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— Hélène, vous m’aimez toujours ?

La jeune femme le regarda de ses grands yeux, Jérôme Fandor lut la réponse qu’il désirait :

— Venez, venez, j’ai remarqué un petit bois tout à côté. Là, nous serons tranquilles.

***

Vingt minutes plus tard, Jérôme Fandor et la fille de Fantômas étaient installés dans une verte prairie et causaient à voix basse, tendrement pressés l’un contre l’autre.

Hélène, secouait la tête et calmait Jérôme Fandor :

— Vous êtes méchant, disait-elle, vous devriez savoir, mon pauvre ami, que si je vous ai fait de la peine, cela a été bien involontaire. Je n’y suis pour rien. Il n’y a nullement de ma faute dans ce qui est arrivé.

— Allons donc !

— Écoutez-moi Fandor, et vous jugerez.

Et la jeune fille, alors, fit à Jérôme Fandor l’hallucinant récit de ses dernières aventures.

À un moment donné, Fandor l’interrompit :

— Ma pauvre chère Hélène, quand je pense que cet infâme gredin de don Eugenio vous a réellement enlevée !

— Vous vous trompez Fandor, déclarait la fille de Fantômas. Don Eugenio n’est pas un infâme gredin, c’est au contraire un galant homme, un très galant homme.

— Pour Dieu, Hélène, répondez-moi, vous l’aimez donc ? Comment pourriez-vous le défendre si ce n’était pas ? Il vous a fait enlever. Ah, vous l’aimez !

— Vous êtes fou, je n’aime pas don Eugenio, je ne peux pas l’aimer, puisque je vous aime. Voyons, laissez-moi parler et vous comprendrez.

Encore tremblant de jalousie, Jérôme Fandor se jetait à genoux aux pieds de celle qu’il adorait :

— Parlez, alors, par pitié, parlez ! Hâtez-vous, vous me faites souffrir mille supplices !

— Ne vous tourmentez donc pas.

Et elle poursuivit son récit :

— Don Eugenio est un galant homme, Fandor, pour la bonne raison que, m’ayant fait enlever, ce qui était en effet une sorte de lâche attentat, il s’est immédiatement rendu compte, dès qu’il s’est trouvé en face de moi que je n’étais pas la femme qu’il croyait et qu’il se déshonorerait à user de violence à mon endroit. Don Eugenio s’est conduit en parfait gentilhomme, en s’excusant de toute son âme de m’avoir fait enlever et, dès lors, il a employé avec moi les procédés les plus délicats. Pourtant je l’aime si peu, Fandor, que si vous m’avez rencontrée à Irun, c’est que je guettais le convoi royal où il doit se trouver pour y monter et lui faire une violente scène de reproches.

Et comme Fandor la regardait, n’ayant plus l’air de comprendre du tout ces paroles, Hélène, après un éclat de rire, poursuivit :

— Donc, Jérôme Fandor, tombée entre les mains de don Eugenio, j’obtins d’être respectée par lui. Ce gentilhomme m’aurait sans doute immédiatement remise en liberté si, à cet instant, il ne m’avait proposé un pacte étrange, s’il ne m’avait demandé de lui rendre le plus extraordinaire des services.

— Lequel ? mon Dieu.

— Don Eugenio, mon cher Fandor, se trouve être l’oncle d’une certaine jeune fille, nommée Mercédès, à laquelle il porte une vive affection et qui cependant lui cause de terribles tourments. Cette Mercédès, sa nièce, est la fille d’un de ses frères, mort récemment, et laissant après   lui   une   fortune   considérable.   Naturellement, Mercédès avait hérité ou du moins, allait hériter et être mise en possession de cette fortune au moment où je connaissais l’infant. Or, Mercédès, sous le nom de la Recuerda, vivait une vie de débauche à Paris parmi les pires apaches.

— Je sais. Après ?

— Oh, c’est bien simple, ripostait Hélène. Don Eugenio me proposait ceci : il me suppliait d’accepter de passer aux yeux de tous pour sa nièce, pour cette Mercédès, puis, de me prêter à la comédie d’une mort fictive : « J’obtiendrais ainsi, disait-il, un acte de décès au nom de Mercédès de Gandia. Cet acte de décès dûment acquis, empêchera que la fortune de mon frère ne soit dilapidée par Mercédès, actuellement insensée. Je ne désespère pas de ramener ma nièce au bien, je voudrais pouvoir hériter à sa place, et par conséquent, pouvoir lui sauvegarder une fortune que je lui remettrai au moment de son repentir.

