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Bien entendu, il n’avait pu apprendre ce qu’étaient devenus Fantômas et lady Beltham. Morts ou vivants, ils avaient disparu à nouveau, mais ce n’était pas d’eux que le policier s’était enquis. Juve, profitant de ce qu’il était en Espagne, s’était tout naturellement occupé de retrouver Hélène, la fille de Fantômas, enlevée, il le craignait sans en être certain, par un grand personnage espagnol. Juve, de longs jours, avait fouillé les environs de Madrid, enquêté, interrogé, cherchant à comprendre, à savoir. Ses recherches n’avaient donné aucun résultat. De guerre lasse, la rage au cœur, furieux contre les grands d’Espagne qui, finissait-il par juger, jouissaient véritablement d’une impunité trop grande pour leurs caprices amoureux et criminels, Juve s’était décidé à rentrer à Paris pour s’y concerter avec Fandor, examiner avec lui la situation, chercher d’un commun accord comment on pouvait espérer rencontrer à nouveau Hélène, l’arracher à son ravisseur si besoin en était, et attendre aussi des nouvelles de Fantômas, si Fantômas, comme on pouvait le craindre, avait pu s’échapper et éviter la mort.

Juve dépouilla sans hâte son volumineux courrier. Il trouva des cartes de Fandor, un petit mot dans lequel le journaliste lui apprenait qu’il allait reprendre momentanément son poste au journal La Capitaleet qu’il espérait bien que Juve lui ferait signe dès son retour.

— L’animal, grogna le policier, je ne fais que cela, lui faire signe, mais comme il n’est pas chez lui, c’est exactement comme si je crachais en l’air en chantant Femme Sensible [5].

— Un monsieur qui veut vous parler, dit Jean, qu’on n’entendait jamais marcher.

— Je n’y suis pour personne ! hurla Juve. Tonnerre de nom d’un chien, est-ce que vous ne comprenez plus le français, Jean ? Je vous ai déjà prévenu…

— Assurément, vous n’y êtes pour personne, mais vous devez l’être pour ce monsieur, il m’a dit de vous dire qu’il était ambassadeur.

« Eh, eh, songea Juve, est-ce que, par hasard, la Cour d’Espagne aurait appris quelque chose de mes enquêtes ? »

— Faites entrer, ordonna le policier.

Quelques instants plus tard, Juve voyait se soulever la portière de son cabinet de travail et sursautait, devenu blême, en reconnaissant l’ambassadeur qui pénétrait auprès de lui :

— Vous, vous, vous, Backefelder ! Ah çà, d’où diable sortez-vous ?

Backefelder, car c’était bien l’extraordinaire Américain, le flegmatique « amateur » qui se passionnait pour la lutte que, depuis tant d’années, Juve soutenait contre Fantômas, qui venait d’entrer dans le cabinet de travail du policier, ferma posément la porte, sourit à Juve, puis lui tendit la main :

— Vous allez bien, mon cher maître ?

Mais Juve ne serra pas cette main tendue. Juve plaqua un vigoureux coup de poing sur son bureau, bondit au-devant de l’arrivant :

— Ah çà, hurla-t-il, pourquoi venez-vous me voir ? Qu’est-ce que vous allez encore m’annoncer ? Comment savez-vous que je suis rentré ? Avez-vous des nouvelles de Fandor ?

Backefelder brossait son chapeau, souriait toujours.

— Vous permettez, demanda-t-il, que je prenne un siège ?

Et comme Juve ne répondait pas, il en prit un quand même, s’assit, déclara avec une tranquillité déconcertante :

— C’est un vilain temps, aujourd’hui. Ah, êtes-vous prêt à m’écouter, monsieur Juve ? Je viens en ambassadeur.

— Vous venez en ambassadeur, en ambassadeur de qui ?

Comme s’il eût dit une chose toute naturelle, comme s’il eût fait une commission fort simple et nullement digne de surprendre, Backefelder riposta :

— Je viens, mon cher Juve, en ambassadeur, de la part de Fantômas.

— Mais il est donc encore vivant ?

— Parfaitement, répondit-il, et je vous remercie de l’intérêt que vous lui manifestez. Fantômas se porte bien.

Juve, pourtant, avait empoigné l’Américain par les épaules et le secouait fortement :

— Fantômas se porte bien ? ah çà, vous êtes fou ? Et que venez-vous m’apprendre ? Mais, parlez donc, nom d’un chien, parlez, parlez donc ! Vous me faites mourir !

