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Je crois que vous, les humains, vous êtes tous un peu jaloux les uns des autres, alors vous ne vous incitez pas mutuellement à montrer vos meilleurs côtés.

C'est plutôt «le clou qui dépasse attire le marteau».

En fait de dépassement, nous voici bien assez haut.

Observe tout en bas ta maison, le lieu où tu es en train de me lire.

Drôle d'impression, hein?

Envoie de là-haut une onde bienfaisante à ton corps matériel.

Dis à ton corps que tu ne seras pas long, que tu reviens bientôt, dis-lui de continuer à respirer tranquillement.

Ce n'est qu'une promenade d'une petite heure.

Ça y est?

Bon, ce n'est pas tout, mais on continue de monter.

LE MONDE DE L'AIR

Ton voyage dans le ciel

Tout est bleu clair et blanc autour de nous.

Tu entends une musique sur un accord de do.

Les instruments sont essentiellement des instruments à vent.

Orgues, flûtes, cors. Cela fait penser un peu à du Bach.

À force de monter, on est très haut dans le ciel.

Là, on est assez haut.

Tu peux lâcher le rayon de lumière.

Lâche, tu ne tomberas pas.

Je te l'ai déjà dit, ce n'est que ton esprit qui voyage.

Il n'y aura pas de dommages.

Quoi? Tu veux des ailes?

Si ça peut te rassurer!

Regarde à gauche et à droite sur tes épaules, oui, ces longs trucs souples ce sont des ailes.

C'est très pratique.

Vas-y, agite-les rapidement, ça te maintiendra en altitude.

Hum… pour toi ces ailes sont trop petites.

Je vais donc te transformer un peu.

Voyons, tends tes ailes, je vais te faire du sur mesure.

Je te transforme en aigle transparent.

Tss… Ce n'est pas suffisant.

Tant pis! je ne lésine pas: hop! je te transforme en albatros transparent.

Cette fois, ça devrait aller.

Tu as belle allure ainsi.

Ce corps est peut-être plus lourd et vire moins vite que celui des aigles,

mais il va te permettre d'effectuer de longs vols planés et de monter plus haut dans le ciel.

L'albatros est le vaisseau idéal des nuages.

Allez, vole.

Apprécie d'être rien qu'un instant, par l'esprit, un oiseau.

Sens tes ailes.

Sens ton envergure.

Sens la caresse du vent sur tes rémiges souples.

A l'avant de ton visage, ton bec translucide, rigide et aérodynamique, fend l'azur.

Sens l'air frais sur la courbe de ton ventre lisse.

Avoue que cela valait le déplacement…

Allez, brasse et monte plus haut dans le ciel.

Quelle sensation de liberté, hein?

Goûte le silence des altitudes.

Tous les oiseaux volent en silence comme toi.

Il n'y a pas de moteur qui bourdonne et vibre, pas de toile qui claque sous la pression du vent.

Il suffit d'étendre tes membres antérieurs.

Mets un peu de poids sur ton aile gauche.

Tu as vu? Tu vires automatiquement!

Mets un peu de poids sur ton aile droite.

Joli mouvement.

Tu peux accomplir toutes les figures aériennes acrobatiques que tu souhaites, il n'y a strictement aucun risque de t'écraser.

Voilà. Pas mal.

Il me semble que tu deviens à l'aise dans ta peau d'albatros.

Je suis assez impressionné.

Je pensais que tu serais plus long à t'y faire.

Oui, bien sûr, je sais qu'on peut voler à l'envers.

Oui, la tête en bas aussi.

Pff… Ça vient pour la première fois voler dans le ciel et ça croit tout inventer…

Mets un peu de poids vers l'avant.

Tu as vu? Ça fait un piqué.

En arrière? Un looping.

Redresse le cou pour parachever ta courbe.

Soigne ta trajectoire.

Essaie d'être beau quand tu voles.

Allez viens, on va commencer par monter sur les nuages.

Tu es au-dessus des nuages.

Tu as vu?

Les nuages sont extraordinaires, ils forment un plancher de coton.

Tu peux y laisser traîner les pattes.