— Et vous avez accepté ?

— J’ai d’abord hésité. Je me suis renseignée, j’ai voulu savoir si don Eugenio était honnête homme. C’est seulement quand j’ai été convaincue que réellement il ne cherchait point à capter la fortune de sa nièce pour son intérêt propre que je me suis prêtée à la comédie qu’il désirait. C’est moi et non pas Mercédès qui ai fait la morte, à Paris, chez don Eugenio. C’est moi que l’on a mise en bière sous le nom de Mercédès. Mais bien entendu, en fait, c’est une bière pleine de sable que l’on a ensevelie au cimetière, à ma place.

***

Ils causaient encore l’un et l’autre, Hélène et Fandor, longuement, de l’aventure extraordinaire d’Hélène.

— Voyez-vous, disait la fille de Fantômas, je n’ai pas à regretter d’avoir rendu service à don Eugenio, car c’est grâce à lui que j’ai pu savoir votre captivité d’abord, votre condamnation ensuite. C’est moi qui ai téléphoné à Dupont de l’Aube qu’un Français était prisonnier à l’Escurial. C’est moi ensuite qui, grâce à don Eugenio, grâce à son argent, ai pu acheter le bourreau et obtenir qu’il ne vous exécute pas réellement. Je ne savais pas, bien entendu, que Juve s’occupait de son côté à vous sauver.

Et comme Fandor couvrait de baisers fous les mains de la jeune fille, Hélène continuait son récit :

— Par exemple, Fandor, depuis votre sauvetage, don Eugenio n’a pas été charmant à mon endroit. Le pauvre homme est sans doute terrifié par la crainte perpétuelle d’un scandale, car, le jour même où vous étiez arraché au garrot à Madrid, j’étais, moi, bel et bien appréhendée par des serviteurs de l’infant et conduite dans un couvent dont je n’ai pu m’échapper qu’il y a deux jours seulement.

Hélène allait encore ajouter un mot, donner d’autres explications, lorsque soudain, elle bondit sur ses pieds, poussait une exclamation de colère et de surprise à la fois :

— Ah mon Dieu, mon Dieu ! Regardez !

— Quoi ? qu’est-ce qu’il y a ?

Fandor s’était levé, aussi inquiet, prêt déjà à repousser une attaque.

Et soudain, il éclata de rire, cependant qu’à côté de lui, Hélène riait elle aussi.

— Ah, zut, tant pis, ma foi, dit Fandor.

Hélas, les deux jeunes gens, oublieux de l’heure, apercevaient, filant à toute allure, un train de luxe qui venait de quitter la gare d’Irun.

— Ma foi, tant pis. Oui, vraiment, tant pis. Juve se débrouillera à Paris… Et puis, je vous ai retrouvée, ma chère Hélène, que m’importe le reste ?

30 – L’INFANT D’ESPAGNE AU PIED DU MUR

Ce matin-là, Juve arriva avec son air le plus renfrogné au bureau de la Sûreté générale. Avant de se rendre au cabinet de M. Havard, il passa en divers services, et sans en avoir l’air, sous prétexte de serrer quelques mains amies, il fit causer les employés.

C’est ainsi qu’au service de la voirie et de la surveillance de la rue, Juve apprenait d’un sous-brigadier ce qu’il savait déjà d’ailleurs et dont il voulait la confirmation, que c’était ce même jour, à six heures cinquante du soir, qu’allait arriver à Paris le roi d’Espagne accompagné de plusieurs grands personnages de sa suite.

Le souverain et son entourage se rendaient en Angleterre sans s’arrêter à Paris, ils devraient simplement le traverser et se rendre de la gare d’Orsay à la gare du Nord pour y trouver la correspondance de Calais.

Juve, qui écoutait avec attention ces détails, apprenait encore du sous-brigadier de service qu’on avait réglé pour cette petite cérémonie un protocole discret et commandé quelques voitures automobiles qui devraient transporter, sans attirer particulièrement l’attention de la foule, le roi d’Espagne et sa suite de la gare d’Orsay à la gare du Nord.