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— Ainsi soit-il, murmura Fantômas, d’un ton énigmatique, cependant que, modérant à peine son impatience, il reconduisait la jolie veuve hors de son cabinet.

Sur le seuil la marquise de Tergall se heurta presque au commis-greffier qui revenait hors d’haleine.

Le brave Croupan s’effaça poliment pour laisser passer la marquise. Puis il entra dans la pièce.

— L’argent ? demanda Fantômas qui, au fur et à mesure que le temps passait, trépignait d’impatience, perdant toute mesure.

— Je l’ai, déclara le commis-greffier qui jeta sur le bureau du magistrat une liasse de billets soigneusement empaquetés.

Fantômas, déjà, s’en approchait avec un air de triomphe. Enfin, il la tenait, cette fortune, et il l’avait complète. Cinq cent mille francs de la marquise de Tergall, deux cent cinquante mille francs rapportés par le commis-greffier, plus les bijoux, c’était au bas mot un million, un million avec lequel dans deux minutes, dans trois au plus, Fantômas allait disparaître, s’enfuir.

— Allez donc voir dans la pièce à côté, ordonna-t-il au commis-greffier.

Mais celui-ci l’avait interrompu :

— Monsieur le juge, il arrive, il est arrivé.

— Qui donc ?

— L’extradé !

— Où est-il ?

— Dans le couloir. Je viens de le croiser, on dirait qu’il se rend chez le procureur.

— Chez le procureur, s’écria Fantômas qui, pris d’une inquiétude subite, bondit à l’entrée de son cabinet.

Croupan avait dit vrai.

Le faux Pradier arriva juste à temps pour apercevoir la silhouette du mystérieux extradé entre ses deux gendarmes, extradé que l’on conduisait en effet chez le procureur et que tout le monde croyait être Fantômas. Or, le vrai Fantômas avait reconnu l’extradé de Louvain qui n’était autre que Juve.

— Juve, murmura le bandit, je m’en doutais, j’en étais sûr, c’est Juve qui est là. Mais il me reste encore au moins deux minutes, et, d’ici deux minutes…

Fantômas rebroussa chemin, écartant d’un geste brusque le commis-greffier stupéfait.

Revêtant son pardessus, coiffant son chapeau, il s’apprêtait à fourrer dans ses poches la fabuleuse fortune qu’il avait réunie à portée de sa main lorsque le brave Croupan l’interpella doucement :

— Monsieur le juge sort ?

— Oui, Croupan. J’en ai pour cinq minutes. Un rendez-vous urgent.

Mais Croupan secoua la tête.

— Il n’y a rien à faire, monsieur, le Palais est consigné, cerné de tous les côtés. Nul ne peut le quitter en ce moment.

— Que racontez-vous là ? interrogea Fantômas blafard. Cette consigne que j’ignore ne concerne pas les magistrats.

— Mais si, monsieur, et je viens de l’apprendre à l’instant de l’adjudant de gendarmerie. Personne ne sort, pas même le président du tribunal.

— Pas même le juge d’instruction ? haleta le faux Pradier.

— Pas même le juge d’instruction, répondit le commis-greffier.

Fantômas demeurait immobile, les poings serrés, la gorge sèche.

— Qui a donné cet ordre ? demanda-t-il.

— Je ne sais pas, monsieur, je suppose que c’est M. le procureur général.

La sonnerie du téléphone intérieur qui reliait entre eux les cabinets et les bureaux des divers magistrats retentit soudain, impérative.

Croupan se précipita au récepteur cependant que Fantômas, qui allait et venait dans la pièce comme une bête traquée au fond de son antre, s’arrêta machinalement, l’oreille tendue.

— Allô, allô, dît le commis-greffier, qui, après quelques minutes prit un ton respectueux pour répondre :

— C’est une affaire entendue, oui, monsieur le procureur général. Parfaitement, monsieur le procureur général. Je m’en vais lui faire la commission, comptez sur moi, monsieur le procureur général.

Fantômas interrogea :

— Le procureur me demande ?

