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Philippe s’occupait très gravement du royaume, une heure par jour, après une joute d’où il revenait ruisselant ou un banquet dont il sortait la panse lourde et l’esprit nuageux. Son chancelier, son trésorier, ses officiers innombrables prenaient les décisions pour lui, ou bien allaient chercher leurs ordres auprès de Robert d’Artois. Celui-ci, en vérité, commandait plus que le souverain.

Nulle difficulté ne se présentait que Philippe n’en appelât au conseil de Robert, et l’on obéissait de confiance au comte d’Artois, sachant que tout décret de sa part serait approuvé par le roi.

De la sorte on alla au sacre, où l’archevêque Guillaume de Trye devait poser la couronne sur le front de son ancien élève. Les fêtes, à la fin mai, durèrent cinq jours.

Il semblait que tout le royaume fût arrivé à Reims. Et non seulement le royaume, mais encore une partie de l’Europe avec le superbe et impécunieux roi Jean de Bohême, le comte Guillaume de Hainaut, le marquis de Namur et le duc de Lorraine. Cinq jours de réjouissances et de ripailles; une profusion, une dépense comme les bourgeois rémois n’en avaient jamais vu. Eux qui subvenaient aux frais des fêtes, et qui avaient rechigné devant le coût des derniers sacres, cette fois fournissaient le double, le triple, d’un cœur joyeux. Il y avait cent ans qu’au royaume de France on n’avait autant bu: on servait à cheval dans les cours et sur les places.

La veille du couronnement, le roi arma chevalier Louis de Crécy, comte de Flandre et de Nevers, avec la plus grande pompe possible. Il avait été décidé, en effet, que ce serait le comte de Flandre qui tiendrait le glaive de Charlemagne pendant le sacre, et le porterait au roi. Et l’on s’étonnait que le connétable eût consenti à se dessaisir de cette fonction traditionnelle. Encore fallait-il que le comte de Flandre fût chevalier. Philippe VI pouvait-il montrer avec plus d’éclat l’amitié dans laquelle il tenait son cousin flamand?

Or, le lendemain, pendant la cérémonie dans la cathédrale, lorsque Louis de Bourbon, grand chambrier de France, ayant chaussé le roi des bottes fleudelisées, appela le comte de Flandre pour présenter l’épée, ce dernier ne bougea pas.

Louis de Bourbon répéta:

— Monseigneur le comte de Flandre!

Louis de Crécy resta immobile, debout, les bras croisés.

— Monseigneur le comte de Flandre, proclama le duc de Bourbon, si vous êtes céans, ou quelque personne pour vous, venez accomplir votre devoir, et ci vous sommons de paraître à peine de forfaiture.

Un grand silence s’était fait sous les voûtes et un étonnement apeuré se peignait sur les visages des prélats, des barons, des dignitaires; mais le roi restait impassible, et Robert d’Artois reniflait, nez en l’air, comme s’il s’intéressait au jeu du soleil à travers les vitraux.

Enfin le comte de Flandre consentit à avancer, s’arrêta devant le roi, s’inclina et dit:

— Sire, si l’on avait appelé le comte de Nevers ou le sire de Crécy, je me fusse approché plus tôt.

— Mais quoi, Monseigneur, répondit Philippe VI, n’êtes-vous point comte de Flandre?

— Sire, j’en porte le nom, mais n’en ai point le profit.

Philippe VI prit alors son meilleur air royal, poitrine gonflée, regard vague, et son grand nez pointé vers l’interlocuteur pour prononcer bien calmement:

— Mon cousin, que me dites-vous donc?

— Sire, reprit le comte, les gens de Bruges, d’Ypres, de Poperingue et de Cassel m’ont bouté dehors mon fief, et ne me tiennent plus pour leur comte ni seigneur; c’est à peine si je puis tout furtivement me rendre à Gand tant le pays est en rébellion.

