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— Comment est-ce possible, demanda Fandor ?

— Mercédès de Gandia, orpheline, émancipée et majeure depuis quelques mois déjà, avait parfaitement le droit de s’unir sans solliciter le consentement de personne. Quant à Fantômas, il a dû produire des papiers parfaitement en règle pour que l’union du baron Stolberg soit des plus régulières.

Juve paraissait désespéré.

— C’est fait, déclara-t-il, nous arrivons trop tard !

Mais don Eugenio sursauta :

— Peut-être pas, fit-il. Si la loi française ne reconnaît que le mariage civil, la loi espagnole veut, pour que l’union soit régulière, qu’il soit accompagné du mariage religieux.

Juve se précipita sur le téléphone, redemanda le consulat d’Espagne :

— Fantômas, grommelait-il, doit ignorer ce détail.

Lorsqu’il eut la communication, le policier la passait à don Eugenio :

— Demandez-leur, dit-il, s’ils n’ont pas connaissance d’une cérémonie religieuse quelconque.

L’infant posa la question, puis lâcha l’appareil, et d’une voix blanche, il murmura :

— Fantômas a pensé à tout, il se marie aujourd’hui à midi précis à l’église de la Madeleine.

Juve bondit, mais Fandor consulta sa montre :

— Onze heures trois quarts, déclara-t-il, peut-être avons-nous encore le temps !

***

C’était une belle matinée de printemps et un soleil radieux illuminait la ville. La circulation intense des boulevards fut soudain arrêtée pendant quelques minutes, alors que toutes les horloges du voisinage marquaient midi. Un long cortège de voitures arrivaient au grand trot devant l’église de la Madeleine, sur les marches de laquelle on avait déployé un vaste tapis rouge. Le porche de l’église était orné de plantes vertes et de superbes gerbes de fleurs qui répandaient à l’entour de délicieux parfums. Par la grande porte de l’église, ouverte à deux battants, on apercevait la nef, toute scintillante de cierges allumés, cependant que les grandes orgues entonnaient une marche nuptiale. Une foule assez nombreuse était déjà dans le chœur de l’église et attendait avec impatience, semblait-il, l’arrivée du cortège. Depuis quelques instants déjà, à la foule des invités et des curieux deux hommes s’étaient mêlés, qui éprouvaient une vive émotion : c’étaient Juve et Fandor.

Le journaliste et le policier, un quart d’heure auparavant, s’étaient précipités comme des fous hors du somptueux hôtel de l’infant d’Espagne. Ils avaient la chance de trouver tout de suite un taxi-auto qui les conduisait à toute vitesse à l’église de la Madeleine et ils y pénétraient quelques instants avant l’arrivée du cortège. Ils avaient interrogé les suisses à l’entrée de l’église, on leur avait répondu qu’il s’agissait bien du mariage de M. le baron Stolberg avec M lle Mercédès de Gandia. Et dès lors, Juve et Fandor s’étaient regardés, interdits, stupéfaits, car ils s’attendaient peu à cette réponse.

Certes, ils croyaient à l’audace de Fantômas, ils connaissaient par expérience la folle témérité du bandit, mais jamais ils n’auraient imaginer qu’il serait assez audacieux, assez fou, pour risquer une pareille aventure et venir se marier ainsi à la face de tous, sous le nom qui le déguisait à peine, de baron Stolberg.

Juve et Fandor, lorsqu’ils faisaient le trajet d’Auteuil à la Madeleine, avaient, après discussion, conclu que cela était impossible. Ils avaient supposé qu’en arrivant à la Madeleine, ils verraient les prêtres unir un tout autre couple.

Or, ils avaient été détrompés. C’était bien le mariage du baron Stolberg et de Mercédès de Gandia que la religion catholique allait consacrer. Juve s’était avancé le plus près possible de l’enceinte réservée aux futurs époux et à leur famille. D’un œil fixe, il considérait les deux fauteuils dorés à parements de velours avancés sur la nef au pied du chœur, et dans lesquels, d’ici quelques instants, les mariés viendraient prendre place.

Juve frémissait de tout son être. Fandor serrait les poings. Les deux hommes, anxieux, attendaient.

