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« — Oui, monsieur le juge.

« — Savez-vous, m’a demandé alors M. Pradier, qui est ce prisonnier ?

« — Je lui cri répondu : « Oui, monsieur Pradier, je sais que c’est Fantômas. » « Bien, qu’il m’a dit alors, écoutez : vous croyez que c’est Fantômas ? Or, ce n’est pas lui, c’est un policier qui, provisoirement, a pris sa place pour des raisons que vous n’avez pas à connaître, et ce policier n’est autre que le célèbre inspecteur Juve. »

— Est-ce exact, monsieur le procureur général ?

— C’est exact, déclara le magistrat d’une voix tremblante, et M. Pradier ne vous a dit que la vérité jusqu’à présent.

Le gardien chef avait un soupir de satisfaction :

— Eh bien, tant mieux, fit-il, cela me plaît mieux, j’avais peur d’avoir fait une gaffe.

— Continuez, Jacquinet.

— Je continue, monsieur le Procureur… Pour lors, M. Pradier m’a dit : « L’extradé que l’on amène et qui passe aux yeux de tous pour être Fantômas, n’est donc autre que M. Juve. Comme il faut que tout le monde l’ignore, lorsque les gendarmes vous amèneront le détenu, vous le mettrez dans une cellule à part et vous le surveillerez en personne ; vous aurez l’air de faire la plus grande attention à ce prisonnier, car, je vous le répète, il faut que tout le monde soit convaincu que c’est bien Fantômas qui est enfermé sous votre garde. Toutefois, comme il s’agit de M. Juve, lorsque minuit sonneront, vous vous rendrez à sa cellule, vous lui ouvrirez la porte et vous le ferez sortir de la maison d’arrêt, et ceci dans le plus grand mystère, avec les plus grandes précautions. Il ne faut pas qu’on le voie, qu’on le sache, avez-vous bien saisi ? »

Sans doute, l’excellent gardien chef avait bien compris les subtiles recommandations du faux Pradier, et Juve et le procureur qui entendaient le gardien chef remémorer ces instructions de Fantômas avaient bien compris aussi.

Ah ! cette fois, l’audace du bandit et son habileté se manifestaient d’extraordinaire façon. Pourquoi diable le Roi du Crime avait-il donné un tel ordre au gardien de la prison ?

Oh, ce n’était pas difficile à comprendre, si l’on admettait pour un moment que Fantômas était l’homme des résolutions rapides, des décisions spontanées.

Lorsqu’il avait été pour ainsi dire cerné dans son cabinet, Fantômas s’était rendu compte que toute fuite était impossible, il avait compris que Juve, en allant chez le procureur, allait le démasquer et que d’un instant à l’autre on allait venir l’arrêter.

Or, Fantômas avait dû se demander ce qu’on ferait de lui si on l’appréhendait et conclure que vraisemblablement on l’enverrait en prison. Si donc il parvenait à s’échapper, ce ne pouvait être qu’après avoir passé par la prison.

Alors, une idée merveilleuse avait germé dans l’esprit du bandit. Il avait donné des ordres tels au gardien chef, qu’il avait réussi à se rendre plus libre en prison que partout ailleurs. Juve et le procureur comprenant enfin la ruse demeuraient consternés. Le procureur général se ressaisit et, s’adressant au gardien chef, il questionnait encore :

— Continuez donc, Jacquinet, dites-nous l’histoire jusqu’au bout, qu’avez-vous fait à minuit ?

Le gardien chef répliquait simplement :

— J’ai ouvert à M. Juve. Qu’auriez-vous fait à ma place ?

Juve, atterré, ne prononça pas une parole, il se serra la tête entre les mains. Le procureur général ne trouvait rien à dire non plus. Une pensée lui vint soudain et toute la rage qu’il contenait en lui-même jusqu’alors éclata :

— Mais, bougre d’imbécile, hurla-t-il en foudroyant du regard l’infortuné gardien qui reculait terrifié jusqu’au fond de la pièce, mais, bougre d’imbécile, vous ne vous êtes donc pas aperçu que le prisonnier que l’on vous a amené était le juge d’instruction avec lequel, une heure auparavant, vous veniez de vous entretenir ?

Le haut magistrat serait devenu subitement fou que Jacquinet ne l’aurait pas regardé avec plus d’ahurissement. Il écarquilla les yeux, stupéfait, ouvrit une bouche immense, resta quelques instants paralysé de stupeur.

Mais Jacquinet avait du bon sens et de la logique. Il se reprit, et, interrogeant à son tour, il observa :

— Pardon, monsieur le procureur général, pardon, je ne sais pas si je viens de faire une bêtise, c’est possible, mais, pour ce qui est de me dire que le prisonnier d’hier soir et M. le juge d’instruction c’étaient la même personne, non, jamais de la vie. Je connais bien M. Pradier, avec sa barbe, sa moustache, ses favoris, ses grands cheveux grisonnants et bouclés, sa bonne figure cordiale. Or, l’homme que m’ont remis les gendarmes avait un visage anguleux, des yeux rudes, la face complètement rasée, ce n’est pas M. Pradier. C’était bien une tête de policier, j’ai tout de même un peu de flair, et, sans l’avoir jamais vu, j’ai reconnu Juve.

Le procureur se retourna vers l’inspecteur de la Sûreté :

— Monsieur Juve, déclara-t-il, vous entendez ce sinistre crétin, il vous a reconnu.

Et, cependant que le procureur se tordait les mains dans un geste d’accablement et que Jacquinet, de plus en plus abasourdi, regardait alternativement le magistrat, puis le personnage inconnu que M. Anselme Roche venait d’appeler Juve, l’inspecteur de la Sûreté se leva. Très calme, presque avec ironie, il déclara :

— Il y a des malchances qui s’acharnent sur des gens et véritablement la nôtre est exagérée. Vous ne pouvez pas incriminer ce gardien d’avoir commis cette erreur, monsieur le procureur général. Il a obéi aux ordres de son chef, et il a bien fait. Nous avions pris Fantômas, il s’est évadé, soit. Mais il part démasqué, sans argent, traqué de toutes parts. Au fond, peut-être cela vaut-il mieux. Sa fuite, réelle désormais, lorsque nous l’aurons repincé, nous évitera toutes sortes de formalités, car nous le repincerons, monsieur le procureur général, j’en ai la certitude, nous le repincerons.

Un coup discret à la porte du cabinet.

— Entrez, fit le magistrat.

C’était un télégraphiste qui apportait une dépêche.

— Monsieur le procureur, demanda ce jeune homme.

Anselme Roche s’avança, prit la dépêche.

— Tenez, fit-il en tendant le papier à Juve, c’est pour vous.

L’adresse du télégramme était ainsi libellée :

Procureur général de Saint-Calais, pour remettre à Juve, inspecteur de la Sûreté.

Juve déchira le pointillé et, de sa voix grave, lut le texte du télégramme, qui était ainsi conçu :

Fantômas s’est sauvé de prison, mais je suis sur ses traces. Fandor.

La dépêche était datée d’Orléans.

— Eh bien, monsieur Juve, que pensez-vous ? interrogea le procureur.

Juve ne répondit pas. Il prit en hâte son pardessus, son chapeau, puis, une fois prêt, revint vers le magistrat, s’inclina devant lui :

— Monsieur le procureur général, déclara Juve, je pense que les minutes sont précieuses et que je n’ai plus un instant à perdre pour rattraper Fantômas. J’ai bien l’honneur de vous saluer.

FIN