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Nous autres, esprits de papier, nous nous sentons parfois si «futiles».

Dépêche-toi, je vais te montrer autre chose.

Nous voici au Tibet.

Le Toit du monde.

Tu vois Lhassa, la ville des lamas.

Ici des moines utilisent de longues trompettes.

Elles émettent des sons qui font vibrer l'air alentour.

Ce sont des vibrations graves.

Elles te rappellent la voix de la Terre.

Un groupe de lamas médite dans de vastes salles.

Tu n'as jamais vu autant d'esprits décoller ensemble!

Un vrai envol d'étourneaux transparents.

Au-dessus de la ville, ils forment des rondes.

Visiblement, ils maîtrisent parfaitement l'envol depuis longtemps.

Sans drogue, leurs esprits partent en groupes pour de petits briefings au-dessus des nuages.

Regarde-les. Regarde leurs esprits.

Ils n'ont pas l'impression d'accomplir quoi que ce soit d'exceptionnel.

Pour eux, c'est une routine.

Leurs esprits te voient, te saluent et tu les salues en retour.

Tu descends dans les rues de la ville sacrée.

Des soldats chinois patrouillent dans les rues de Lhassa et emprisonnent des lamas.

Pourquoi font-ils ça, dis-moi?

Que dis-tu?

C'est de la politique?

Pour moi, c'est de la jalousie.

Des gens aussi libres dans leur tête ça énerve les êtres primaires.

C'est mon avis de livre, tu n'es pas obligé de le partager.

Plus loin, des touristes occidentaux essaient de comprendre l'esprit des lamas tibétains. Ils leur demandent ce qui se passe durant la méditation.

Les lamas rient gentiment.

Comment parler aux autres de l'envol?

C'est comme si, quand tu auras refermé mes pages, on te demandait ce que

tu as ressenti durant ce Voyage.

Que pourras-tu répondre?

Que tu étais comme dans un sommeil éveillé?

Que tu étais dedans et dehors simultanément?

Que tu te laissais bercer par les phrases du livre comme un enfant qui écoute une histoire avant de s'endormir puis qui se met à rêver de cette histoire?

Non. Ce n'est pas vraiment ça.

Décidément, à part éclater de rire je ne vois pas comment tu pourras décrire cette sensation.

On ne peut pas expliquer le goût salé à quelqu'un qui ne connaît que le sucré.

Il faut le vivre pour le savoir.

Quittons le Tibet.

Revenons dans les villes modernes.

Te voici dans un appartement où un informaticien en gros pull est en train de fabriquer, grâce à des images de synthèse, des décors poétiques dans lesquels les gens pourront se promener en se branchant simplement sur Internet.

La seule différence avec les informaticiens de tout à l'heure, c'est que dans son programme il n'y a rien à détruire.

Il ne propose qu'une glissade lente dans des paysages exotiques.

Tu es songeur.

Tu ne comprends pas pourquoi je te montre' tout ça?

Pour te faire comprendre que ce voyage est quelque chose que tous les hommes recherchent depuis la nuit des temps.

Et que les mêmes moyens: drogue, religion, technologie de pointe, selon la manière dont on les utilise, peuvent s'avérer bénéfiques ou maléfiques.

Yin, Yang.

Magie blanche. Magie noire. Je n'ai pas vraiment l'exclusivité de mon rôle de «guide de l'envol». Ma particularité est de ne rien te demander en retour.

Seulement un peu de ton temps et ton attention.

Cela me semble déjà beaucoup.

Et je suis conscient que cette quasi-gratuité peut, en elle-même, sembler suspecte.

Car vous, les humains, vous êtes habitués à payer cher tout ce que vous recevez de bienfaisant, n'est-ce pas?

Toujours besoin de payer, de se sacrifier, de souffrir.

Et moi, je te le demande:

Pourquoi n'aurais-tu pas le bon côté, sans payer,

juste parce que, avec ton imagination, tu es capable de te l'offrir à toi-même?

Rencontre avec un sage

Reprenons de l'altitude.

Cette fois-ci, nous allons dans un coin que moi seul connais.

Regarde.

