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Bernard Werber

Le livre secret des fourmis

Préface par Bernard Werber

Un beau jour, je devais avoir six ans, je me suis penché et je me suis aperçu qu'il existait à même la terre du jardin une petite ville. Une vraie ville remplie d'habitants qui grouillaient sur les routes, travaillaient, faisaient la guerre.

Je fus subjugué par cette vision. Pourtant, cela semblait n'intéresser personne. Nous allons chercher des extra-terrestres dans les étoiles alors qu'il y a une civilisation bien réelle qui grouille sous nos pas et à laquelle personne ne fait attention: les intra-terrestres, les fourmis.

En fait, nous ne connaissons pas du tout le monde dans lequel nous vivons. C'est normal, l'humanité est si jeune. Si les fourmis existent depuis 100 millions d'années, l'homme n'est sur Terre que depuis 3 millions d'années et n'a commencé à construire des villes que depuis 5 000 ans.

Nous commençons à peine à comprendre notre monde et nous nous méfions de ce qui ne nous ressemble pas.

Tout ce qui est différent nous fait peur. Au point de nous rendre destructeurs.

Nous ne sommes pas capables de gérer la rencontre entre deux modes de pensée différents. Dès la rencontre avec une autre civilisation, nous essayons de voir qui est le plus fort. Il ne reste plus grand-chose des Incas, des Mayas, des Aztèques… Nos armes, nos maladies les ont décimés. Pourtant, ces peuples avaient découvert des milliers de choses qui nous seraient peut-être utiles maintenant.

De même, la rencontre avec l'Asie, la rencontre avec l'Afrique et l'Océanie se sont mal passées. Nous ne savons pas nous enrichir des différences.

Et cela est valable aussi pour le monde animal ou végétal que l'on détruit sans penser aux richesses qui disparaissent. Or notre intérêt est de tout respecter, de tout préserver, et de tout comprendre. Ce n'est pas de l'écologie, c'est du simple bon sens.

Les fourmis sont peut-être un bon terrain pour nous exercer à comprendre le monde. On peut facilement les observer. Elles ont une expérience de la vie citadine de plus de 100 millions d'années.

Il ne faut pas les copier. Juste les regarder et comprendre leur système.

Les enfants, tout naturellement, observent les fourmis. Tous en ont fait courir une sur leur doigt. Mais quand on devient adulte, on se crée une sorte de tunnel. On cherche à être rentable, on ne va pas vers l'inconnu. Notre éducation nous pousse à aller tout droit dans le tunnel d'un futur idéal blindé de certitudes qui empêchent de voir le monde. Il fait bien sombre dans les tunnels.

J'ai commencé à rédiger l'Encyclopédie à l'âge de 14 ans. C'était un gigantesque fourre-tout dans lequel je jetais tout ce qui me plaisait.

Plus tard, je devins journaliste scientifique dans un hebdomadaire parisien et je rencontrai les plus grands chercheurs mondiaux. Dès lors, l'Encyclopédie s'enrichit encore d'informations parfois exclusives.

Par la suite, quand j'ai commencé à écrire Les Fourmis, à l'âge de 16 ans (j'ai mis 12 ans à l'écrire, je l'ai remanié 140 fois, la plus longue version faisait 1 100 pages), je me suis servi de l'Encyclopédie pour ouvrir le roman sur toutes les sciences. Ainsi l'intrigue était construite sur trois supports: le roman fourmi, le roman humain et toutes sortes de petites informations qui éclairent les deux récits. Après la publication des deux romans Les Fourmis et Le Jour des fourmis, j'ai fait la connaissance de Guillaume Aretos et c'est alors que se mit en place une version isolée de l'Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu. Guillaume a le goût des structures et des messages cachés. Fanatique de Léonard de Vinci, il a su dessiner tout ce que ce dernier n'avait pu réaliser. Guillaume change de style, de technique ou de thème comme s'il y avait en lui une vingtaine de personnalités.

Dans le roman, j'attribuai cette Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu (ESRA pour les initiés) à un certain professeur Edmond Wells qui n'a jamais existé. Mais l'Encyclopédie, elle, est bien réelle. Dans Les Fourmis et Le Jour des fourmis, j'en livrais quelques pages. La voici dans sa version longue.

