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— Au nom de la Loi, déclara-t-il.

Le policier n’acheva pas. C’était, dans l’église, une clameur immense, une bousculade insensée. Tout le monde se précipita, des cris retentirent :

— Au voleur ! à l’assassin ! c’est un fou. Au secours !

Fandor, toutefois, avait eu le temps de voir ce qui s’était passé. Plus rapide que l’éclair, au moment où Juve avait bondi sur le futur époux, la mariée, sortant de dessous son voile un poignard, en avait frappé le policier. Elle visait au cœur. Juve, par bonheur, n’avait été atteint qu’au bras. Mais le voile s’était soulevé, et Fandor, malgré son audace, en apercevant le visage de la femme, avait reculé d’effroi. Mais il réagissait aussitôt, se précipitait sur la mariée au moment où elle s’enfuyait, il la retenait par sa robe, celle-ci se déchira. Et alors, on vit dans le chœur de l’église de la Madeleine, un spectacle inoubliable, extraordinaire et stupéfiant : la robe entière de la mariée se détachait, le voile tombait aussi, et, sous ce pur vêtement, apparaissait une silhouette noire, celle d’un homme enveloppé d’un long maillot qui moulait les formes de son corps. D’un geste brusque, il avait abattu sur son visage un loup noir qui lui masquait les traits.

Mais, quoique le geste eût été rapide, Fandor avait reconnu le Monstre, et il hurlait :

— Fantômas !

Et, dès lors, il comprenait. Décidément, l’ingéniosité du bandit était invraisemblable, inépuisable. Oui, Fantômas avait tout prévu. Il s’était douté que, peut-être, ses adversaires seraient là au moment où il accomplirait l’acte le plus audacieux de sa formidable carrière : son mariage avec la nièce de l’infant d’Espagne.

Et, pour les induire en erreur une fois de plus, il avait revêtu des vêtements de femme, une robe de mariée. Cependant que Mercédès de Gandia, travestie en homme, jouait à côté de lui le rôle du baron Stolberg.

— Fantômas ! répéta Fandor.

Et il se précipita sur lui, mais le bandit, avec une agilité surprenante, avisant un lustre au-dessus de sa tête, s’y cramponna, y grimpa avec une souplesse de gymnaste consommé.

La silhouette noire de Fantômas se perdit un instant dans le scintillement des cierges allumés auxquels se mêlaient des ampoules électriques, puis, ce fut soudain un vacarme épouvantable, cependant que, d’une hauteur de deux mètres environ, un bolide lumineux s’écroulait à terre, tombant sur Mercédès de Gandia qu’il écrasait. C’était le lustre qui venait de se détacher, arraché de son câble soit par le poids de Fantômas, soit parce que celui-ci, calculant son but, en avait tranché la corde.

Les invités, terrorisés, abasourdis, auxquels se mêlaient de nombreux complices de Fantômas, assistaient encore à un spectacle plus extraordinaire.

Rapidement, Fantômas s’enlevait au bout du câble où pendait le lustre quelques instants auparavant. Il montait vers les voûtes avec la plus grande facilité. En effet, les lustres des églises sont soutenus par des contrepoids, et dès que Fantômas, plus léger que le lustre, s’agrippait à la corde, celle-ci, grâce aux contrepoids, montait jusqu’au sommet des voûtes.

Par deux fois, Fandor déchargeait sur le terrible bandit son revolver dont la détonation résonna sous l’église sonore. Mais il était si tremblant qu’il manqua son but. Un éclat de rire strident lui répondit, cependant qu’une voix terrifiante, pleine de menace, une voix tragique comme celle du Jugement Dernier, hurlait du haut de l’église :

— Juve et Fandor ! Vous ne me tenez pas encore. Nous nous retrouverons. À bientôt !

FIN

[1] - « Cocher », avec une nuance injurieuse. Le mot vient d’un cocher nommé Collignon qui assassina un de ses passagers en 1855. (Note de PMV).