Cette faille débouche sur un cirque rocheux.

C'est un coin préservé.

Mais ne perdons pas de temps.

Là-haut, au milieu d'un tumulte de pierres, tu distingues une cascade, un torrent de montagne.

Avance.

Devant nous le torrent dégringole tel un rideau de cristal assourdissant.

Tu hésites face à ce mur d'eau en fureur.

Mais je te conseille pourtant de continuer d'avancer.

Alors, tu distingues vaguement derrière l'eau du torrent une petite lueur.

Tu traverses le torrent et tu découvres une caverne.

Tu reprends ta forme humaine et tu marches vers la source de lumière.

Là, tout au fond, tu trouves un homme en pagne beige assis dans la position du lotus sur un rocher.

Il est immobile.

Il a les ongles très longs ainsi qu'une barbe de plusieurs années et de longs cheveux blancs.

Sur son front un point rouge symbolise le troisième œil.

Il est pratiquement nu mais ne semble pas avoir froid.

Il doit être là depuis très longtemps car son corps semble figé dans cette posture.

Tu approches.

Il sort de sa méditation.

Il ouvre lentement les yeux.

Il te voit et tu le vois.

Tu lui poses la question qui t'a toujours brûlé les lèvres:

«Quel est le sens de la vie?»

Il te fixe, adopte un air grave.

Il consent à t'accorder un peu d'attention.

Il consent à te répondre.

«La vie n'est qu'une illusion», dit-il enfin.

Tu réfléchis à sa réponse.

Et tu lui dis:

«Non, désolé, la vie n'est pas une illusion.»

Il fronce les sourcils.

Tu lui dis qu'il devrait voyager davantage, ne pas rester enfermé dans sa caverne.

Dehors il y a des gens qui ont prise sur les choses.

Il voit tout à travers le rideau opaque du torrent

et c'est pour cela qu'il croit que la vie n'est qu'une illusion.

Tu lui dis que c'est comme s'il observait en permanence le monde à travers la télévision.

Il te demande ce qu'est la télévision. Tu lui parles des séries américaines stéréotypées avec rires enregistrés, des soap opéras, des publicités qui te serinent mille fois leurs slogans, des talk-shows où chacun vient étaler ses problèmes personnels.

Le sage semble de plus en plus intéressé par ce que tu lui racontes, et s'avance vers toi. Tu lui dis que tu t'accommodes finalement très bien de ton ignorance et que c'est elle qui te pousse en avant.

Le doute et la curiosité sont plus forts que la croyance et l'érudition.

Ce sont eux, d'ailleurs, qui t'ont permis de venir ici.

Tu lui dis que tu essaies d'être vide pour pouvoir être rempli par tout ce que tu découvres.

Il prend une mine hébétée.

Il retient une grimace puis, au comble de l'agacement, te traite de «petit imbécile».

Signale-lui que tu te sens précisément un «imbécile»,

mais dans le vrai sens étymologique du terme.

Autrefois, «im-bécille» signifiait «qui n'a pas de béquille».

Un imbécile est quelqu'un qui n'a aucun tuteur, aucun bâton, aucune béquille pour le faire tenir droit.

Il trébuche mais, au moins, il avance, et il avance seul.

Imbécile: c'est en fait le plus beau compliment que tu pouvais recevoir.

Il te regarde différemment.

À cet instant, cher lecteur, tu sais que jamais personne ne pourra mieux que toi découvrir le monde et l'univers.

Toi et personne d'autre.

Tu n'as pas besoin de sage, tu n'as pas besoin de philosophe professionnel, tu n'as pas besoin de «bon conseilleur» ni de ces tartuffes qui étalent leur esprit parce que, précisément,

ils ne savent pas le faire décoller.

Ni dieu ni maître ne te sont nécessaires.

Tu n'as même pas besoin de moi, «Le Livre du Voyage», car ton chemin est unique et tu es le seul à le diriger.

Le sage prend conscience qu'il a soif, qu'il a faim, qu'il a froid et qu'il s'ennuie tout seul dans cette caverne.

Mais tu le laisses là.

Tu te sens léger.