Выбрать главу

Mais Robert, usant de son ascendant, eut vite fait de rouler comme poisson en pâte ce compétiteur possible.

— Tu auras cette Navarre qui t’est due, mon bon neveu, aussitôt que mon beau-frère Valois sera régent. J’en fais une affaire de famille, que j’ai posée en condition à Philippe pour lui porter mon appui. Roi de Navarre tu vas être! C’est une couronne qui n’est pas à dédaigner et que je te conseille, pour ma part, de te mettre au plus tôt sur la tête, avant qu’on ne te la vienne discuter. Car, parlons bas, la petite Jeanne, ton épouse, serait mieux assurée de son droit si sa mère avait eu la cuisse moins folâtre! Dans cette grande ruée qui va se faire, il faut te ménager des soutiens: tu as le nôtre. Et ne t’avise pas d’écouter ton oncle de Bourgogne; il ne te conduira, pour son propre service, qu’à commettre des sottises. Philippe régent, fonde-toi là-dessus!

Ainsi, moyennent l’abandon définitif de la Navarre, Philippe de Valois disposait déjà, outre la sienne propre, de deux voix.

Louis de Bourbon venait d’être créé duc quelques semaines auparavant en même temps qu’il avait reçu en apanage le comté de la Marche.[3] Il était l’aîné de la famille. Dans le cas d’une trop grande confusion autour de la régence, sa qualité de petit-fils de Saint Louis pouvait lui servir à rallier plusieurs suffrages. Sa décision, de toute manière, pèserait sur le Conseil des pairs. Or ce boiteux était lâche. Entrer en rivalité avec le puissant parti Valois eût été une entreprise digne d’un homme de plus de courage. En outre, son fils avait épousé une sœur de Philippe de Valois.

Robert laissa comprendre à Louis de Bourbon que plus vite il se rallierait, plus vite lui seraient garantis les avantages en terres et en titres qu’il avait accumulés au cours du règne précédent. Trois voix.

Le duc de Bretagne, à peine arrivé de Vannes, et ses coffres pas encore déballés, vit Robert d’Artois se dresser en son hôtel.

— Nous appuyons Philippe, n’est-ce pas? Tu es bien d’accord… Avec Philippe, si pieux, si loyal, nous sommes certains d’avoir un bon roi… je veux dire un bon régent.

Jean de Bretagne ne pouvait que se déclarer pour Philippe de Valois. N’avait-il pas épousé une sœur de Philippe, Isabelle, morte à l’âge de huit ans il est vrai, mais les liens d’affection n’en subsistaient pas moins. Robert, pour renforcer sa démarche, avait amené sa mère, Blanche de Bretagne, consanguine du duc, toute vieille, toute petite, toute ridée, et parfaitement dénuée de pensée politique, mais qui opinait à tout ce que voulait son géant de fils. Or Jean de Bretagne s’occupait davantage des affaires de son duché que de celles de France. Eh bien! oui, Philippe, pourquoi pas, puisque tout le monde semblait si empressé à le désigner!

Cela devenait en quelque sorte la campagne des beaux-frères. On appela en renfort Guy de Châtillon, comte de Blois, qui n’était nullement pair, et même le comte Guillaume de Hainaut, simplement parce qu’ils avaient épousé deux autres sœurs de Philippe. Le grand parentage Valois commençait à apparaître déjà comme la vraie famille de France.

Guillaume de Hainaut mariait en ce moment sa fille au jeune roi d’Angleterre; soit, on n’y voyait pas d’obstacle, et même on y trouverait peut-être un jour des avantages. Mais il avait été bien avisé de se faire représenter aux noces par son frère Jean plutôt que de s’y rendre lui-même, car c’était ici, à Paris, qu’allaient se produire les événements importants. Guillaume le Bon ne souhaitait-il pas depuis longtemps que la terre de Blaton, patrimoine de la couronne de France, enclavée dans ses États, lui fût cédée? On lui donnerait Blaton, pour presque rien, un rachat symbolique, si Philippe occupait la régence.

Quant à Guy de Blois, il était l’un des derniers barons à avoir conservé le droit de battre monnaie. Malheureusement, et malgré ce droit, il manquait d’argent, et les dettes l’étranglaient.

