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— C’est juste. Il est bien certain que quelqu’un a eu intérêt à faire découvrir votre supercherie et à montrer ainsi que la tombe de Mercédès de Gandia était vide. La situation, toutefois, est terriblement compliquée. Votre nièce est légalement décédée.

— Non, interrompit l’infant d’Espagne.

— Comment cela ? interrogea Juve. Son acte de décès a été dressé en France, transmis au Consulat d’Espagne.

— Oui, interrompit l’infant et vous imaginez bien, monsieur Juve, que j’ai suivi avec une anxiété sans pareille les diverses phases de cette mystérieuse affaire. Or, il y a quinze jours environ, lorsque j’ai appris les aveux du fossoyeur Barnabé et l’ouverture du cercueil, dans lequel n’était naturellement pas ma nièce, j’ai fait immédiatement annuler purement et simplement en Espagne l’acte de décès de ma nièce. Or, c’est là désormais que la situation se complique.

— Non, au contraire, elle se simplifie.

— Elle se complique, insista l’infant d’Espagne. Tout ce que j’ai entrepris, la machination extraordinaire que j’avais imaginée ne sert non seulement à rien, mais encore a pour but de précipiter les événements.

— Calmez-vous, Monseigneur.

Celui-ci s’arrêta un instant devant le policier, il croisa les bras et le regardant fixement, déclara :

— Avez-vous, quelquefois entendu parler, monsieur Juve, d’une pierreuse, d’une fille perdue, d’une femme apache d’origine espagnole que l’on appelle la Recuerda ?

— Oui, eh bien ?

— Eh bien, lâcha l’infant d’Espagne, la Recuerda n’est autre que ma nièce, Mercédès de Gandia.

— Je l’avais parfaitement compris, monseigneur, depuis le commencement de votre entretien. Au surplus, la Recuerda, autrement dit M lle Mercédès de Gandia, porte un signe distinctif qui permettra toujours de la reconnaître, qui l’empêchera de renier son ascendance. C’est la fameuse veine bleue qui coupe son front en biais, cette veine bleue que l’on retrouve sur le vôtre, monseigneur, et dans les portraits de tous vos ancêtres.

— Monsieur Juve, j’ai encore quelque chose à vous apprendre. Ah nous avons été bien joués, mais ce que je redoutais le plus va se produire, se produit. Je vous ai dit que si j’avais voulu faire disparaître, en apparence tout au moins, Mercédès de Gandia, c’était afin d’hériter officiellement de sa fortune et pouvoir ainsi la protéger. Je me disais qu’un jour ma nièce, revenue à de meilleurs sentiments, aurait au moins la satisfaction d’être riche. Mercédès de Gandia est perdue, monsieur, perdue pour toujours, elle et sa fortune.

— Pourquoi cela ?

— Parce que Mercédès de Gandia se marie, elle épouse le baron Nicolas Stolberg.

— Le baron Stolberg ?

Un coup discret venait d’être frappé à la porte, le domestique se présentait :

— Que Votre Altesse m’excuse, fit-il, en s’adressant à l’infant d’Espagne, mais il y a là un monsieur qui sait que M. Juve est ici et qui demande à lui parler de toute urgence.

Le domestique tendait une carte à Juve, celui-ci y jeta les yeux, mais à peine avait-il lu qu’il sursauta. Le visiteur qui s’annonçait ainsi, c’était Fandor.

31 – LA CÉRÉMONIE INTERROMPUE

— Eh bien voilà, fit Fandor qui s’asseyait dans un fauteuil où l’infant d’Espagne, après de hâtives présentations, faites par Juve, l’invitait à prendre place.

Le policier interrogea son ami :

— D’où viens-tu ?

— De piquer un galop, mon cher Juve, qui m’a mis en transpiration. D’ailleurs, depuis quarante-huit heures, je n’ai pas fermé l’œil et tel que vous me voyez, je descends du train et j’arrive de la frontière où j’ai manqué monseigneur. Mais j’ai retrouvé Hélène, et c’est quelque chose, et même beaucoup. J’ai dû, toutefois, l’abandonner sitôt arrivé à Paris, car je tenais à vous voir, Juve, dans le plus bref délai. J’ai quelque chose de très important à vous annoncer.

