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— Je l’ai manqué, en effet, répliqua l’infant d’Espagne, que va dire le roi ?

— Sa Majesté comprendra fort bien ce qui s’est passé. Je m’en vais, de votre part si vous le voulez bien, lui adresser une dépêche explicative. Demain matin vous pourrez repartir.

— Demain matin ? s’écria l’infant, n’y a-t-il donc point de train ce soir ?

— Il n’y a pas de train, monseigneur, avant demain matin neuf heures.

Une demi-heure après l’automobile de Juve amenait l’infant d’Espagne rue Erlanger. Don Eugenio s’était résigné à son malheureux sort, sur les instances de Juve qui lui conseillait vivement d’aller coucher à son domicile plutôt que de se rendre à l’hôtel ; il avait décidé d’aller passer la nuit à son domicile parisien où, même lorsqu’il était absent, la maison était toujours tenue en ordre et prête à le recevoir.

Arrivé à Auteuil, Don Eugenio remercia Juve, chaleureusement.

Celui-ci se retirait, mais à peine avait-il quitté la maison qu’il avisait des silhouettes dissimulées dans l’ombre. Il se rapprocha de ces mystérieux personnages, puis, allant de l’un à l’autre, il leur recommanda :

— Attention, vous autres, et que l’infant ne sorte point d’ici sans que je sois prévenu. Je ne fais d’ailleurs qu’aller et venir et je serai de retour à l’aube.

Et Juve s’éloignait, préoccupé, perplexe. S’il avait pu apercevoir l’infant d’Espagne quelques instants après qu’il eût pénétré dans son hôtel de la rue Erlanger, Juve n’aurait pas été aussi soucieux.

Don Eugenio avait trouvé dans son cabinet un courrier important, il l’avait dépouillé lui-même. Et parmi la correspondance du grand seigneur une lettre semblait particulièrement intéresser don Eugenio. Cette lettre, il la lut, la relut, puis la lut encore. L’infant murmurait en déchiffrant les termes de cette missive :

— J’ai bien fait de venir ici. Heureusement que j’ai manqué le train.

Juve, vers six heures du matin avait pris une résolution définitive.

— L’infant, songeait-il a assez dormi, je vais le faire réveiller, lui parler. Certes, je joue là le tout pour le tout et je risque gros, mais la première partie de mon entreprise a réussi et je ne vois pas pourquoi il en serait autrement de la seconde.

Juve, en effet, était la cause directe et volontaire des divers retards éprouvés la veille au soir par l’infant d’Espagne et le policier seul était parvenu à faire manquer au grand d’Espagne le train de Calais.

C’était lui qui avait commandé à Michel de jeter la limousine bleue sur un camion pour l’immobiliser et cela à seule fin d’avoir l’infant à sa disposition et dès lors, de l’empêcher d’arriver en temps voulu à la gare du Nord.

Guidé inconsciemment par Juve, don Eugenio lui avait obéi et désormais le policier n’avait plus qu’une chose à faire, c’était de jouer cartes sur table et d’interroger l’infant d’Espagne sur les mystérieux événements auxquels il était mêlé.

Au moment où Juve se présentait au somptueux hôtel de la rue Erlanger et qu’il faisait passer sa carte à un des domestiques, le visage de celui-ci s’éclaira :

— Monsieur Juve, l’inspecteur de la Sûreté, s’écria-t-il, ce n’est pas possible ?

— Mais si, pourquoi pas, mon ami ? répliqua le policier.

— Ah, monsieur, fit le serviteur, précisément Son Altesse Royale qui n’a pas fermé l’œil de la nuit, vient de me dire, il y a quelques instants à peine :

— Envoyez tout de suite chercher M. Juve à la Préfecture de police », et j’allais téléphoner lorsque monsieur a sonné.

— Eh bien, fit le policier, vous n’aurez donc pas cette peine.

On l’introduisit dans un salon où il demeura quelques instants seul, attendant l’infant.

— Que peut-il bien avoir à me dire ? pensait Juve.

Don Eugenio, soudain avait surgi dans la pièce, s’était précipité vers le policier. Il avait l’air tout bouleversé, les traits tirés, l’allure d’un homme qui vient de passer par des émotions violentes :

— Ah, monsieur, commença-t-il, en serrant la main de Juve, comme je vous suis reconnaissant d’être accouru aussitôt !

— De quoi s’agit-il ?

Don Eugenio passa la main sur son front, désigna un siège au policier.

