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Dès que le travail ne peut plus être converti en capital, en argent, en rente foncière, bref en pouvoir social capable d'être monopolisé, c'est-à-dire dès que la propriété individuelle ne peut plus se transformer en propriété bourgeoise, vous déclarez que l'individu est supprimé.

Vous avouez donc que, lorsque vous parlez de l'individu, vous n'entendez parler que du bourgeois, du propriétaire. Et cet individu-là, certes, doit être supprimé.

Le communisme n'enlève à personne le pouvoir de s'approprier des produits sociaux; il n'ôte que le pouvoir d'asservir à l'aide de cette appropriation le travail d'autrui.

On a objecté encore qu'avec l'abolition de la propriété privée toute activité cesserait, qu'une paresse générale s'emparerait du monde.

Si cela était, il y a beau temps que la société bourgeoise aurait succombé à la fainéantise, puisque, dans cette société, ceux qui travaillent ne gagnent pas et que ceux qui gagnent ne travaillent pas. Toute l'objection se réduit à cette tautologie qu'il n'y a plus de travail salarié du moment qu'il n'y a plus de capital.

Les accusations portées contre le monde communiste de production et d'appropriation des produits matériels l'ont été également contre la production et l'appropriation des oeuvres de l'esprit. De même que, pour le bourgeois, la disparition de la propriété de classe équivaut à la disparition de toute production, de même la disparition de la culture de classe signifie, pour lui, la disparition de toute culture.

La culture dont il déplore la perte n'est pour l'immense majorité qu'un dressage qui en fait des machines.

Mais inutile de nous chercher querelle, si c'est pour appliquer à l'abolition de la propriété bourgeoise l'étalon de vos notions bourgeoises de liberté, de culture, de droit, etc. Vos idées résultent elles-mêmes du régime bourgeois de production et de propriété, comme votre droit n'est que la volonté de votre classe érigée en loi, volonté dont le contenu est déterminé par les conditions matérielles d'existence de votre classe.

La conception intéressée qui vous fait ériger en lois éternelles de la nature et de la raison vos rapports de production et de propriété – rapports transitoires que le cours de la production fait disparaître -, cette conception, vous la partagez avec toutes les classes dirigeantes aujourd'hui disparues.

Ce que vous admettez pour la propriété antique, ce que vous admettez pour la propriété féodale, vous ne pouvez plus l'admettre pour la propriété bourgeoise.

L'abolition de la famille! Même les plus radicaux s'indignent de cet infâme dessein des communistes.

Sur quelle base repose la famille bourgeoise d'à présent? Sur le capital, le profit individuel. La famille, dans sa plénitude, n'existe que pour la bourgeoisie; mais elle a pour corollaire la suppression forcée de toute famille pour le prolétaire et la prostitution publique.

La famille bourgeoise s'évanouit naturellement avec l'évanouissement de son corollaire, et l'une et l'autre disparaissent avec la disparition du capital.

Nous reprochez-vous de vouloir abolir l'exploitation des enfants par leurs parents? Ce crime-là, nous l'avouons.

Mais nous brisons, dites-vous, les liens les plus intimes, en substituant à l'éducation par la famille l'éducation par la société.

Et votre éducation à vous, n'est-elle pas, elle aussi, déterminée par la société? Déterminée par les conditions sociales dans lesquelles vous élevez vos enfants, par l'immixtion directe ou non de la société, par l'école, etc.? Les communistes n'inventent pas l'action de la société sur l'éducation; ils en changent seulement le caractère et arrachent l'éducation à l'influence de la classe dominante.

Les déclamations bourgeoises sur la famille et l'éducation, sur les doux liens qui unissent l'enfant à ses parents deviennent de plus en plus écoeurantes, à mesure que la grande industrie détruit tout lien de famille pour le prolétaire et transforme les enfants en simples articles de commerce, en simples instruments de travail.

Mais la bourgeoisie tout entière de s'écrier en choeur: Vous autres, communistes, vous voulez introduire la communauté des femmes!

Pour le bourgeois, sa femme n'est autre chose qu'un instrument de production. Il entend dire que les instruments de production doivent être exploités en commun et il conclut naturellement que les femmes elles-mêmes partageront le sort commun de la socialisation.

Il ne soupçonne pas qu'il s'agit précisément d'arracher la femme à son rôle actuel de simple instrument de production.

Rien de plus grotesque, d'ailleurs, que l'horreur ultra-morale qu'inspire à nos bourgeois la prétendue communauté officielle des femmes que professeraient les communistes. Les communistes n'ont pas besoin d'introduire la communauté des femmes; elle a presque toujours existé.

Nos bourgeois, non contents d'avoir à leur disposition les femmes et les filles des prolétaires, sans parler de la prostitution officielle, trouvent un plaisir singulier à se cocufier mutuellement.

Le mariage bourgeois est, en réalité, la communauté des femmes mariées. Tout au plus pourrait-on accuser les communistes de vouloir mettre à la place d'une communauté des femmes hypocritement dissimulée une communauté franche et officielle. Il est évident, du reste, qu'avec l'abolition du régime de production actuel, disparaîtra la communauté des femmes qui en découle, c'est-à-dire la prostitution officielle et non officielle.

En outre, on a accusé les communistes de vouloir abolir la patrie, la nationalité.

Les ouvriers n'ont pas de patrie. On ne peut leur ravir ce qu'ils n'ont pas. Comme le prolétariat de chaque pays doit en premier lieu conquérir le pouvoir politique, s'ériger en classe dirigeante de la nation, devenir lui-même la nation, il est encore par là national, quoique nullement au sens bourgeois du mot.

Déjà les démarcations nationales et les antagonismes entre les peuples disparaissent de plus en plus avec le développement de la bourgeoisie, la liberté du commerce, le marché mondial, l'uniformité de la production industrielle et les conditions d'existence qu'ils entraînent.

Le prolétariat au pouvoir les fera disparaître plus encore. Son action commune, dans les pays civilisés tout au moins, est une des premières conditions de son émancipation.

Abolissez l'exploitation de l'homme par l'homme, et vous abolirez l'exploitation d'une nation par une autre nation.

Du jour où tombe l'antagonisme des classes à l'intérieur de la nation, tombe également l'hostilité des nations entre elles.

Quant aux accusations portées d'une façon générale contre le communisme, à des points de vue religieux, philosophiques et idéologiques, elles ne méritent pas un examen approfondi.

Est-il besoin d'une grande perspicacité pour comprendre que les idées, les conceptions et les notions des hommes, en un mot leur conscience, changent avec tout changement survenu dans leurs conditions de vie, leurs relations sociales leur existence sociale?

Que démontre l'histoire des idées, si ce n'est que la production intellectuelle se transforme avec la production matérielle? Les idées dominantes d'une époque n'ont jamais été que les idées de la classe dominante.

Lorsqu'on parle d'idées qui révolutionnent une société tout entière, on énonce seulement ce fait que, dans le sein de la vieille société, les éléments d'une société nouvelle se sont formés et que la dissolution des vieilles idées marche de pair avec la dissolution des anciennes conditions d'existence.

Quand le monde antique était à son déclin, les vieilles religions furent vaincues par la religion chrétienne. Quand, au XVIIIe siècle, les idées chrétiennes cédèrent la place aux idées de progrès, la société féodale livrait sa dernière bataille à la bourgeoisie, alors révolutionnaire. Les idées de liberté de conscience, de liberté religieuse ne firent que proclamer le règne de la libre concurrence dans le domaine du savoir.