Cependant, à l’entrée de l’église, le cortège s’était formé. Juve et Fandor voyaient alors, cependant que l’église s’emplissait de chants superbes, un spectacle extraordinaire : la mariée paraissait la première au bras d’un vieil homme que le policier et le journaliste ne connaissaient aucunement. Ils le regardèrent d’ailleurs fort peu. Leur attention se fixait sur la future épouse du baron Stolberg et tous deux demeuraient interdits, plus troublés qu’auparavant, plus perplexes aussi. L’un et l’autre connaissaient Mercédès pour l’avoir vue à maintes reprises et dans les circonstances les plus diverses. Certes, la future épouse baissait la tête, dans une attitude si recueillie qu’il était impossible de distinguer les traits de son visage que dissimulait d’ailleurs un long voile, mais rien, dans sa silhouette, dans sa tournure, ne rappelait la fiancée. Mercédès était fine, menue, élégante, gracieuse, la mariée, au contraire, était grande, carrée d’épaules, sans grâce et vraisemblablement sans charme. Était-il possible qu’une robe nuptiale modifiât à ce point la silhouette d’une femme ?

La surprise de Juve et Fandor allait en s’accroissant. Derrière l’épousée, au bras d’une dame également inconnue d’eux, s’avançait un homme en habit, le fiancé, le futur mari, le baron Stolberg à coup sûr.

— Eh bien, non, déclara Fandor, ça n’est pas lui. J’ai vu bien des fois Fantômas et il ne saurait, en aucune façon, se donner l’allure de ce jeune homme fluet, mince, aux mains petites, à la peau délicate.

Juve avait la même impression :

— J’ai vu une fois Fantômas en baron Stolberg, ce n’est pas lui.

La cérémonie, toutefois, commençait. Les membres du cortège s’étaient installés dans l’enceinte réservée à la famille, et il semblait à Juve, que, volontairement ou non, tous ces gens en s’asseyant se serraient les uns contre les autres, semblaient faire une sorte de barrière, séparant du public les deux futurs époux qui venaient de s’installer dans les grands fauteuils qui leur étaient réservés.

Au dehors, les cloches sonnaient à toute volée, cependant que, dans la grande nef, tout embaumée d’un encens qui montait en nuages floconneux et épais vers les voûtes, la cérémonie commençait. Les prêtres, selon l’ordonnance, s’étaient avancés un par un et l’officiant, revêtu de ses plus beaux vêtements du culte, commençait les rites sacrés, assisté de deux enfants de chœur.

Cependant qu’on célébrait la messe, Juve et Fandor, de plus en plus interloqués, s’interrogeaient à voix basse :

— Ce ne sont pas eux, murmurait Fandor.

— Ce sont eux. Regarde plutôt derrière toi, regarde !

Et, d’un geste imperceptible, le policier montrait à Fandor, perdus dans l’assistance, quelques silhouettes suspectes de gens mal famés, d’êtres mal réputés, la bande de Fantômas. Et Juve poursuivit :

— Nous ne savons pas où est Fantômas, mais Fantômas est là. Chaque seconde qui s’écoule nous rapproche du moment fatal où le mariage du baron Stolberg avec Mercédès de Gandia sera définitivement consommé, tant au point de vue de la loi française que de la loi espagnole. Or, nous avons juré à don Eugenio que nous empêcherions cette sinistre aventure de se produire : nous l’empêcherons à tout prix.

— Juve, murmura Fandor qui, du coin de l’œil suivait les diverses étapes de la cérémonie, cela va être fait. Le prêtre s’approche d’eux. Il leur donne une bague. Juve que faites-vous ?

Fandor poussa un cri qui fit se retourner l’assistance. Le policier avait bondi. Avec violence, il écarta les gens qui lui barraient le passage, fonça sur la haie d’individus qui, dans le chœur, constituaient une barrière vivante le séparant des deux époux. Et Fandor s’élançait derrière lui, sans savoir ce qu’ils allaient faire, mais n’ayant à ce moment qu’un but, qu’une pensée, agir comme agirait Juve, lui prêter main forte.

Le prêtre s’était reculé, il balbutia encore machinalement quelques paroles, celles qui consacraient l’union définitive. Les deux époux, rapidement, avaient échangé leurs bagues, leur mariage était achevé. Mais, à ce moment, Juve se précipitait sur l’homme qui jouait le rôle de l’époux et l’appréhendait par le bras.