Выбрать главу

— J’arrivé trop tard, souffla Fandor.

Il s’approcha de la bête et, bien qu’elle fût encore fort effrayée, parvint à la saisir.

— À mon tour de l’enfourcher.

Fandor n’était point, à vrai dire, excellent cavalier. Cependant, il sauta sur le cheval, fouilla de longues minutes le quartier de Grenelle, cherchant aussi bien à retrouver la fugitive qu’à découvrir le malheureux palefrenier qui devait assurément se lamenter sur la perte de sa bête.

Vaines recherches.

De guerre lasse, au bout d’une heure d’efforts, Fandor s’en alla au premier poste de police qu’il aperçut :

— Monsieur le brigadier, expliqua le journaliste à l’agent qu’il trouvait fort occupé à jouer aux cartes, voici un cheval que je vous amène, qui vient d’être volé et que j’ai pu heureusement rattraper.

— Et alors, quoi ? lui demanda le brigadier, qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse de votre cheval ? Vous ne vous imaginez pourtant pas que je m’en vais le garder au poste ? À la fourrière !

Et Fandor eut beau parlementer, s’insurger, supplier, courir même à deux autres postes de police, il ne pouvait arriver à se débarrasser du cheval.

De guerre lasse, il finit en effet par mener la bête à la fourrière.

— Décidément, dit-il à l’employé qui lui délivrait un récépissé, si jamais je retrouve un cheval égaré sur la voie publique, comment donc que je m’empresserai de ne pas le recueillir. Ah zut alors ! c’est trop amusant de traîner jusqu’à quatre heures du matin pour arriver à s’en défaire !

Or, tandis que Fandor effectuait ainsi d’abord ses recherches, puis enfin sa promenade mélancolique à travers Paris jusqu’à la fourrière, la bande des apaches se reformait dans un bouge de Grenelle.

L’enthousiasme était à son comble. On applaudissait la Recuerda, on la portait presque en triomphe :

— Bravo la môme, à ta santé !

— Très bien la Recuerda, à ton honneur !

— Fameux, fameux, ah, ce qu’il a dû rigoler le palefrenier !

Et les petits verres succédaient aux petits verres, on buvait joyeusement la sacoche, dans le bouge empesté, aux âcres relents de fumée, à la clientèle inquiétante. D’ailleurs, nul ne se cachait parmi Bec-de-Gaz, Mort-Subite, Œil-de-Bœuf, Bébé, la Recuerda, et tous les autres, d’avoir fait un coup.

Seul, un homme, le visage intelligent et dur, la mine grave, n’avait rien dit, continuait à boire.

Et cet homme-là, qui regardait la Recuerda, murmurait :

— Cette veine bleue qu’elle a au travers du front, ah ça, c’est bizarre. Mais on dirait un véritable signe de famille.

Et cet homme grave, cet homme qui demeurait dans l’ombre et auquel nul n’avait encore prêté attention, portait un nom de terreur et de sang, un nom qui faisait trembler les apaches.

Cet homme, c’était Fantômas !

4 – LE MARCHÉ TERRIBLE

Ce matin-là, comme neuf heures venaient de sonner, Jean, le fidèle domestique de Juve, avait éprouvé une vive surprise, en ouvrant la porte de l’appartement que le policier occupait désormais, au n° 1 ter de la rue Tardieu, appartement qu’il avait en quelque sorte conquis sur Fantômas, le jour où, avec son sang-froid extraordinaire, traversant le miroir, il avait arraché Fandor à une mort qui semblait inévitable.

Jean s’était trouvé tout bonnement face à face avec son maître, avec Juve en personne, un Juve calme, flegmatique et pourtant pressé comme à son ordinaire.

— Seigneur Dieu, s’écriait alors le brave homme en levant le bras au ciel, est-ce bien possible que ce soit monsieur qui revienne ? Je commençais à être inquiet.

Juve avait haussé les épaules, tendu une lourde valise à Jean.

— Porte cela dans mon cabinet. Allez, dépêche, apporte-moi tout le courrier, et je n’y suis pour personne, sauf naturellement pour Fandor.

D’où venait Juve ?