Attention, cet ouvrage n'a aucune prétention scientifique, philosophique, politique ou gastronomique. C'est une accumulation de «petits machins qui traînent». Juste pour donner à réfléchir. Ça ne va pas plus loin.

Certains pourront être surpris de voir la chimie côtoyer l'alchimie et la physique côtoyer la métaphysique. Ce ne sont que des points de vue différents. Chacun mérite d'être exposé.

C'est vous qui choisissez en fonction de votre culture et de votre expérience le point de vue que vous préférez.

Soyez actif, laissez parler votre intuition, regardez les images, lisez et posez-vous des questions. L'ESRA éclaire des zones inconnues, pose des questions sans apporter de réponse. C'est une de ses dynamiques.

Pour chaque lecteur, l'ESRA doit avoir une signification différente. En fait, c'est vous qui modifiez ce livre en le mettant en interférence avec votre propre mémoire. C'est pourquoi cette Encyclopédie est baptisée «du Savoir Relatif et Absolu». Ses informations ne sont pas stables: elles se modifient dans le temps, dans l'espace et dans l'œil de celui qui les lit.

Prenez-la comme un roman qu'on picore dans n'importe quel sens. Une encyclopédie apéritive, en quelque sorte.

Ce serait bien si un jour l'ESRA devenait un grand vase où tout le monde pourrait verser et puiser.

B.W.

A

A cet instant

Vous êtes en train de lire. Les grains de lumière (photons) rebondissent sur cette page pour être projetés sur votre cornée. L'image de cette page franchit l'orifice de la pupille, atterrit dans l'optique de vos cristallins et revient à l'envers au fond de votre paroi oculaire, sur la rétine sensible.

De là, l'image est transportée jusqu'à l'arrière de votre cerveau par un signal électrique et chimique d'une rapidité fulgurante.

Chaque lettre est identifiée et nommée par un son dans votre esprit. Les sons, en se regroupant, forment des mots. Vous comparez ces mots aux stocks de mots dont vous connaissez déjà la signification. (Si-gni-fi-ca-tion signifie par exemple «le sens».)

Normalement, vous avez bien 100 000 mots connus en stock. Sans parler de ceux que vous connaissez vaguement ou que vous comprenez d'après leur étymologie (du grec etumos «vraie» et logos «parole»).

Les mots en se groupant forment des phrases dont vous analysez le sens global. La phrase est alors dirigée vers une zone de votre cerveau pour y être temporairement stockée. On ne sait jamais: si l'information vous semble inintéressante, il vous sera facile de vider ce «tiroir temporaire».

Si elle vous paraît, en revanche, digne d'intérêt, vous ouvrirez un coin de votre cervelle et vous la stockerez pour une durée plus longue dans un «tiroir long terme». Ce qui vous permettra plus tard deux choses: utiliser cette information pour résoudre des problèmes précis ou la transmettre à d'autres humains n'ayant pas lu ce livre.

Alchimie

Toute manipulation alchimique vise à mimer ou à remettre en scène la naissance du monde.

Au départ, la première phase se nomme la phase du corbeau, dite aussi «œuvre au noir». On prend la «materia prima» et on la chauffe après y avoir placé de la terre. C'est une phase de calcination et c'est pour cela qu'on la nomme «l'œuvre au noir». Le feu arrive et brûle, séparant les éléments calcinés et transformant le solide en liquide, la terre en eau. A ce moment revient le feu, le liquide part en vapeur. Celle-ci contient des éléments qui retombent se déposer sur les parois. L'opération s'appelle «l'œuvre au blanc». Puis le produit rebouillonne et finit par former un second dépôt sur les parois. On nomme cela «l'œuvre au rouge». Cette dernière phase, dite «sublimation», consiste en la fixation d'une poudre d'or qui va elle-même donner naissance à la pierre philosophale. Cette poudre, c'est par exemple celle de Merlin l'Enchanteur dans la légende des chevaliers de la Table ronde. Tout récit construit n'est qu'une reproduction de l'histoire de la pierre philosophale et donc de l'univers. Il va du simple au compliqué, de la matière brute, le sable, vers l'or raffiné, de l'ignorance vers le savoir. Il n'y a là aucun miracle. L'alchime est une allégorie et la pierre philoso-phale se trouve dans la tête de chacun, ce n'est qu'une manière de bien «être» dans le monde. Ce qui n'est déjà pas si facile…