— Voilà, dit-il, ce sera un peu long, mais peu importe c’est tellement grave, que si je manque encore mon train, eh bien, je le manquerai, voilà tout. C’est une véritable confession qu’il faut que je vous fasse, monsieur. Voici.

Le policier, très ému, car il sentait instinctivement que les mystères touchaient à leur dénouement, écouta don Eugenio. Celui-ci commença :

— Monsieur, voici un an environ, mon frère est mort, un frère aîné qui avait mené une existence assez mystérieuse et était déjà veuf. Il laissait au monde une nièce, une jolie jeune fille d’une vingtaine d’années environ : Mercédès de Gandia. Sur ma nièce, je comptais reporter toute l’affection que je témoignais à son père. Mais, à peine ai-je fait sa connaissance, car jusqu’alors, monsieur, mon frère et sa fille, avaient vécu en Amérique du Sud, que j’appris quelque chose d’épouvantable. Mercédès était une sorte de folle, de fille perdue. Elle vivait dans un milieu inqualifiable, indépendante, fière, ne subissant aucune influence s’il s’agissait des bonnes et se laissant naïvement duper, dès lors qu’il s’agissait des mauvaises. Mercédès de Gandia, monsieur, se déshonorait au milieu de gens sans aveux. Elle fréquentait la lie de la population, des apaches, des criminels. J’ai tout essayé pour la ramener au bien, je n’y ai pas réussi. Il fallait cependant y parvenir. À la Cour on m’avait donné l’ordre d’éviter tout scandale et alors j’ai essayé, monsieur, quelque chose d’insensé.

L’infant d’Espagne, s’arrêtait un instant, Juve l’encourageait du geste :

— J’ai imaginé, poursuivit don Eugenio de la faire passer pour morte.

— Pour morte ? s’écria Juve, feignant la surprise, alors qu’au fond de lui-même, il s’applaudissait des révélations de l’infant qui venaient éclaircir le mystère au milieu duquel il se débattait.

Don Eugenio expliqua en effet à Juve, par quelques mots, le subterfuge grâce auquel il avait dupé l’administration des pompes funèbres, fait croire à tout Paris que l’on enterrait Mercédès de Gandia alors qu’en réalité on ne mettait dans son cercueil que des sacs de sable.

— Mais, interrogea Juve, quelqu’un, cependant, s’est prêté avec vous à cette supercherie ? Une femme a été montrée comme morte, une femme, d’ailleurs, m’a-t-on dit, monseigneur, qui n’était pas brune comme votre nièce, mais châtain foncé.

— C’est exact, fit-il, et je ne veux rien vous cacher. Je vous ai menti l’autre jour, quand vous m’avez demandé si je n’avais pas, voici quelques mois, fait enlever une jeune fille aux environs de Biarritz. J’ai, en effet, commis ce rapt et, lorsque je me suis aperçu de l’ignominie de ma faute, il n’était plus temps de reculer. La jeune fille était chez moi. Mais elle était si noble et si digne que je l’ai respectée, que j’ai même gagné son pardon. Elle m’a su gré de m’être conduit en galant homme et c’est elle qui, mise au courant par moi du projet que je méditais, m’a aidé à le réaliser.

— Savez-vous qui c’est ?

— Elle s’appelle Hélène.

— Et c’est la fille de Fantômas.

— La fille de Fantômas ? Ah je comprends maintenant ou plutôt je devine, je me rends compte qu’il y avait dans l’existence de cette femme un mystère qu’elle n’a jamais voulu me dévoiler. Mais alors, poursuivit l’infant, si c’est la fille de Fantômas, n’ai-je pas été la victime de son terrible père ?

— Comment cela ?

— À peine avais-je fait le simulacre de l’ensevelissement et laissé croire que Mercédès de Gandia était morte, ce qui me faisait son héritier et me permettait de sauvegarder son immense fortune, que le fameux spectre du pont Caulaincourt se manifestait dans ses étranges apparitions et qu’il surgissait devant divers témoins, semblait nettement vouloir attirer l’attention, non seulement sur le cimetière de Montmartre, mais surtout sur le caveau de la famille de Gandia. Vous savez tout cela, monsieur Juve, je n’y reviendrai pas, qu’il me suffise de vous dire qu’en fait, ce spectre mystérieux a dû arriver à ses fins, lorsqu’on a découvert que la bière dans laquelle on croyait Mercédès de Gandia était vide.