— Guy, mon aimé parent, ton droit de battage te sera racheté. Ce sera notre premier soin.

Robert, en peu de jours, avait accompli un solide travail.

— Tu vois, Philippe, tu vois, disait-il à son candidat, combien les mariages arrangés par ton père nous aident à présent. On dit qu’abondance de filles est grand-peine pour les familles; ce sage homme, que Dieu l’ait en sa garde, a bien su se servir de toutes tes sœurs.

— Oui, mais il faudra achever de payer les dots, répondait Philippe. Plusieurs n’ont été versées qu’au quart…

— À commencer par celle de la chère Jeanne, mon épouse, rappelait Robert d’Artois. Mais dès lors que nous aurons tout pouvoir sur le Trésor…

Plus difficile à rallier fut le comte de Flandre, Louis de Crécy et de Nevers. Car lui n’était pas un beau-frère et demandait autre chose qu’une terre ou de l’argent. Il voulait la reconquête de son comté dont ses sujets l’avaient chassé. Pour le convaincre, il fallut lui promettre une guerre.

— Louis, mon cousin, Flandre vous sera rendue, et par les armes, nous vous en faisons serment!

Là-dessus, Robert, qui pensait à tout, de courir de nouveau à Vincennes pour presser Charles IV de parfaire son testament.

Charles n’était plus qu’une ombre de roi, crachant ce qui lui restait de poumons.

Or, tout moribond qu’il fût, il se souvint à ce moment-là du projet de croisade que son oncle Charles de Valois lui avait naguère mis en tête. Projet d’année en année différé; les subsides de l’Église avaient été employés à d’autres fins; et puis Charles de Valois était mort… Dans le mal qui le détruisait, Charles IV ne devait-il pas reconnaître un châtiment pour cette promesse non tenue, ce vœu non accompli? Le sang de poitrine dont il tachait ses draps lui rappelait la croix rouge qu’il n’avait pas cousue sur son manteau.

Alors, dans l’espérance d’amadouer le Ciel et de négocier quelque survie, il fit ajouter à son testament ses volontés concernant la Terre sainte… «Car mon intention est d’y aller de mon vivant, dicta-t-il, et, si de mon vivant ne se peut, que cinquante mille livres soient données au premier passage général qui se fera.»

On ne lui en demandait pas tant, ni de grever d’une semblable hypothèque la fortune royale dont on avait besoin pour de plus pressants usages. Robert enrageait. Ce niais de Charles, jusqu’au bout, aurait de ces sots entêtements!

On lui demandait simplement de léguer trois mille livres au chancelier Jean de Cherchemont, autant au maréchal de Trye et à messire Miles de Noyers, président de la Chambre aux Comptes, pour leurs loyaux services rendus à la couronne… et parce que leurs fonctions les faisaient siéger de droit au Conseil des pairs.

— Et le connétable? murmura le roi agonisant.

Robert haussa les épaules. Le connétable Gaucher de Châtillon avait soixante-dix-huit ans, il était sourd comme une marmite, et possédait des biens à ne savoir qu’en faire. Ce n’était pas à son âge que se développait l’appétit de l’or! On raya le connétable.

En revanche, Robert, avec beaucoup d’attention, aida Charles IV à composer la liste des exécuteurs testamentaires, car cette liste constituait comme un ordre de préséance parmi les grands du royaume: le comte Philippe de Valois en tête, le comte Philippe d’Évreux, et puis lui-même, Robert d’Artois, comte de Beaumont-le-Roger.

Cela fait, on s’occupa de rallier les pairs ecclésiastiques.

Guillaume de Trye, duc-archevêque de Reims, avait été précepteur de Philippe de Valois; et puis Robert venait de faire coucher son frère, le maréchal, sur le testament royal, pour trois mille livres qu’on sut rendre tintantes. On n’aurait pas de mécomptes de ce côté-là.

вернуться

3

Par un traité conclu à la fin de 1327, Charles IV avait échangé le comté de la Marche, constituant précédemment son fief d’apanage, contre le comté de Clermont en Beauvaisis que Louis de Bourbon avait hérité de son père, Robert de Clermont. C’est à cette occasion que la seigneurie de Bourbon avait été élevée en duché.