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Juve s’intéressait tout particulièrement à ce voyage du souverain espagnol, car il savait que le roi était accompagné d’un personnage qui n’était autre que l’infant don Eugenio, don Eugenio que Fandor, inspiré par Juve, avait dû rejoindre déjà à la frontière espagnole et qu’assurément il devait serrer d’aussi près que possible.

Juve, satisfait des renseignements qu’il venait d’obtenir, quitta le sous-brigadier et montant un étage, parvint au bureau somptueux occupé par M. Havard.

Le policier ne se dissimulait pas, en entrant chez le chef suprême de la Sûreté, qu’il aurait été fort satisfait d’être plus vieux de dix minutes. Juve, en effet, avait demandé à son chef une autorisation qui, d’abord avait fait bondir celui-ci. Mais cela ne troublait pas autrement Juve qui lui avait répété nettement qu’il tenait au plus haut point à obtenir l’autorisation sollicitée.

Or, Juve avait tout simplement demandé la permission de procéder à l’interrogatoire, et si besoin en était, à l’arrestation de l’infant d’Espagne.

Juve estimait, en effet, bien que l’enquête à laquelle il se livrait sur les mystérieuses affaires de Mercédès de Gandia et du pont Caulaincourt n’eût guère avancé depuis une quinzaine de jours, que don Eugenio devait avoir une importante part de responsabilité dans ces extraordinaires aventures.

Juve avait exposé nettement sa thèse depuis quelques jours déjà à M. Havard qui avait déclaré qu’il ne déciderait rien du tout sans en avoir référé au gouvernement.

Juve devait avoir la réponse le matin même.

— Eh bien ? interrogea-t-il, en entrant dans le bureau de M. Havard.

Celui-ci eut une mine ennuyée en voyant arriver l’inspecteur de la Sûreté :

— Eh bien Juve, répondit-il, c’est non ! Les membres du gouvernement ont discuté la question hier et sont tombés d’accord sur ce point qu’il fallait laisser l’infant d’Espagne traverser librement le territoire, et cela pour deux raisons : la première, c’est qu’il s’agit là d’un grand personnage, à la culpabilité duquel le gouvernement ne peut pas croire, et qu’en outre, un grand personnage comme don Eugenio ne peut vraiment être appréhendé sans que cette façon d’agir provoque de graves complications diplomatiques. Enfin, il y a un second point, que tout galant homme comprendra : le roi d’Espagne et sa suite traversent le territoire français sous la protection des autorités, ce serait enfreindre les lois de l’hospitalité que de procéder à une arrestation, même officieuse et momentanée, dans de pareilles conditions.

Juve fronça les sourcils, mais n’insista pas. M. Havard poursuivit :

— Il est bien évident que si l’infant d’Espagne se trouvait actuellement à son domicile de Paris, on pourrait agir. Le convoquer à la Sûreté, l’interroger avec tact et discrétion, même au besoin lui faire un peu peur pour le décider à parler. Ce n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui, mais ce n’est peut-être que partie remise.

— En somme, déclarait Juve, ce qui vous fait hésiter d’une façon toute particulière, c’est surtout ce fait que l’infant d’Espagne va traverser aujourd’hui Paris sous le couvert d’une sorte d’immunité diplomatique. Si au contraire il était, pour une période même courte, l’étranger vivant à Paris que nous avons connu et que nous connaîtrons encore, dans son domicile d’Auteuil, rue Erlanger, vous n’hésiteriez pas à m’accorder ce que je vous demande.

— Hum, c’est à peu près cela, mais je ne dis pas que nous n’hésiterions pas. Nous hésiterions moins. Voilà tout.

Juve, à son tour, sourit énigmatiquement, puis il se retira, laissant M. Havard à ses nombreuses occupations. Juve, quittant la Préfecture de Police, suivit les quais, la tête basse, l’air songeur. Visiblement, le policier méditait quelque plan.

L’arrivée du Sud-Express à Paris détermine chaque soir un mouvement important, à la gare d’Orsay. Les voitures et les équipages de luxe attendent, nombreux, cette arrivée dans la cour, cependant que tout le personnel des employés et des manœuvres fait la haie sur le quai de débarquement. Car on sait que les riches clients du train de luxe n’aiment guère porter leurs paquets eux-mêmes à la manière des voyageurs de troisième et qu’ils récompensent par de généreux pourboires les employés qui leur rendent ce service.