— Tu peux parler, Fandor, devant monseigneur.

— Donc, poursuivit le journaliste qui obéissait à l’invite de Juve, en descendant du train à la gare d’Orsay, j’ai rencontré Bouzille. Le brave chemineau m’a appréhendé au passage. Il m’attendait, assurait-il, sachant que j’allais arriver. Comment le savait-il ? Je l’ignore, mais peu importe. Toujours est-il qu’il m’a dit…

— Parle, Fandor.

— Eh bien, déclara enfin Fandor, il m’a dit, prouvé, non seulement que Fantômas gravite autour de nous depuis déjà plus de quinze jours à Paris, mais encore ce que nous ignorions, il a ajouté : Fantômas est le baron Stolberg.

— Évidemment.

— Quoi, cela ne vous surprend pas, Juve ?

— Non, Fandor, fit le policier, car nécessairement Fantômas devait être le baron Stolberg et cela nous donne la clé du mystère. Oui, poursuivit Juve en se levant, tout s’explique désormais. Fantômas a dû manigancer cette affaire de longue date, il a surpris, connu vos projets, monseigneur. Il a su dans quel esprit généreux, élevé vous aviez décidé de faire passer pour morte votre nièce Mercédès, afin de la sauvegarder. Il a facilement identifié la personnalité de M lle de Gandia, avec celle de la pierreuse connue dans le monde des apaches sous le nom de La Recuerda. Il a su que, vivante, elle était propriétaire d’une immense fortune et il s’est dit ceci : je l’épouserai, j’en ferai ma femme, je deviendrai, par suite, le propriétaire de ses biens inestimables dont hérite actuellement l’infant d’Espagne et qu’il sera obligé de restituer s’il est démontré que sa nièce est vivante. Fantômas, alors, sous divers déguisements, a organisé toute son affaire. N’osant pas vous accuser au grand jour d’avoir faussement enterré Mercédès de Gandia, il a inventé le fantôme du cimetière Montmartre, et, tout en commettant les vols et les crimes sous le couvert de cette apparition, il a, en semant l’épouvante au pont Caulaincourt, attiré l’attention générale sur la tombe de la jeune princesse, et obtenu ce qu’il voulait, à savoir : les aveux de Barnabé et l’ouverture du cercueil.

— Et, poursuivit l’infant abasourdi par ces révélations qui ne laissaient rien dans l’ombre, j’ai été moi-même au-devant de ses désirs en faisant annuler l’acte de décès de Mercédès de Gandia. Dès lors, plus rien ne s’oppose au mariage de Mercédès de Gandia avec le soi-disant baron Stolberg.

Fandor, qui, depuis quelques instants, écoutait avec une surprise croissante les déclarations de Juve, ne put s’empêcher d’interroger :

— Mais, que chantez-vous là ? Fantômas a l’intention d’épouser la nièce de don Eugenio ?

— Tais-toi, fit Juve, je t’expliquerai plus tard ce que tu ne comprends pas.

Puis, serrant les poings, le policier se tourna vers l’infant et déclara :

— Nous empêcherons ce mariage, monseigneur !

À ce moment, la sonnerie du téléphone retentit. Don Eugenio se précipita sur l’appareil.

— Allô, allô, oui, c’est moi. Ah mon Dieu, murmura-t-il, ce n’est pas possible ! Si. Que dites-vous ? j’entends bien, en effet. Ah, mon Dieu !

À l’autre bout du fil, hélas, on parlait en espagnol, mais Juve connaissait suffisamment cette langue, pour comprendre. Lorsque la conversation fut terminée, les deux hommes se regardèrent.

— Eh bien ? interrogea Fandor, furieux d’être ainsi laissé à l’écart, me direz-vous ce dont il s’agit ?

Juve se tournait vers lui :

— Il y a, fit-il, que l’on vient de téléphoner à Son Altesse du consulat d’Espagne, pour l’informer que deux personnes venaient d’apporter leur certificat de mariage, célébré ce matin même à la mairie du VIII e arrondissement. On a cru devoir en avertir don Eugenio, car il s’agit de M lle Mercédès de Gandia qui vient de s’unir légalement au baron Stolberg.