Devant, tu vois le soleil rougeoyant posé sur ces nuages comme une pastèque immense sur une table sans fin.

C'est beau vu d'ici, non?

Les nuages, tu ne l'avais jamais remarqué, ont leur langage.

Un langage de formes en mouvement.

Une perpétuelle recherche de la forme idéale.

Les nuages.

Les rayons rouge orangé du soleil couchant se reflètent sur le duvet transparent de ton visage et sur les plumes de tes longues ailes.

Tout en bas, le vent a joué avec le plancher-nuages et y a laissé un accroc.

Tu vois à travers ta toute petite ville et tu la salues.

Allez, on bouge.

On va vers le soleil avant qu'il ne se couche complètement.

Cap vers l'ouest.

Rendons visite à la planète.

Rendons visite à «ta» planète.

La tournée des popotes

Tu replies tes ailes transparentes.

Piqué serré. Arrivé en bas, tu reprends ton assiette et tu te stabilises.

Nous passons au-dessus de l'océan, étendue noir, vert et bleu marine.

Tu as vu ces îles? Approchons. Ce sont des baleines.

Un groupe de baleines blanches.

L'une d'elles lâche de la vapeur.

Je ne sais pas si elles nous ont repérés.

C'est possible.

Tu sais, les baleines sont très sensibles, elles peuvent percevoir notre présence, intuitivement.

Tiens, écoute-les chanter.

Je crois bien qu'elles nous ont sentis.

Elles s'enfoncent sous l'eau.

Attention, le temps se gâte, une tempête se lève.

Les nuages deviennent anthracite.

En un instant l'océan tranquille devient furieux.

N'aie pas peur, ce n'est que de l'air et de l'eau en mouvement.

Des colonnes d'eau s'élèvent puis laissent retomber des dentelles de mousse.

Avec ces cieux sombres et ces reflets mordorés l'océan a bien changé.

Et tu as vu le petit point là?

C'est un voilier secoué par la tempête.

A l'intérieur, je ne te dis pas à quel point les navigateurs doivent être malades.

Dire qu'ils rêvaient d'un beau voyage!

Bon, mais il ne faut pas se moquer.

Ils ignorent qu'on peut voyager comme ça, rien que par l'esprit.

Viens, on va leur rendre visite.

Écoute-les: ils se disputent.

C'est un peu normal.

Vous, les humains, dès que vous êtes réunis en un lieu exigu, vous finissez toujours par vous taper dessus.

Non, je ne critique pas, je constate.

Lors d'une réunion des grands livres classiques, il paraît que certains romans ont évoqué la possibilité que vous ne soyez pas des animaux sociaux, mais plutôt des animaux solitaires qui se forcent à être ensemble.

Je n'aime pas tellement les grands livres classiques, ils sont trop institutionnels, trop imbus d'eux-mêmes, mais je dois reconnaître que, parfois, ils ont des trouvailles.

De toute façon, faisant partie des «petits livres marginaux qui n'ont pas voix au chapitre», je ne suis pas invité aux réunions des classiques.

Pourtant, si j'avais pu assister à leurs débats, je leur aurais dit qu'en fait pour moi les humains sont plutôt en voie de socialisation.

Un jour, vous arriverez à vous entendre.

J'en suis persuadé. Il y a quelque chose au fond de vous de très… comment dire… gentil.

J'en discutais encore récemment avec un livre de cuisine (lui non plus ne deviendra jamais un classique), et il me disait que, sur des petites choses, comme préparer un quatre-quarts aux pruneaux (chaque livre a ses propres références), vous étiez capables de beaucoup de coopération.

Allez, éloignons-nous de la tempête.

Nous avons un premier rendez-vous important.

Nous voici au-dessus d'une île au relief tourmenté.

De hautes montagnes nous obligent à prendre de l'altitude.

Ces montagnes chaudes et fumantes émettent une énergie que maintenant tu arrives à discerner.

Des volcans.

À travers leurs laves rougeoyantes et chaudes, tu perçois le sang de la planète Terre.

Gaïa.

Ta planète est vivante et son sang de lave est bouillant.