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Il se rappela la surprise-partie chez Léobille, et ricana sauvagement en ré dièse, avec une fausse note, ce qui prouvait surabondamment ses déplorables dispositions. Avisant une bouteille de gros rouge, il étancha d’une lampée le flux tiède qui en empâtait le fond et se sentit mieux. Puis, debout devant la glace, il s’efforça de ressembler à Sergei Andrejev Papanine, dans Ivan le Terrible. Il n’y arriva pas, car il lui manquait la barbe. Néanmoins, c’était un assez bon résultat.

Le Major ricana de nouveau et se retira dans son cabinet de travail pour préparer le sabotage de la surprise-partie de Léobille, dont il désirait tirer vengeance. En effet, Léobille faisait courir depuis quelques semaines, les bruits les plus tendancieux sur le Major, allant jusqu’à prétendre que ce dernier devenait honnête.

Et ceci valait une bonne punition.

Le Major s’entendait fort bien à réduire à merci tous les ennemis qu’il lui arrivait de rencontrer sur sa route ; ceci, d’une part, grâce à sa fort mauvaise éducation, d’autre part, en raison de ses dispositions naturelles sournoises et de sa malignité bien supérieure à la normale.

(Sans oublier l’horrible petite moustache qu’il cultivait vicieusement sur sa lèvre supérieure, empêchant les insectes de s’y attaquer et la couvrant d’un filet, le jour, pour que les oiseaux n’y touchent point.)

Folubert Sansonnet s’arrêta, ému, devant la porte de Léobille et plongea l’index de la main droite dans le petit trou de la sonnette, tapie au fond car elle dormait.

Le geste de Folubert la réveilla en sursaut. Elle se retourna sur elle-même et mordit cruellement le doigt de Folubert, qui se mit à glapir sur le mode aigu.

Aussitôt, la sœur de Léobille, qui guettait dans l’entrée, vint ouvrir et Folubert entra. Au passage, la sœur de Léobille colla un petit morceau de sparadrap sur la plaie et le débarrassa de sa bouteille.

Les accords de pick-up résonnaient joyeusement sous les plafonds de l’appartement et cernaient les meubles d’une légère couche de musique, plus claire et qui les protégeait.

Léobille était devant la cheminée et il parlait avec deux filles. En voyant la seconde, Folubert se troubla et, comme Léobille s’avançait vers lui la main tendue, il dut dissimuler son émoi.

— Bonjour, dit Léobille.

— Bonjour, dit Folubert.

— Je te présente, dit Léobille, Azyme (c’était la première fille), voici Folubert, voilà Jennifer.

Folubert s’inclina devant Azyme et baissa les yeux en tendant la main à Jennifer. Cette dernière portait une robe de crêpe mousse rouge glauque, des souliers de serpent rouge et un bracelet très extraordinaire qu’il reconnut immédiatement. Ses cheveux roux lui couvraient les épaules et elle était, en tous points, semblable à la fille de son rêve, mais c’est normal, car un rêve ça se passe la nuit, après tout.

Léobille semblait fort occupé d’Azyme, aussi Folubert, sans plus tarder, invita Jennifer. Il continuait à baisser les yeux car, devant lui, deux objets, fort intéressants, sollicitaient ses regards sous un décolleté carré qui les laissait respirer à l’aise.

— Vous êtes un vieux copain de Léobille ? dit Jennifer.

— Je le connais depuis trois ans, précisa Folubert. Nous nous sommes rencontrés au judo.

— Vous faites du judo ? Est-ce que vous avez déjà lutté pour défendre votre vie ?

— Heu…, dit Folubert embarrassé. Je n’ai pas eu l’occasion… Je ne me bats que rarement.

— Vous avez peur ? demanda Jennifer ironiquement.

Folubert détestait la tournure de cette conversation. Il tenta de reconquérir son assurance de cette nuit.

— Je vous ai vue en rêve…, hasarda-t-il.

— Je ne rêve jamais, dit Jennifer. Ça me paraît peu probable. Vous avez dû confondre.

