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— Mais si femme ne peut régner, à plus forte raison ne peut-elle transmettre! dit Philippe de Valois.

— Et pourquoi, Monseigneur? Les rois en France ne naissent donc point de femme?

Cette riposte amena un sourire sur quelques visages. Le grand Philippe se trouvait cloué. Après tout il n’avait pas tort, le petit évêque anglais! La fameuse coutume invoquée à la succession de Louis X était muette là-dessus. Et, en bonne logique, puisque trois frères à la suite avaient régné, sans produire de garçons, le pouvoir ne devait-il pas revenir au fils de la sœur survivante, plutôt qu’à un cousin?

Le comte de Hainaut, tout acquis à Valois jusque-là, réfléchissait, voyant se dessiner soudain pour sa fille un avenir inattendu.

Le vieux connétable Gaucher, les paupières plissées comme celles d’une tortue et la main en cornet autour de l’oreille, demandait à son voisin Miles de Noyers:

— Quoi? Que dit-on?

Le tour trop compliqué du débat l’irritait. Sur la question de la succession des femmes, il avait son opinion invariable depuis douze ans. La loi des mâles, en vérité, c’était lui qui l’avait proclamée en ralliant les pairs autour de sa formule fameuse: «Les lis ne filent pas la laine; et France est trop noble royaume pour être à femelle remis.»

Orleton poursuivait, cherchant à se rendre émouvant. Il invitait les pairs à considérer une occasion, que les siècles peut-être n’offriraient plus jamais, d’unir les deux royaumes sous le même sceptre. Car là était sa pensée profonde. Finis les litiges incessants, les hommages mal définis, et les guerres d’Aquitaine dont pâtissaient les deux nations; résolue l’inutile rivalité de commerce qui créait les problèmes de Flandre. Un seul et même peuple, des deux côtés de la mer. La noblesse anglaise n’était-elle pas tout entière de souche française? La langue française n’était-elle pas commune aux deux cours? De nombreux seigneurs français n’avaient-ils pas, par jeu d’héritage, des biens en Angleterre, comme les barons anglais avaient des établissements en France?

— Eh bien, soit, remettez-nous l’Angleterre, nous ne la refusons pas, ironisa Philippe de Valois.

Le connétable Gaucher écoutait les explications que Miles de Noyers lui soufflait à l’oreille, et soudain son teint fonça. Comment? Le roi d’Angleterre réclamait la régence? Et la couronne à suivre? Alors, tant de campagnes qu’il avait conduites, lui Gaucher, sous le dur soleil de Gascogne, tant de chevauchées dans les boues du Nord contre ces mauvais drapiers flamands toujours soutenus par l’Angleterre, tant de bons chevaliers tués, tant de tailles et subsides dépensés, n’auraient donc servi qu’à cela? On se moquait.

Sans se lever, mais d’une profonde voix de vieillard tout enrouée par la colère, il s’écria:

— Jamais France ne sera à l’Anglois, et cela n’est point question de mâle ou de femelle, ni de savoir si la couronne se transmet par le ventre! Mais la France ne sera pas à l’Anglois parce que les barons ne le supporteraient pas. Allons Bretagne! À moi Blois! Allons Nevers! Allons Bourgogne! Vous acceptez d’entendre cela? Nous avons un roi à porter en terre, le sixième de ceux que j’aurai vus passer de mon vivant, et qui tous ont dû lever leur ost contre l’Angleterre ou ceux qu’elle appuie. Qui doit commander à la France doit être du sang de France. Et qu’on en finisse d’écouter ces sornettes qui feraient rire mon cheval.

Il avait appelé Bretagne, Blois, Bourgogne, du ton qu’il prenait naguère en bataille, pour rallier les chefs de bannière.

— Je donne mon conseil, avec le droit du plus vieux, pour que le comte de Valois, le plus proche du trône, soit régent, gardien et gouverneur du royaume.

Et il éleva la main pour appuyer son vote.

— Il a bien dit! s’empressa d’approuver Robert d’Artois en dressant sa large patte et en conviant du regard les partisans de Philippe à l’imiter.

Il regrettait presque, à présent, d’avoir fait écarter le vieux connétable du testament royal.

— Il a bien dit! répétèrent les ducs de Bourbon et de Bretagne, le comte de Blois, le comte de Flandre, le comte d’Évreux, les évêques, les grands officiers, le comte de Hainaut.

Mahaut d’Artois interrogea des yeux le duc de Bourgogne, vit qu’il allait lever la main et se hâta d’approuver pour n’être pas la dernière.

Seule la main d’Orleton resta baissée.

Philippe de Valois, qui se sentait soudain épuisé, se disait: «C’est chose faite, c’est chose faite.» Il entendit l’archevêque Guillaume de Trye, son ancien précepteur, dire:

— Longue vie au régent du royaume de France, pour le bien du peuple et de la Sainte Église.

Le chancelier Jean de Cherchemont avait préparé le document qui devait clore le conseil et en entériner la décision; il ne restait que le nom à inscrire. Le chancelier traça en grandes lettres celui du «très puissant, très noble et très redouté seigneur Philippe, comte de Valois», et puis donna lecture de cet acte qui non seulement attribuait la régence, mais encore désignait le régent, si l’enfant à naître était une fille, pour devenir roi de France.

Tous les assistants apposèrent en bas du document leur signature et leur sceau privé; tous, sauf le duc de Guyenne, c’est-à-dire son représentant Monseigneur Adam Orleton qui refusa en disant:

— On ne perd jamais rien à défendre son droit, même si l’on sait qu’il ne peut pas triompher. L’avenir est grand, et dans les mains de Dieu.

Philippe de Valois s’était approché du catafalque et regardait le corps de son cousin, la couronne encadrant le front cireux, le long sceptre d’or posé le long du manteau, les bottes scintillantes.

On crut qu’il priait, et ce geste lui valut le respect.

Robert d’Artois vint auprès de lui et lui murmura:

— Si ton père te voit, en ce moment, il doit être bien heureux, le cher homme… Encore deux mois à attendre.

IV

LE ROI TROUVÉ

Les princes de ce temps-là avaient besoin d’un nain. Les couples de pauvres gens considéraient presque comme une chance de mettre au monde un avorton de cette sorte; ils avaient la certitude de le vendre un jour à quelque grand seigneur, sinon au roi lui-même.

Car le nain, nul n’eût songé à en douter, était un être intermédiaire entre l’homme et l’animal domestique. Animal, parce qu’on pouvait lui mettre un collier, l’affubler, comme un chien dressé, de vêtements grotesques, et lui envoyer des coups de pied aux fesses; homme, parce qu’il parlait et s’offrait volontairement, moyennant salaire et nourriture, à ce rôle dégradant. Il avait à bouffonner sur ordre, sautiller, pleurer ou niaiser comme un enfant, et cela même quand ses cheveux devenaient blancs. Sa petitesse faisait ressortir la grandeur du maître. On se le transmettait par héritage ainsi qu’un bien de propriété. Il était le symbole du «sujet», de l’individu soumis à autrui par nature, et créé tout exprès, semblait-il, pour témoigner de la division de l’espèce humaine en races différentes, dont certaines avaient pouvoir absolu sur les autres.

L’abaissement comportait des avantages; le plus petit, le plus faible, le plus difforme, prenait place parmi les mieux nourris et les mieux vêtus. Il était également permis et même ordonné à ce disgracié de dire aux maîtres de la race supérieure ce qui n’eût été toléré de nul autre.