Certes, Jean, qui était habitué depuis de longues années aux manières incompréhensibles de son maître eût été curieux de le savoir, mais il connaissait trop l’horreur qu’éprouvait le policier à l’égard des bavardages inutiles pour se permettre la moindre question.

Jean était fort peu renseigné. Il en eût appris davantage s’il avait pu écouter le monologue furieux auquel se livrait Juve en s’épongeant vigoureusement dans la salle de bains et en se rhabillant en toute hâte :

— Nom d’un chien de nom d’un chien ! grommelait Juve, j’ai fait arrêter quatre fois mon fiacre et quatre fois de suite je suis entré dans des cabarets et dans des brasseries pour téléphoner à Fandor, où diable peut-il être ? J’aurais pourtant eu joliment besoin de le voir et de m’entendre avec lui. Peut-être sait-il quelque chose. Ah, l’animal qu’a-t-il donc pu devenir ?

Juve s’épongeait toujours, sans souci de l’eau qui ruisselait sur le sol, heureusement dallé, de la salle.

En fait, que s’était-il passé depuis la nuit tragique où Juve s’était trouvé à bord du bateau commandé par Fantômas, puis jeté à la mer, et enfin, par miracle, sauvé du naufrage, mais sauvé d’une façon extraordinaire : sauvé en compagnie de trois personnages qu’il ne s’attendait guère à rencontrer en si fâcheuse posture : Jérôme Fandor, lady Beltham et Fantômas ?

Il s’était alors déroulé sur ce rocher que battait la mer en furie un drame rapide, d’intense horreur. Les doigts crispés, roidis par le froid, déchirés aux anfractuosités des roches, lady Beltham avait lâché prise la première sous l’assaut d’une vague monstrueuse. La superbe amoureuse de Fantômas avait roulé à l’abîme sans que Fandor ou Juve, qui voisinaient avec elle, eussent eu le temps de la retenir, de l’arracher au gouffre.

En une seconde, d’ailleurs, une autre chute à l’abîme avait succédé à celle de la grande dame. Fantômas n’avait pas vu disparaître celle qu’il aimait d’amour malgré tout, qu’un rire hideux et sarcastique s’était échappé de sa gorge et que, montrant le poing à Juve et à Fandor, il s’était, lui aussi, laissé rouler au bas des roches, emporté dans le tourbillon, avec l’espoir insensé peut-être de sauver lady Beltham.

Qu’était alors devenu Fantômas ?

Juve et Fandor, meurtris, blessés, battus par les lames qui envahissaient le récif, qui menaçaient de les engloutir, n’avaient plus revu le bandit. Le flot qui l’avait arraché de la roche l’avait sans doute fracassé contre les rochers.

Flottant au gré des flots, des morceaux de cordages, des planches, une mâture enfin, frôlèrent le rocher où s’agrippaient Fandor et Juve. Le fracas de la tempête était ni fort à cet instant que les deux hommes ne pouvaient guère causer, mais un regard leur suffisait pour se comprendre. Juve et Fandor lâchaient l’écueil, s’agrippaient à l’épave, se laissaient emporter, eux aussi. Ils pensaient, les deux amis, se sauver ensemble ou périr ensemble, mais le sort en décidait autrement. Plus haute que les autres, plus brutale et plus monstrueuse, une vague accourait du large vers leur radeau improvisé. Fandor se cramponnait à l’un des bouts du mât, Juve à l’autre, la masse d’eau passa, ils furent submergés. Quand elle fut loin, Fandor et Juve devaient se rendre compte, angoissés, que les planches qui les soutenaient s’étaient disjointes et que le courant les avait séparés, qu’ils flottaient, séparés l’un de l’autre, pris par des courants opposés.

Fandor avait été, après toute une nuit d’angoisse, jeté à la côte. Juve, plus heureux, avait été recueilli par un navire qui, faisant route à la voile vers Gibraltar, l’avait déposé dix jours plus tard à la pointe de l’Espagne.

Juve, naturellement, s’était immédiatement enquis de Fandor, avait su que le journaliste miraculeusement sauvé – car c’était miracle que le courant l’eût porté à la côte –, était rentré à Paris. Juve aussitôt, envoyait une lettre à Fandor pour le rassurer, et entreprenait de poursuivre une enquête discrète et rapide.