— Vous étiez blonde…, dit Folubert au bord du désespoir.

Elle avait la taille mince et, de près ses yeux riaient gaiement.

— Vous voyez, dit Jennifer, ce n’était pas moi… je suis rousse…

— C’était vous…, murmura Folubert.

— Je ne crois pas, dit Jennifer. Je n’aime pas les rêves. J’aime mieux la réalité.

Elle le regarda bien en face, mais il baissait les yeux de nouveau et ne s’en rendit pas compte. Il ne la serrait pas trop contre lui, parce qu’il n’aurait plus rien vu.

Jennifer haussa les épaules. Elle aimait le sport et les garçons hardis et vigoureux.

— J’aime le sport, dit-elle, et j’aime les garçons hardis et vigoureux. Je n’aime pas les rêves et je suis aussi vivante qu’on peut l’être.

Elle se dégagea, car le disque s’arrêtait dans un horrible grincement de freins, vu que l’ami Léobille venait de fermer, sans prévenir, le passage à niveau. Folubert dit merci et il aurait voulu la retenir par une conversation habile et ensorceleuse mais, au moment précis où il était sur le point de trouver une formule véritablement ensorceleuse, un grand et horrible flandrin se faufila devant lui et enlaça brutalement Jennifer.

Horrifié, Folubert recula d’un pas, mais Jennifer souriait, et il s’abattit, effondré, dans un profond fauteuil de cuir d’outre.

Il était très triste et se rendait compte qu’après tout ç’allait être une surprise-partie comme les autres, brillante et pleine de jolies filles… mais pas pour lui.

La sœur de Léobille s’apprêtait à ouvrir la porte, mais elle s’arrêta, stupéfaite, en entendant une détonation. Elle comprima d’une main les battements de son cœur, et l’huis céda sous le coup de pied féroce du Major.

Celui-ci tenait à la main un pistolet fumant, avec lequel il venait de tuer la sonnette. Ses chaussettes moutarde insultaient au monde entier.

— J’ai tué cette sale bête, dit-il. Vous jetterez la charogne.

— Mais, dit la sœur de Léobille.

Puis elle fondit en larmes, car la sonnette était avec eux depuis si longtemps qu’elle faisait partie de la famille. Elle s’enfuit en pleurant dans sa chambre, et le Major, ravi, esquissa un entre-chien-et-loup, puis remit son pistolet dans sa poche.

Léobille arrivait. Plein d’innocence, il tendit la main au Major.

Le Major y déposa une énorme cochonnerie, qu’il venait de ramasser devant la porte de l’immeuble.

— Pousse-toi, mec, dit-il à Léobille d’une voix tremblante.

— Dis-moi… Tu ne vas rien casser…

— Je vais tout casser, dit le Major froidement en montrant les dents.

Il s’approcha de Léobille et lui vrilla les orbites d’un regard insoutenable de son œil de verre.

— Alors, tu racontes que je travaille, mec ? dit-il. Tu dis que je deviens honnête ? Tu te permets des trucs comme ça ?

Il respira profondément et rugit.

— Mec, ta surprise-partie, tu peux dire qu’elle va être un tout petit peu fumante !…

Léobille pâlit. Il tenait toujours la chose que le Major avait mis dans sa main et n’osait pas bouger.

— Je… Je ne voulais pas te vexer…, dit-il.

— Ferme ça, mec, dit le Major. Pour chaque parole de trop, il y aura une majoration.

Puis il glissa son pied droit derrière les jambes de Léobille, lui donna une poussée brutale et Léobille s’effondra.

Les invités n’avaient pas remarqué grand-chose. Ils dansaient, et buvaient et bavardaient, et disparaissaient par couples dans les pièces libres, comme dans toute surprise-partie réussie.

Le Major se dirigea vers le buffet. Non loin de là, Folubert, toujours désespéré, se rongeait dans le fauteuil. Au passage, le Major le souleva par le col de son veston et le mit sur ses pieds.

— Viens boire, lui dit-il, je ne bois jamais seul.

— Mais… Je ne bois jamais… moi, répondit Folubert.