— C’est-à-dire, répliqua le greffier en raccrochant le récepteur, que M. le procureur a dit que vous l’attendiez dans votre cabinet. Il arrive dans un instant.

Fantômas était devenu horriblement pale. Qu’allait-il faire ?

Assurément Juve avait parlé, c’est à peine s’il lui restait quelques secondes pour édifier un plan pour se défendre.

On frappa.

— Croupan, fit-il, allez ouvrir.

Le bandit, machinalement, fouillait la poche de son veston, caressant la crosse de son revolver.

— Après tout, se dit-il, il me restera toujours la possibilité…

La personne qui avait frappé, c’était le gardien de la prison.

— Monsieur le juge, dit-il en ôtant sa casquette, me voici.

— Que vous faut-il ? interrogea Fantômas qui, jusqu’au dernier moment, ne voulait point défaillir, ne rien laisser paraître de ses angoisses.

Le gardien poursuivait avec le calme d’un homme qui ignore les événements et ne se doute point qu’il évolue au milieu des drames les plus formidables.

— Je venais, reprit-il, prendre avec vous, monsieur le juge, les dispositions relatives à l’incarcération de Fantômas. Hier soir, M. le procureur m’a fait dire qu’on allait exercer à l’égard de ce prisonnier une surveillance toute spéciale et que c’était à vous qu’il appartenait d’en régler les détails.

Et Fantômas, malgré son trouble, ne put s’empêcher de sourire à l’ironie des choses. Ainsi c’était à lui que l’on venait demander des instructions pour mettre sous bonne garde l’insaisissable Fantômas.

Soudain, son visage s’illumina :

— Asseyez-vous, fit-il au gardien chef de la prison, écoutez.

Puis, comme Croupan demeurait au milieu de la pièce, Fantômas, qui sans doute désirait être seul, ordonna au commis-greffier :

— Vous, allez dans le couloir guetter M. le procureur général, et sitôt que vous l’apercevrez se dirigeant vers mon cabinet, vous viendrez me le dire.

Et, se tournant vers le gardien chef de la prison, Fantômas commença :

— Voici comment vous procéderez. Lorsqu’on vous aura livré Fantômas, écoutez bien…

30 – LE SOURIRE DE JUVE

Depuis près d’une heure, Juve causait avec M. Anselme Roche, l’énergique procureur général du tribunal de Saint-Calais.

Juve, assis dans un grand fauteuil, dans une posture de quiétude et de calme, contrastait par son attitude avec l’agitation extrême du magistrat.

Tandis que M. Anselme Roche fulminait, levait les bras au ciel, assenait de violents coups de poing sur son bureau d’où les paperasses tombaient en désordre, Juve, au contraire, demeurait souriant, tranquille, serein. Il avait cet air radieux qui lui était propre lorsque après de longues enquêtes, de terribles fatigues, d’invraisemblables dangers, il arrivait enfin au but que se proposait son inlassable énergie.

Juve souriait et vraiment Juve pouvait sourire.

À peine les deux gendarmes qui l’accompagnaient l’avaient-ils conduit au cabinet du procureur que celui-ci, sans même que Juve ait eu à intervenir, les avait congédiés. Les gendarmes partis, M. Anselme Roche, d’une voix rauque, d’une voix tremblante, avait commencé à interroger celui qu’il prenait pour Fantômas.

— Asseyez-vous, avait dit le procureur.

C’était contraire à tous les usages, car un magistrat n’a guère l’habitude de faire asseoir les prévenus ou les inculpés qu’il mande à son cabinet : Juve en avait été surpris, et flegmatiquement avait répondu :

— Vous êtes trop aimable.

M. Anselme Roche avait repris :

— J’irai droit au but, Fantômas. Comment se fait-il que vous ayez ce matin même servi les intérêts de la justice en faisant une enquête extraordinaire à Bessé-sur-Braye ? Que savez-vous du crime que vous y avez découvert ? Que voulez-vous dire ? Que voulez-vous avouer ?

Juve avait écouté sans sourciller les questions que lui posait nerveusement son interlocuteur.