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– Viens ici!… fit-il…

Je m’approchai un peu tremblante. Sans une parole, il me prit par la taille, me renifla, me força à m’asseoir près de lui, sur le rebord du lit…

– Oh! monsieur Xavier!… soupirai-je, en me débattant mollement… Finissez… je vous en prie… Si vos parents vous voyaient?

Mais, il se mit à rire:

– Mes parents… Oh! tu sais… mes parents… j’en ai soupé…

C’était un mot qu’il avait comme ça. Quand on lui demandait quelque chose, il répondait: «J’en ai soupé.» Et il avait soupé de tout…

Afin de retarder un peu le moment de la suprême attaque, car ses mains sur mon corsage devenaient impatientes, envahissantes, je questionnai:

– Il y a une chose qui m’intrigue, monsieur Xavier… Comment se fait-il qu’on ne vous voie jamais aux dîners de Madame?

– Tu ne voudrais pas, mon chou… Ah! non, tu sais… ils me rasent les dîners de Madame.

– Et comment se fait-il, insistai-je, que votre chambre soit la seule pièce de la maison où il n’y ait pas de portrait du pape?

Cette observation le flatta… Il répondit:

– Mais, mon petit bébé, je suis anarchiste, moi… La religion… les jésuites… les curés… Ah! non… je les ai assez vus… J’en ai soupé… Une société composée de gens comme papa et comme maman?… Ah! tu sais… N’en faut plus!…

Maintenant, je me sentais à l’aise avec M. Xavier… en qui je retrouvais, avec les mêmes vices, l’accent traînant des voyous de Paris… Il me semblait que je le connaissais depuis des années et des années. À son tour, il m’interrogea:

– Dis-moi?… Est-ce que tu marches avec papa…?

– Votre père… m’écriai-je… simulant d’être scandalisée… Ah! monsieur Xavier… un si saint homme!

Son rire redoubla, éclata tout à fait:

– Papa!… ah! papa!… Mais il couche avec toutes les bonnes, ici, papa… C’est sa toquade, les bonnes. Il n’y a plus que les bonnes qui l’excitent. Alors, tu n’as pas encore marché avec papa?… Tu m’épates…

– Ah! non, répliquai-je… riant, moi aussi… Seulement, il m’apporte le Fin de Siècle… le Rigolo… les Petites Femmes de Paris

Cela le mit en délire de joie, et pouffant davantage:

– Papa… s’écria-t-il… non… il est épatant, papa!…

Et, lancé, désormais, il débita sur un ton comique:

– C’est comme maman… Hier, elle m’a encore fait une scène… Je la déshonore, elle et papa… Ainsi, tu crois?… Et la religion, et la société… et tout!… C’est tordant… Alors je lui ai déclaré: «Ma petite mère chérie, c’est entendu… je me rangerai… le jour où tu auras renoncé à avoir des amants…» Tapé, hein?… Ça l’a fait taire… Ah! non, tu sais… ils m’assomment, mes auteurs… J’en ai soupé de leurs histoires… À propos… tu connais bien Fumeau?

– Non, monsieur Xavier.

– Mais si… mais si… Anthime Fumeau?

– Je vous assure.

– Un gros… tout jeune… très rouge de figure… ultra-chic… les plus beaux attelages de Paris?… Fumeau… voyons trois millions de rente… Tartelette Cabri?… Mais si, tu le connais…

– Puisque je ne le connais pas.

– Tu m’épates!… Tout le monde le connaît, voyons… Le biscuit Fumeau, ah?… Celui qui a eu son conseil judiciaire, il y a deux mois?… Y es-tu?

– Pas du tout, je vous jure, monsieur Xavier.

– N’importe, petite dinde!… Eh bien, j’en ai fait une bonne avec Fumeau, l’année dernière… une très bonne… Devine quoi?… Tu ne devines pas?