Backefelder, cependant, éclatait de rire. Il se dégagea de l’étreinte de Juve, le repoussa doucement :

— Je vous répondrai, faisait-il, quand vous cesserez de me secouer comme un arbre et quand vous serez tranquillement assis derrière votre bureau, prêt à m’entendre comme un gentleman que vous êtes.

— Parlez, je suis tout oreilles.

Or, Backefelder venait de tirer son portefeuille et tendait à Juve une feuille de papier blanc, puis un stylographe :

— Cher monsieur, faisait-il, j’ignorais que j’aurais la bonne fortune de vous rencontrer chez vous et je m’étais muni de ces accessoires indispensables à l’accomplissement de ma mission si je vous avais rencontré dehors. Veuillez donc avoir l’obligeance, poursuivait Backefelder, de prendre ce stylographe et d’écrire, de votre plus belle écriture, l’adresse de la fille de Fantômas. Vous mettrez cette lettre sous enveloppe, vous cachetterez si vous n’avez point confiance en ma discrétion, et je porterai le tout au Roi du Crime.

Mais, assurément, Backefelder eût parlé chinois qu’il eût été mieux compris de Juve. Le policier, en effet, à la demande plus que surprenante qui lui était formulée, pensait que la raison l’abandonnait et qu’il était victime d’une invraisemblable hallucination.

— Bon sang ! hurla Juve, que venez-vous me demander là ? Où est la fille de Fantômas ? Pourquoi ? C’est Fantômas qui vous envoie ? S’imagine-t-il que je vais ainsi le renseigner ?

Backefelder, cependant, conservait son calme imperturbable :

— Il se l’imagine, répondait-il, et il n’a point tort, monsieur Juve, car voici la commission dont je suis chargé.

— Mais, où est-il, Fantômas ? interrompit Juve, sacré nom d’un chien, dites-moi où il est ! Il faut en finir !

Juve n’acheva pas. Très maître de lui, Backefelder avait eu un petit signe de la main qui marquait combien il lui semblait absolument impossible de donner satisfaction à la curiosité du détective.

— Juve, vous oubliez nos conventions.

— Quelles conventions, Backefelder ?

— Les conditions dans lesquelles je me trouve, si vous le préférez… Je vous ai déjà dit que j’entendais ne faire œuvre ni de policier ni de bandit. Je ne trahirai pas plus Fantômas vis-à-vis de vous que je ne vous trahirai vis-à-vis de Fantômas. Je vais de l’un à l’autre, voilà tout, en amateur. C’est par exception que j’ai accepté de me charger d’une ambassade auprès de vous.

C’étaient là des propos qui achevèrent de désespérer Juve. Le célèbre policier se leva brusquement, renversant dans son impétuosité son fauteuil, et se promena de long en large.

Backefelder disait la vérité. Jamais, il le savait, l’Américain ne consentirait à lui dévoiler quelle était la retraite de Fantômas. Il était trop honnête, l’extraordinaire Yankee, pour trahir qui que ce fût. Il ne renseignerait pas plus Fantômas sur Juve qu’il ne renseignerait Juve sur Fantômas.

— Achevez, finit par déclarer Juve d’une voix sifflante, dites-moi tout ce que vous avez à me dire, Backefelder, et bon Dieu dépêchez-vous de sortir ensuite, car la pensée que vous venez de la part de Fantômas me bouleverse au point que je ne sais pas si je pourrais être longtemps maître de moi et ne pas…

— J’achève, coupa tranquillement Backefelder.

Et le bizarre amateur poursuivait en effet, d’un ton assuré, comme s’il n’eût point tenu les plus effroyables propos :

— Juve, affirma-t-il, je viens de la part de Fantômas, vous demander l’adresse de sa fille. Fantômas a échappé à la mort lors du naufrage, comme vous devez bien vous en douter. Fantômas ne sait pas où est sa fille et comme vous le savez, vous, il m’a chargé de venir vous demander ce renseignement et j’ajoute…

— Mais bon Dieu, je ne le sais pas, moi où est sa fille, depuis je ne sais combien de temps je la cherche.

Or, au moment où Juve déclarait – ce qui était la vérité – qu’il ignorait où était Hélène, Backefelder s’était levé et un peu de son calme semblait l’avoir abandonné subitement :