Alors Philippe de Valois abattit sa large paume sur le bras du trône, geste qu’il avait vu bien souvent faire à Philippe le Bel et qu’il reproduisait, inconsciemment, tant son oncle avait été l’incarnation véritable de la majesté.

— Louis, mon beau cousin, déclara-t-il lentement et fortement, nous vous tenons pour comte de Flandre, et, par les dignes onctions et sacrement que nous recevons aujourd’hui, vous promettons que jamais ne prendrons paix ni repos avant que de vous avoir remis en possession de votre comté.

Alors le comte de Flandre s’agenouilla et dit:

— Sire, grand merci.

Et la cérémonie continua.

Robert d’Artois clignait de l’œil à ses voisins, et l’on comprit alors que cet esclandre était coup monté. Philippe VI tenait les promesses faites par Robert pour assurer son élection. Philippe d’Évreux apparaissait ce même jour, sous son manteau de roi de Navarre.

Aussitôt après la cérémonie, le roi réunit les pairs et barons, les princes de sa famille, les seigneurs d’au-delà du royaume venus assister à son sacre, et, comme si l’affaire ne souffrait une heure d’attente, il délibéra avec eux du moment où il irait attaquer les rebelles de Flandre. Le devoir d’un roi preux est de défendre le droit de ses vassaux! Quelques esprits prudents, estimant que le printemps était déjà fort avancé et qu’on risquait de n’être prêt qu’à la mauvaise saison — ils avaient encore en mémoire l’ost boueux de Louis Hutin — conseillaient de remettre l’expédition à un an. Le vieux connétable Gaucher leur fit honte en s’écriant d’une voix forte:

— Qui bon cœur a pour la bataille, toujours trouve le temps convenant!

À soixante-dix-huit ans, il éprouvait quelque hâte à commander sa dernière campagne, et ce n’était pas pour tergiverser de la sorte qu’il avait accepté de se dessaisir tout à l’heure du glaive de Charlemagne.

— Ainsi l’Anglois, qui est par-dessous cette rébellion, prendra bonne leçon, dit-il encore en grommelant.

Ne lisait-on pas, dans les romans de chevalerie, les exploits des héros de quatre-vingts ans, capables de renverser leurs ennemis en bataille et de leur fendre le heaume jusqu’à l’os du crâne? Les barons allaient-ils montrer moins de vertu que le vieux vétéran impatient de partir en guerre avec son sixième roi?

Philippe de Valois, se levant, s’écria:

— Qui m’aime bien me suivra!

Dans le mouvement général d’enthousiasme qui suivit cette parole, on décida de convoquer l’ost pour la fin juillet, et à Arras, comme par hasard. Robert allait pouvoir en profiter pour remuer un peu le comté de sa tante Mahaut.

Et de la sorte, au début d’août, on entra en Flandre.

Un bourgeois du nom de Zannequin commandait les quinze mille hommes des milices de Fumes, de Dixmude, de Poperingue et de Cassel. Voulant prouver qu’il savait les usages, Zannequin adressa un cartel au roi de France pour lui demander jour de bataille. Mais Philippe méprisa ce manant qui prenait des manières de prince, et fit répondre aux Flamands qu’étant gens sans chef ils auraient à se défendre comme ils pourraient. Puis il envoya ses deux maréchaux, Mathieu de Trye et Robert Bertrand, dit «le chevalier au Vert Lion», incendier les environs de Bruges.

Quand les maréchaux rentrèrent ils furent grandement félicités; chacun se réjouissait de voir au loin de pauvres maisons flamber. Les chevaliers désarmés, vêtus de riches robes, se faisaient visite d’une tente à l’autre, mangeaient sous des pavillons de soie brodée, et jouaient aux échecs avec leurs familiers. Le camp français ressemblait tout à fait au camp du roi Arthur dans les livres à images, et les barons se prenaient pour autant de Lancelot, d’Hector et de Galaad.