Dans le hall de la gare, quelque temps avant l’arrivée de ce train, on voit souvent des groupes élégants, de jolies femmes, des messieurs distingués, qui viennent attendre un ami, un parent, ou même simplement saluer au passage quelque personnalité notoire, car le Sud-Express est le grand trait d’union qui réunit le sud de l’Europe au nord, et par lequel arrive même de l’ancien continent une grosse partie de la grosse clientèle espagnole, portugaise ou sud-américaine.

Trois superbes limousines automobiles étaient rangées un peu à l’écart sous la marquise vitrée de la gare. Elles avaient été retenues pour le roi d’Espagne et sa suite et, au milieu de la foule de curieux qui attendaient pour savoir quels allaient être les personnages que l’on verrait monter dans ses somptueuses limousines, allaient et venaient quelques hommes aux allures de militaires en civil, aux fortes moustaches, aux mains rouges.

— Ils sont vraiment méconnaissables, dit ironiquement quelqu’un.

Ce quelqu’un, d’ailleurs, avait quelque raison pour reconnaître les policiers, car c’était Juve. Il s’approchait d’un gros homme, qui allait et venait, très affairé :

— Bonjour, Morel, dit-il.

L’homme s’arrêta. C’était un commissaire de police que Juve connaissait depuis fort longtemps.

Tous deux se congratulèrent, puis, cependant que le commissaire s’éclipsait, informant d’un air important qu’il avait des ordres à donner, Juve se rapprocha des mécaniciens qui causaient, sans toutefois s’être écartés de leur voiture.

Il avisa le pilote de la limousine verte et lui fit un clignement d’œil. Le chauffeur, à son tour, reconnaissait Juve et lui répondait par une respectueuse inclinaison de tête.

C’était un agent de la Sûreté qui avait son brevet de mécanicien et qui allait, non point piloter la voiture, mais se tenir sur le siège à côté du mécanicien.

— Alors, lui dit paternellement Juve, on pilote les têtes couronnées aujourd’hui ?

— Ma foi oui, monsieur l’Inspecteur, fit le jeune homme en souriant, c’est nous qui emmenons le roi d’Espagne.

— Ils seront combien dans sa voiture ?

— Trois : le roi, son aide de camp et le secrétaire.

— Et alors, poursuivit Juve, qui donc prendra la limousine bleue ?

L’agent de police esquissa un geste vague, cependant, il déclara :

— Un parent du roi, un infant d’Espagne avec deux autres personnes qui l’accompagnent.

Juve s’écarta. Il était évident qu’il avait recueilli des renseignements qui pouvaient lui être utiles. Puis, après avoir disparu dans la foule, il revenait près des voitures, attendant leur clientèle. Toutefois, il ne s’adressait plus à son premier interlocuteur, il venait conférer mystérieusement avec le pilote de la seconde voiture, et quiconque aurait considéré cet homme, aurait pu reconnaître que sous la livrée élégante et discrète dont il était revêtu, se dissimulait Michel, le collègue de Juve.

Les deux hommes échangèrent quelques mots en hâte et leur rapide entretien s’acheva par cette affirmation de Michel :

— C’est entendu, c’est compris, patron. Vous pouvez compter sur moi.

***

Le Sud-Express avait du retard et ce fut seulement quarante minutes après l’heure régulière que la grosse machine remorquant le convoi entra dans la gare, silencieuse, comme figée dans une respectueuse immobilité.

D’un premier wagon-lit, le roi d’Espagne sautait lestement à terre et, de son air perpétuellement aimable, saluait d’un geste large la foule qui s’écartait sur son passage.

Le jeune souverain était élégamment vêtu d’un pardessus mastic, il était coiffé d’un chapeau mou noir et à la boutonnière de son vêtement, il portait, par déférence pour le pays dont il était l’hôte, une large rosette de la Légion d’honneur.

Quelques jeunes hommes, fort élégants eux aussi, aux yeux noirs, aux visages bruns, sautaient du wagon sur le quai, suivaient le souverain.