Выбрать главу

Laure

Dardé à travers la porte, c'est-à-dire entre deux nuages, n'est-il pas vrai?

Raymond

On ne peut mieux dire, cousine, et je vois que vous vous entendez admirablement en mythologie comparée. – Prenons le conte le plus simple de tous, cette histoire d'une jeune fille qui laisse échapper de sa bouche deux roses, deux perles et deux diamants. Cette jeune fille est l'aurore qui fait éclore les fleurs et les baigne de rosée et de lumière. Sa méchante sœur, qui vomit des crapauds, est la brume. – Cendrillon, noircie par les cendres du foyer, c'est l'aurore assombrie par les nuages. Le jeune prince qui l'épouse est le soleil.

Octave

Ainsi les femmes de Barbe-Bleue sont des aurores. Peau-d'Âne est une aurore, la jeune fille qui laisse tomber de sa bouche des roses et des perles est une aurore, Cendrillon est une aurore, vous ne nous montrez que des aurores.

Raymond

C'est que l'aurore, l'aurore magnifique de l'Inde, est la plus riche source de la mythologie aryenne. Elle est célébrée, sous des noms et des formes multiples, dans les hymnes védiques. Dès la nuit on l'appelle, on l'attend, avec une espérance mêlée de crainte:

«Notre antique amie, l'Aurore, reviendra-t-elle? Les puissances de la nuit seront-elles vaincues par le dieu de la lumière?» Mais elle vient, la claire jeune fille, «elle s'approche de chaque maison», et chacun se réjouit dans son cœur. C'est elle, c'est la fille de Dyaus, la divine bouvière, qui conduit, chaque matin, au pâturage les vaches célestes, dont les lourdes mamelles laissent s'égoutter sur la terre aride une rosée fraîche et féconde.

Comme on a chanté sa venue, on chantera sa fuite, et l'hymne va célébrer la victoire du soleiclass="underline"

«Voici encore une forte et mâle action que tu as accomplie, à Indra! Tu frappes la fille de Dyaus, une femme qu'il est difficile de vaincre. Oui, la fille de Dyaus, la glorieuse, l'Aurore, toi, Indra, grand héros, tu l'as mise en pièces.

«L'Aurore se précipita à bas de son char brisé, craignant qu'Indra, le taureau, ne la frappât.

«Son char gisait là, brisé en morceaux; quant à elle, elle s'enfuit bien loin.» L'indou primitif se faisait de l'aurore une image changeante, mais toujours vive, et les reflets affaiblis et altérés de cette image sont encore visibles dans les contes dont nous venons de parler, comme aussi dans Le Petit Chaperon rouge. La couleur du bonnet que porte la petite-fille de la Mère Grand est un premier indice de sa céleste origine.

L'office qu'on lui donne de porter une galette et un pot de beurre la fait ressembler à l'aurore des védas, qui est une messagère. Quant au loup qui la dévore…

Laure

C'est un nuage.

Raymond

Non pas, cousine. C'est le soleil.

Laure

Le soleil, un loup?

Raymond

Le loup dévorateur, au poil brillant, vrika, le loup védique. N'oubliez pas que deux dieux solaires, l'Apollon Lycien des Grecs et l'Apollon Soranus des Latins, ont le loup pour emblème.

Octave

Comment a-t-on pu comparer le soleil à un loup?

Raymond

Quand le soleil tarit les citernes, brûle les prés et sèche le cuir sur l'échine amaigrie des bœufs haletants qui tirent la langue, n'est-ce point un loup dévorant? Le poil du loup reluit, ses prunelles brillent; il montre des dents blanches, sa mâchoire et ses reins sont forts: il procède du soleil par l'éclat de son pelage et de ses yeux et par la puissance destructive de ses mâchoires. vous craignez peu le soleil, Octave, dans ce pays humide où fleurissent les pommiers; mais le petit Chaperon rouge, qui vient de loin, a traversé de chaudes contrées.

Laure

L'aurore meurt et renaît. Mais le petit Chaperon rouge meurt pour ne plus revenir. Elle eut tort de cueillir des noisettes et d'écouter le loup; toutefois est-ce une raison pour qu'elle soit mangée sans miséricorde? Ne vaudrait-il pas mieux qu'elle sortît du ventre de la bête, comme l'aurore de la nuit?

Raymond

Votre pitié, cousine, est pleine d'esprit. La mort du petit Chaperon rouge ne peut être définitive. La Mère l'Oie n'avait pas bien retenu la fin du conte.

On peut bien oublier quelque chose à son âge.

Mais les aïeules d'Allemagne et d'Angleterre savent bien que le Chaperon rouge meurt et renaît comme l'aurore.

Elles content qu'un chasseur ouvrit le ventre de la bête et en tira l'enfant rose, qui ouvrit de grands yeux et dit:

«Oh! que j'ai eu de frayeur et qu'il faisait noir là-dedans!» Je feuilletais tantôt, dans la chambre de votre fille, un de ces cahiers d'images en couleurs que l'Anglais Walter Crane enlumine avec tant de fantaisie et d'humour. Ce gentleman a l'imagination à la fois savante et familière; i la le sens des légendes et l'amour de la vie; il respecte le passé et goûte le présent. C'est l'esprit anglais. Le cahier que je feuilletais contient le texte et les dessins du Little Red Riding Hood (Le Petit Chaperon rouge de l'Angleterre).

Le loup l'avale; mais un gentleman farmer, en habit vert, culotte jaune et bottes à revers, loge une balle entre les deux yeux luisants du loup, ouvre avec son couteau de chasse le ventre de la bête, et l'enfant en sort, fraîche comme une rose.

Some sportsman (he certainly was a dead shot)

Had aimed at the Wolfwhen she cried;

So Red Riding Hood got sale home did she not?

And lived happily there till she died.

Voilà la vérité, cousine, et vous l'aviez devinée.

Quant à La Belle au bois dormant, dont l'aventure est d'une poésie naïve et profonde…

Octave

C'est l'aurore!

Raymond

Non. La Belle au bois dormant, Le Chat botté et Le Petit Poucet se rattachent à une autre classe de légendes aryennes, à celles qui symbolisent la lutte entre l'hiver et l'été, le renouvellement de la nature, l'éternelle aventure de l'Adonis universel, de cette rose du monde qui se flétrit et refleurit sans cesse. La Belle au bois dormant n'est autre qu'Astéria, claire sœur de Latone, que Cora et que Proserpine. L'imagination populaire fut bien inspirée en donnant à la lumière la forme de ce que la lumière caresse le plus amoureusement sur la terre, la forme d'une belle jeune fille. Pour ma part, j'aime la princesse du bois dormant à l'égal de l'Eurydice de Virgile et de la Brunhild de l'Edda qui, piquées, l'une par un serpent, l'autre par une épine, sont ramenées de l'ombre éternelle, la Grecque par un poète, la Scandinave par un guerrier, tous deux amoureux.