renversé toutes les églises, fait sauter tous les couvents… Eh bien, le dimanche, il allait à la messe, en cachette, dans des paroisses éloignées… Au moindre bobo, il faisait appeler les curés, et tous ses enfants étaient élevés chez les jésuites. Jamais, il ne consentit à revoir son frère qui avait refusé de se marier à l’église. Tous hypocrites, tous lâches, tous dégoûtants, chacun dans leur genre…

Madame de Tarves avait des œuvres, elle aussi; elle aussi présidait des comités religieux, des sociétés de bienfaisance, organisait des ventes de charité. C’est-à-dire qu’elle n’était jamais chez elle; et la maison allait comme elle pouvait… Très souvent, Madame rentrait en retard, venant le diable sait d’où, par exemple, ses dessous défaits, le corps tout imprégné d’une odeur qui n’était pas la sienne. Ah! je les connaissais, ces rentrées-là; elles m’avaient tout de suite appris le genre d’œuvres auxquelles se livrait Madame, et qu’il se passait de drôles de mic-macs dans ses comités… Mais elle était gentille avec moi. Jamais un mot brusque, jamais un reproche. Au contraire… Elle se montrait familière, presque camarade, au point que, parfois, oubliant, elle sa dignité, moi mon respect, nous disions ensemble des bêtises et de raides… Elle me donnait des conseils pour l’arrangement de mes petites affaires, encourageait mes goûts de coquetterie, m’inondait de glycérine, de peau d’Espagne, m’enduisait les bras de cold-cream, me saupoudrait de poudre de riz. Et, durant ces opérations, elle répétait:

– Voyez-vous, Mary… il faut qu’une femme soit bien tenue… qu’elle ait la peau blanche et douce. Vous avez une jolie figure, il faut savoir l’entourer… Vous avez un très beau buste… il faut le faire valoir… Vos jambes sont superbes… il faut pouvoir les montrer… C’est plus convenable…

J’étais contente. Pourtant, au fond de moi, une inquiétude, d’obscurs soupçons demeuraient. Je ne pouvais oublier les histoires surprenantes que l’on me racontait à l’office. Quand j’y faisais l’éloge de Madame et que j’énumérais ses bontés pour moi…

– Oui… oui… disait la cuisinière, allez toujours… C’est la fin qu’il faut voir. Ce qu’elle veut, c’est que vous couchiez avec son fils… pour que ça le retienne davantage, à la maison… et que ça leur coûte moins d’argent, à ces grigous… Elle a déjà essayé avec d’autres, allez!… Elle a même attiré des amies chez elle… des femmes mariées… des jeunes filles… oui, des jeunes filles… la salope!… Seulement, M. Xavier n’y coupe pas… il aime mieux les cocottes, cet enfant… vous verrez… vous verrez…

Et, elle ajoutait, avec une sorte de regret haineux:

– Moi, à votre place… ce que je les ferais casquer!… Je me gênerais, peut-être.

Ces paroles me rendaient un peu honteuse vis-à-vis des camarades de l’office. Mais, pour me rassurer, j’aimais mieux croire que la cuisinière fût jalouse de l’évidente préférence que Madame me marquait.

J’allais, tous les matins, à neuf heures, ouvrir les rideaux et porter le thé chez M. Xavier… C’est drôle… j’entrais toujours dans sa chambre, avec un battement au cœur, une forte appréhension. Il fut longtemps, sans faire attention à moi. Je tournais de ci… je tournais de là… préparais ses affaires, sa toilette, m’efforçant à paraître gentille et dans tout mon avantage. Lui ne m’adressait la parole que pour se plaindre, d’une voix grincheuse et mal réveillée, qu’on le dérangeât trop tôt… Je fus dépitée de cette indifférence et je redoublai de coquetteries silencieuses et choisies. Je m’attendais chaque jour à quelque chose qui n’arrivait pas, et ce mutisme de M. Xavier, ce dédain pour ma personne, m’irritaient au plus haut point. Qu’aurais-je fait, si cela que j’attendais fût arrivé?… Je ne me le demandais pas… Ce que je voulais, c’est que cela arrivât…

M. Xavier était réellement un très joli garçon, plus joli encore que ne le montrait sa photographie. Une légère moustache blonde – deux petits arcs d’or – dessinait, mieux que sur son portrait, ses lèvres dont la pulpe rouge et charnue appelait le baiser. Ses yeux d’un bleu clair, pailleté de jaune, avaient une fascination étrange, ses mouvements, une indolence, une grâce lasse et cruelle de fille ou de jeune fauve. Il était grand, élancé, très souple, d’une élégance ultra-moderne, d’une séduction puissante par tout ce qu’on sentait en lui de cynique et de corrompu. Outre qu’il m’avait plu dès le premier jour, et que je le désirais pour lui-même, sa résistance ou plutôt son indifférence fit que ce désir devint, bien vite, plus que du désir, de l’amour.

Un matin, je trouvai M. Xavier réveillé, hors du lit, les jambes nues. Il avait, je me souviens, une chemise de soie blanche à pois bleus… Un de ses talons portant sur le rebord du lit, l’autre posé sur le tapis, il en résultait une attitude, entièrement révélatrice, qui n’était pas des plus décentes. Pudiquement, je voulus me retirer… mais il me rappela:

– Eh bien… quoi?… Entre donc… Est-ce que je te fais peur?… Tu n’as donc jamais vu un homme?

Il ramena, sur son genou levé, un pan de sa chemise, et les deux mains croisées sur sa jambe, le corps balancé, il m’examina longuement, effrontément, pendant que, avec des mouvements harmonieux et lents, et rougissant un peu, je déposais le plateau sur la petite table, près de la cheminée. Et comme s’il me voyait réellement, pour la première fois:

– Mais tu es une très chic fille… me dit-il… Depuis combien de temps es-tu donc ici?

– Depuis trois semaines, Monsieur.

– Ça, c’est épatant!…

– Qu’est-ce qui est épatant, Monsieur?

– Ce qui est épatant, c’est que je n’aie pas encore remarqué que tu fusses une si belle fille…

Il étira ses deux jambes, les allongea vers le tapis… se donna une claque sur les cuisses, qu’il avait blanches et rondes, aussi rondes et aussi blanches que des cuisses de femme…