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Il avait décidé de s’approcher le plus possible des bipèdes, avec l’espoir que sa venue ne serait pas remarquée et que les efforts qu’il ferait alors pour entrer dans le corps de l’un d’eux passeraient inaperçus. Malheureusement, les nageurs déplacèrent beaucoup d’eau, et le Chasseur s’aperçut très vite que seul un hasard extraordinaire pouvait le servir, car les créatures qu’il surveillait nageaient beaucoup plus rapidement que lui. En examinant de près la situation, il découvrit à côté de lui un large animal fait entièrement de gelée et présentant certaines analogies avec lui. Il s’aperçut également que de nombreuses créatures semblables peuplaient les eaux où il se trouvait. Selon toute évidence les bipèdes ne devaient pas considérer ces animaux transparents comme dangereux puisqu’ils se baignaient tout près d’eux.

Le Chasseur modifia donc sur-le-champ la forme de son corps et son mode de locomotion, afin de prendre l’apparence d’une méduse et s’approcha encore plus lentement de l’endroit où s’ébattaient les bipèdes. Sa couleur était légèrement différente de celle des autres animaux transparents, mais, à vrai dire, ceux-ci n’étaient pas tous identiques et l’apparence avait certainement beaucoup plus d’importance que la teinte. Son raisonnement était certainement juste, car il parvint presque à toucher l’un des bipèdes sans attirer son attention. Il étendit un tentacule, mais découvrit ainsi que le tégument multicolore couvrant une partie du corps des bipèdes était artificiel. Avant même qu’il ait eu le temps d’avancer davantage, le nageur s’était éloigné ! La conduite du bipède ne dénotait aucune frayeur, et le Chasseur décida d’essayer de nouveau. Cette tentative se termina comme la première.

Il se tourna successivement vers les autres créatures qui se trouvaient autour de lui, mais toujours ce fut l’échec. Pouvait-on imputer au hasard une telle répétition dans l’insuccès ? Il s’éloigna donc un peu pour observer ce qui se passait, afin d’en découvrir la raison. Cinq minutes lui suffirent pour comprendre que si ces créatures ne craignaient pas les méduses, elles évitaient du moins de les toucher. Il n’avait pas été heureux dans le choix de son camouflage.

Robert Kinnaird s’écartait des méduses sans même y penser ; il avait appris à nager à l’âge de cinq ans, et depuis neuf ans avait assez souvent senti sur lui les picotements que donnait leur contact, pour ne pas les rechercher. Lorsque le Chasseur l’avait touché pour la première fois, il était très occupé à jouer avec l’un de ses camarades, et bien qu’il se fût éloigné rapidement en remarquant la masse gélatineuse à côté de lui, il n’y avait attaché aucune importance. Cependant son attention avait été suffisamment éveillée pour qu’il s’efforçât de ne plus s’approcher de ce qu’il prenait pour une méduse.

Quand le Chasseur comprit enfin la raison de son échec, les jeunes gens cessèrent de nager et regagnèrent la plage. Très ennuyé, il les regarda quitter l’eau, mais continua à les observer pendant qu’ils couraient sur le sable. Ces créatures bizarres ne restaient donc jamais en place ? Comment aurait-il la chance d’entrer en contact avec un de ces êtres qui semblaient ne pas pouvoir demeurer immobiles ? Le Chasseur ne pouvait que les surveiller et réfléchir.

Sur la plage, les garçons finirent par se calmer, à présent que le sel avait séché sur leur peau bronzée. L’un d’eux s’assit par terre face à l’océan et demanda brusquement :

« Bob, à quelle heure tes parents doivent-ils apporter le panier aux provisions ? »

Avant de répondre, Robert Kinnaird se laissa tomber à plat ventre sur la plage.