– Comment voulez-vous que je devine, puisque je ne le connais pas?…

– Eh bien, voilà, mon petit bébé… Fumeau, je l’ai mis avec ma mère… Parole!… C’était trouvé, hein?… Et le plus drôle, c’est que maman, en deux mois, a fait casquer Fumeau de trois cent mille balles… Et papa donc, pour ses œuvres!… Ah! ils ont le truc!… Ils la connaissent!… Sans ça, la maison sautait. On était à bout de dettes… Les curés eux-mêmes ne voulaient plus rien savoir… Qu’est-ce que tu dis de ça, toi?

– Je dis, monsieur Xavier, que vous avez une drôle de façon de traiter la famille.

– Que veux-tu? mon chou… je suis anarchiste, moi… La famille, j’en ai soupé…

Pendant ce temps-là, il avait dégrafé mon corsage, un ancien corsage de Madame qui me seyait à ravir…

– Oh! monsieur Xavier… monsieur Xavier… vous êtes une petite canaille… C’est très mal.

J’essayais, pour la forme, de me défendre. Tout à coup, il mit, doucement, sa main sur ma bouche:

– Tais-toi! fit-il.

Et me renversant sur le lit:

– Oh! comme tu sens bon! chuchota-t-il… Petite putain, tu sens maman…

Ce matin-là, Madame fut particulièrement gentille avec moi…

– Je suis très contente de votre service, me dit-elle… Mary, je vous augmente de dix francs.

– Si, chaque fois, elle m’augmente de dix francs?… songeai-je… Alors, ça va bien… C’est plus convenable…

Ah! quand je pense à tout cela… Moi aussi, j’en ai soupé…

La passion ou plutôt la toquade de M. Xavier ne dura pas longtemps. Il eut vite «soupé de moi». Pas une minute, du reste, je n’avais eu le pouvoir de le retenir à la maison. Plusieurs fois, en entrant dans sa chambre, le matin, je trouvai la couverture intacte et le lit vide. M. Xavier n’était pas rentré de la nuit. La cuisinière le connaissait bien et elle avait dit vrai: «Il aime mieux les cocottes, cet enfant…» Il allait à ses habitudes, à ses plaisirs coutumiers, à ses noces, comme auparavant… Ces matins-là, j’éprouvais au cœur un serrement douloureux, et, toute la journée, j’étais triste, triste!…

Le malheur, en tout cela, est que M. Xavier n’avait point de sentiment… Il n’était pas poétique comme M. Georges. En dehors de «la chose», je n’existais pas pour lui, et «la chose» faite… va te promener… il ne m’accordait plus la moindre attention. Jamais il ne m’adressa une parole émue, gentille, comme en ont les amoureux dans les livres et dans les drames. D’ailleurs il n’aimait rien de ce que j’aimais… il n’aimait pas les fleurs, à l’exception des gros œillets dont il parait la boutonnière de son habit… C’est si bon, pourtant, de ne pas toujours penser à la bagatelle, de se murmurer des choses qui caressent le cœur, d’échanger des baisers désintéressés, de se regarder, durant des éternités, dans les yeux… Mais les hommes sont des êtres trop grossiers… ils ne sentent pas ces joies-là… ces joies si pures et si bleues… Et c’est grand dommage… M. Xavier, lui, ne connaissait que le vice, ne trouvait de plaisir que dans la débauche… En amour, tout ce qui n’était pas vice et débauche le rasait.

– Ah! non… tu sais… c’est rasant… J’en ai soupé de la poésie… La petite fleur bleue… faut laisser ça à papa…

Quand il s’était assouvi, je redevenais instantanément la créature impersonnelle, la domestique à qui il donnait des ordres et qu’il rudoyait de son autorité de maître, de sa blague cynique de gamin. Je passais sans transition de l’état de bête d’amour à l’état de bête de servage… Et il me disait souvent, avec un rire du coin de la bouche, un affreux rire en scie qui me froissait, m’humiliait: