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— Je ne dis pas ça non plus, mademoiselle Rosa, votre ami, le coiffeur pour dames doit être un Parisien.

— Vous l’avez deviné.

— Aïe.

— Qu’est-ce qui vous prend, monsieur Charlot ? Vous vous êtes fait mal ?

— Pas précisément, mademoiselle Rosa, mais je souffre de l’aveu que vous venez de me faire. Car, si votre amoureux est à Paris, je suppose que c’est pour le voir que vous êtes venue.

— Vraiment, monsieur Charlot, pas besoin d’avoir inventé l’eau tiède pour comprendre ça.

— En effet.

— Même que d’ici vingt minutes je m’en vais vous tirer ma révérence pour aller retrouver mon amant.

— Vous ne ferez pas ça.

— Eh bien, ce serait du propre si je ne le faisais pas. Il s’en passerait des choses. Tenez, j’aime mieux vous dire tout de suite… et puis non. Vous ne pouvez pas comprendre. Pour ce qui est de plaisanter avec vous, monsieur Charlot, je ne demande pas mieux. On pourra se revoir un jour, plus tard. Mais pour ce qui est de ce que vous pensez, rien à faire.

Surmontant non sans peine la griserie du champagne, Rosa, qui, au brusque rappel du rendez-vous qu’elle avait sans doute avec son amant, se leva, entrebâilla la fenêtre pour respirer un peu d’air frais, puis alla devant une glace rectifier sa coiffure, redresser son chapeau.

Juve la regardait faire, perplexe, indécis.

Au cours de sa visite au château du marquis de Tergall, il avait étudié l’entourage des châtelains et s’était tout d’abord convaincu qu’il ne fallait suspecter personne dans leur domesticité. Il avait toutefois réservé son opinion sur la femme de chambre, qui, à certains détails, lui avait parue digne d’être étudiée.

Or, Juve n’était pas satisfait du résultat de sa ruse.

Rien jusqu’alors, dans la conduite de Rosa ne démontrait qu’il s’agissait de quelqu’un d’autre qu’une petite personne gentille et coquette, faisant normalement son service de femme de chambre et égayant son existence monotone d’une affection amoureuse.

Le célèbre inspecteur de la Sûreté était cependant trop bon psychologue pour ne pas avoir remarqué à certains détails que la jeune soubrette n’avait pas tout à fait les allures d’une domestique, elle avait en elle en même temps quelque chose de plus raffiné et de singulièrement bas. Flairant un mystère dans cette vie, Juve n’avait pas hésité à accompagner la camériste jusqu’à Paris.

Tandis que le policier réfléchissait en silence, Rosa s’était préparée et se disposait à partir, Juve ne la retint pas.

— De quel côté, demanda-t-il, descendez-vous ?

— Je vais prendre l’autobus. Oui, je descends dans le centre de Paris, mais, je vous en prie, n’essayez pas de me suivre.

Et comme pour donner une compensation à Juve, elle ajouta presque suppliante :

— Promettez-moi que nous nous reverrons. Tenez, par exemple, demain soir, ici même, si vous voulez. Nous dînerons encore ensemble, et je serai moins méchante.

— Soit, à demain, surtout ne manquez pas de venir.

***

Rosa s’était à peine éclipsée que Juve s’élança dans la rue.

Le policier se retrouvait assez à temps devant la gare Montparnasse, pour suivre des yeux la gracieuse silhouette de Rosa. Dissimulé derrière un kiosque à journaux, il la vit contourner l’autobus, puis, au lieu de monter dans un des véhicules en station, elle revint sur ses pas et s’engagea délibérément dans la rue de la Gaîté, qui longe la voie du chemin de fer et est célèbre, comme on sait, par les bars interlopes qui s’y trouvent. Juve sentit le cœur lui bondir dans la poitrine. Cette attitude nouvelle de Rosa paraissait tout à fait concluante.