« Ma mère a dit vers quatre heures et demie. Tu ne penses donc qu’à manger ? »

Le garçon roux qui avait posé la première question marmonna quelques mots incompréhensibles et s’allongea sur le dos, le regard fixé sur le ciel d’un bleu sans nuance. Un autre garçon déclara alors, au bout de quelques minutes :

« C’est quand même dommage que tu sois obligé de partir demain. J’aimerais bien partir avec toi.

— Au fond ce n’est pas si triste, répondit Robert d’une voix lente. Je vais retrouver un tas de camarades à l’école, et puis là-bas, au moins, je pourrai faire du ski et patiner. De toute façon, je reviendrai ici l’été prochain. »

La conversation s’arrêta là et les garçons se laissèrent rôtir par le soleil en attendant Mme Kinnaird qui devait apporter le pique-nique d’adieu. Robert était le plus près de l’eau, car il voulait rester en plein soleil. Les autres avaient préféré regagner la douce ombre des palmiers. Robert, qui pourtant était déjà très bronzé, voulait profiter jusqu’au dernier moment du soleil des tropiques, qui allait lui manquer pendant plus de dix mois. L’air était chaud et Robert venait de se dépenser comme un fou pendant plus d’une demi-heure. Peu à peu, il sentit le sommeil le gagner.

Le Chasseur observait la scène avec de plus en plus d’intérêt. Ces créatures énervées avaient-elles enfin décidé de se calmer ? Les apparences permettaient de le croire. Les quatre bipèdes étaient étendus sur le sable dans des positions diverses qu’ils trouvaient sans doute confortables. L’autre animal s’était couché non loin de là, la tête posée sur ses pattes. La conversation cessa brusquement, et le Chasseur décida de courir sa chance. Il se déplaça rapidement vers le bord de la plage.

Le garçon le plus proche se tenait à plus de dix mètres de l’eau. Dans sa position actuelle le Chasseur ne pouvait continuer à surveiller la scène tout en se déplaçant sous le sable vers le corps, immobile maintenant, qu’il avait choisi. Sans aucun doute, il devait transformer son apparence et, une fois encore, les méduses lui servirent de modèle. On en comptait un certain nombre qui gisaient inertes sur le sable. Le Chasseur pourrait peut-être ne pas éveiller l’attention s’il se déplaçait lentement pour se rapprocher de l’endroit où il s’enfoncerait dans le sable et déclencherait son attaque.

Le Chasseur faisait sans doute preuve d’excès de précautions, car aucun des bipèdes ne se trouvait sur son chemin et tous semblaient profondément endormis.

Sur une terre inconnue on ne fait jamais trop attention, et le Chasseur ne regretta pas les vingt minutes qu’il mit à se déplacer du bord de l’eau jusqu’à trois mètres à peine de Robert Kinnaird. Le trajet fut évidemment assez pénible, car le corps sans enveloppe du Chasseur était beaucoup plus exposé aux rayons brûlants du soleil que celui des méduses dont il avait pris la forme. Il supporta pourtant les brûlures et parvint à une distance qui lui parut suffisante.

Si un passant avait par hasard jeté les yeux sur la grosse méduse qui se trouvait apparemment immobile à quelques centimètres du jeune garçon, il n’aurait pas manqué de remarquer que la taille de l’animal diminuait étrangement. Le rétrécissement très accentué n’avait en lui-même rien de très étonnant, tous les êtres gélatineux risquent de subir ce sort sous l’effet des rayons d’un soleil trop ardent. Les bras minuscules de la méduse devinrent de plus en plus petits jusqu’à ne plus avoir que l’épaisseur d’un fil de toile d’araignée. La diminution portait non seulement sur l’épaisseur, mais également sur le diamètre de la bête jusqu’à ce qu’il ne demeurât à peu près rien. Jusqu’au bout, un curieux petit noyau se maintint au centre en conservant sa forme, tandis que le corps lui-même s’évanouissait tout autour. Ce dernier vestige visible disparut à son tour et l’on ne vit plus rien, à l’exception d’un léger creux dans le sable. Un observateur attentif aurait vu que cette trace pouvait être suivie jusqu’à la mer.