[2] - Le bagne de la Nouvelle-Calédonie. (Note de PMV).

[3] - «  Liqueur hygiénique pour le dessert » à base d’alcool et de camphre inventée par François-Vincent Raspail. Il en donna la recette dans son Manuel de la santépublié en 1857. (Note de PMV).

[4] - On trouve le mot dès le début du XIXe siècle, dans le sens de « peur ». Il passera ensuite dans l’argot du théâtre : avoir le taff, ou le taffetas, c’est avoir le « trac ». (Note de PMV).

[5] - Femme sensible, entends-tu le ramage / De ces oiseaux qui célèbrent leurs feux ?Cette chanson provient de Ariodant(1798), drame en 3 actes mêlé de musique, de François-Benoît Hoffmann et Étienne-Nicolas Méhul. Femme sensiblefut l’un des grands succès de André Baugé qui la reprit dans les années 1930. (Note de PMV).

[6] - Le Palais de Justice à Paris. (Note de PMV).

[7] - Ou arnache, ou encore arnaque, terme d’argot qui désignait un individu fourbe et retors, et par extension un policier en civil. Le Nouveau dictionnaire complet du jargon de l'argot, ou Le langage des voleurs  de Halbert (1849) indique pour arnaquela définition : agent de sûreté. (Note de PMV).

[8] - La chandelle. (Note de PMV)

[9] - Terme d’argot : Une bonne affaire. (Note de PMV).

[10] - Chiffonnier, en argot. (Note de PMV).

[11] - Construite en 1839 par l’architecte Lemaire à la place du célèbre café Hardy, la Maison d’Orou Maison Dorée, située à l’angle de la rue Laffitte et du boulevard des Italiens, fut longtemps un haut lieu des nuits parisiennes. Toutefois, elle avait déjà disparu en 1912, année où parut le présent épisode de Fantômas. C’était un bureau de poste depuis 1909. C’est aujourd’hui le siège social de la BNP. (Note de PMV).

[12] - Vol qui consiste en ce que des compères bousculent une personne qui vient de toucher de l’argent et la volent. (Supplément au dictionnaire de Littré). (Note de PMV).

[13] - L’Argot des Poilusde François Dechelette (1918, republié en 2004, ed. Slatkine, Genève) indique également Cherrer dans le boudin, dans les bégonias, dans les glaïeuls, dans les géraniums : exagérer une plaisanterie.(Note de PMV).

[14] - Les taxis parisiens lancèrent une grève de près de trois mois entre décembre 1911 et février 1912. Dans Le Figarodu 7 janvier 1912, on pouvait lire : «  La grève des taxi-autos continue depuis plus de quarante jours. Et les grévistes affectent de trouver impitoyable et malveillante une société capitaliste qui leur refuse le tarif de nuit à dix heures du soir. » Ce mouvement social inspira même un tableau humoristique dans la Revue des Folies-Bergère. (Note de PMV).

[15] - Les agressions au vitriol, crapuleuses ou passionnelles, étaient monnaie courante à l’époque, principalement perpétrées par des femmes. On pouvait lire dans Le Figarodu 19 août 1910 : Les jurés parisiens sont tellement familiarisés avec les affaires de vitriol que l’odieux et la lâcheté des vengeances à l’acide sulfurique leur échappent à ce point qu’ils n’hésitent pas souvent à accorder leur indulgence aux vitrioleuses. (Note de PMV).

[16] - Les voitures de cercleétaient des véhicules de luxe, aux roues caoutchoutées, parfois strictement réservés aux membres de certains cercles privés, parfois exerçant librement sur la voie publique. Contrairement aux fiacres appartenant à une compagnie, et pour des raisons de discrétion, les voitures de cercle ne portaient pas de numéros. (Note de PMV).

[17] - Absinthe servie dans un petit verre. (Note de PMV).