Qu’allait donc faire la jeune femme dans ces régions mal famées ? Il importait de le savoir. Avisant un couloir obscur dont la porte qui donnait sur la rue de la Gaîté était entrebâillée, Juve y pénétra brusquement. En une seconde, il avait retourné son vêtement, jeté son chapeau à terre, avait remplacé celui-ci par une casquette graisseuse prise dans sa poche, puis, enlevant son faux col et ramenant les cheveux sur les tempes, il avait modifié complètement l’aspect de sa physionomie. L’honnête électricien, subitement, s’était transformé en un individu sinistre habitué à fréquenter les quartiers du crime : le Montparnasse et l’Avenue du Maine.

Sous ce nouvel aspect Juve s’élança à nouveau dans la rue et se heurta presque dans un groupe de jeunes voyous qui commentaient à haute voix le passage auprès d’eux, quelques instants auparavant, de la jeune femme de chambre :

— Mince alors, disait l’un d’eux, la voilà joliment requinquée la dénommée Mirette.

— Penses-tu que c’est Mirette ?

— Si c’est elle, j’en mettrais ma main au feu. Je parie une chopine que j’ai raison.

Et sans attendre la réponse, l’apache courut derrière la jeune femme, suivi de ses acolytes, auxquels Juve emboîta le pas.

Le policier venait d’entendre les propos échangés par les rôdeurs et il était ému au plus haut point de la révélation qu’il avait surprise, il pensait :

— Rosa est connue de ces individus ; d’après eux, elle s’appelle Mirette. S’ils ne se trompent pas, c’est la piste.

Il fut vite édifié. Les jeunes apaches avaient entouré Rosa. Et le plus jeune lui lançait à brûle-pourpoint :

— Dis-le voir sans blaguer, que tu n’es pas Mirette ?

— Caltez, vous autres, dit la jeune femme, j’ai pas le tempérament à me faire attiger par des zigues de votre espèce. Débinez, ou je fais du foin.

Ils s’écartèrent et Rosa en profita pour bondir hors du cercle et fuir à toutes jambes.

— Zut alors, lança l’un des apaches, on l’a changée, la Mirette. Sûr qu’elle ne faisait pas la mariolle comme ça quand Bébé était à l’ombre.

— Il est donc sorti, son homme ?

— Il y a déjà une quinzaine de ça, dit un autre. Laisse tomber.

Quelqu’un cependant s’était élancé à la poursuite de la jeune femme de chambre. Ce quelqu’un-là, c’était Juve. Mirette et Bébé n’étaient pas des inconnus pour Juve. Au contraire. Juve, depuis déjà plusieurs mois, était renseigné par les services de la Préfecture sur les exploits d’une bande de malfaiteurs connue sous le nom de « La Bande des Ténébreux ».

Il y avait dans cette association, fort bien organisée d’ailleurs, puisque nul ne connaissait son repaire, quelques anciens clients tels que Bec-de-Gaz, la Mère Toulouche, le Père Grelot, et des nouveaux venus, parmi lesquels : Fleur-de-Rogue, la maîtresse de feu Jean-Marie, Ribonard, l’ancien forçat, et deux jeunes gens : Mirette et Bébé.

Alors, si Rosa était Mirette, la camériste-pierreuse, le fil n’était pas rompu entre Saint-Calais et Montparnasse, entre les Ténébreux et les vols dont Chambérieux, et Tergall avaient été les victimes.

Il fallait risquer le tout pour le tout.

Filer Mirette jusqu’au bout du monde, au besoin.

Ne se doutant en aucune façon de la piste dont elle était l’objet, Rosa dite Mirette, effectuait un étrange parcours. Elle avait gagné les fortifications, puis se penchant sur la tranchée dans laquelle passait le chemin de fer de Ceinture, entre la gare de Montrouge et le tunnel de Montsouris, elle avait longuement attendu.

Juve, dissimulé non loin d’elle, épiait chacun de ses gestes. C’est ainsi qu’il avait vu Rosa se pencher du côté de la tranchée du chemin de fer, puis, au bout de quelques instants, tandis que d’une horloge voisine, douze coups s’égrenaient, le policier avait distingué des ombres suspectes le long de la voie ferrée. Il les avait vues s’aborder, se parler mystérieusement, puis s’enfoncer nous le tunnel.

Cette fois, plus de doute.

Rosa se rendait à un rendez-vous, elle allait à une réunion de malfaiteurs. Juve, désormais, en avait l’absolue certitude.