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Le Chasseur conserva l’usage de son œil pendant la fouille sous le sable. Mais en dernier ressort il dut rentrer l’appendice qu’il traînait derrière lui, et avança avec d’infinies précautions. Finalement il fut en présence de la chair vivante. Robert était allongé sur le ventre et avait enfoui ses doigts de pied dans le sable ; ainsi le Chasseur pouvait opérer sans émerger de la surface. Cette découverte faite, il fit disparaître son œil et retira la dernière partie de son corps restée au soleil, avec un immense soulagement, car son être tout entier se trouva alors à l’ombre.

Il ne fit aucun essai pour aller plus loin avant que son corps tout entier ne fût redevenu compact de nouveau contre le pied à demi enfoui. Il entoura le membre avec d’infinies précautions sur plusieurs centimètres carrés. Et alors, il commença la pénétration en poussant les cellules ultra-microscopiques de son être à travers les pores de la peau qui se trouvaient juste sous les ongles. Des milliers d’ouvertures s’offraient à lui pour pénétrer dans cet organisme à l’écorce si grossière.

Le jeune garçon était endormi et n’esquissa même pas un geste. Le Chasseur travaillait aussi vite que possible, car sa position aurait été particulièrement dangereuse si le pied avait brusquement remué avant qu’il n’ait eu le temps d’y pénétrer complètement.

Aussi vivement que le lui permettait l’extrême prudence qu’il déployait, le Chasseur se coula doucement le long des os, du tendon du pied, et de la cheville pour remonter le long du muscle de la cuisse en demeurant en dehors de l’artère fémorale et en traversant à plusieurs reprises les petits canaux de l’os. Il passa de nombreux vaisseaux sanguins, s’insinua à travers le péritoine sans le blesser au passage. Finalement, les deux kilos de cet organisme extra-terrestre se trouvèrent rassemblés dans la cavité abdominale, sans avoir causé la moindre blessure au garçon et sans même le déranger dans son sommeil. Alors, le Chasseur se reposa. Venant de l’atmosphère extérieure, il avait accumulé une énorme réserve d’oxygène, ce qui lui permettrait d’attendre un certain temps avant de vivre sur son abri involontaire. Il souhaitait avoir la possibilité de rester sans bouger une journée entière, afin de pouvoir observer le cycle du processus physiologique, que son hôte réalisait d’une manière certainement très différente de tous les êtres que le Chasseur avait eu l’occasion de connaître jusqu’à ce jour. Pour l’instant le bipède était endormi, mais il y avait peu de chance qu’un tel état durât. Ces créatures semblaient, en effet, déborder d’activité.

Bob fut éveillé, en même temps que les autres garçons, par la voix de sa mère qui s’était approchée en silence, avait étendu une nappe à l’ombre et préparé le repas avant de signaler sa présence. Et ce fut alors que retentit l’éternelle formule magique : « À table ! » Bien que les enfants le lui aient demandé avec une insistance affectueuse, elle ne resta pas pour le repas et s’éloigna peu après à travers les palmiers en direction de la route qui conduisait à sa maison.

« Tâche d’être de retour avant la nuit ! cria-t-elle à Bob en se retournant à demi à la lisière des arbres. N’oublie pas que tu as tes valises à faire et qu’il faut te lever tôt demain matin. »

La bouche pleine, Bob acquiesça d’un signe de tête, et fit vivement face à toutes les provisions sympathiques apportées par sa mère.

Le repas fini, les garçons restèrent un moment à bavarder, puis firent la sieste sous les arbres. Ils retournèrent ensuite à l’eau pour reprendre les jeux et les plongeons du matin avec peut-être encore plus d’entrain. S’apercevant brusquement que la nuit des tropiques allait les envelopper d’un moment à l’autre, ils se hâtèrent de rassembler leurs affaires, de plier la nappe et de se mettre en route pour rentrer chez eux. Ils ne disaient plus rien à présent, en proie à la gaucherie naturelle de leur âge devant la séparation des fins de vacances. Des adultes auraient sans doute fait montre de plus d’émotion ou au contraire d’un détachement bien simulé. Leurs adieux furent brefs, et chacun promit « d’écrire dès que possible ».

Bob rentra donc seul chez lui en proie à un étrange mélange de regrets et de plaisirs en songeant à l’avenir. En entrant dans la maison de ses parents, c’est ce dernier sentiment qui avait pris le dessus et il pensait déjà avec impatience au jour proche où il retrouverait ses camarades d’école, quittés depuis plus de deux mois. Il se mit à siffler un air joyeux.

Grâce à l’aide toujours bienveillante de sa mère, Bob acheva rapidement sa valise et neuf heures venaient à peine de sonner qu’il était déjà au lit et presque endormi.

Comme il l’espérait, le Chasseur put rester au calme pendant plusieurs heures et il n’avait pas encore bougé que Bob dormait profondément. Néanmoins, il lui était impossible de rester ainsi un jour entier. Même s’il ne bougeait pas d’un pouce, le simple fait de vivre nécessitait une certaine quantité d’énergie et par conséquent d’oxygène. Il s’aperçut que ses réserves diminuaient et qu’il allait être forcé de trouver une source d’oxygène avant que le besoin ne s’en fît trop cruellement sentir.

Le Chasseur savait que son hôte dormait. Il prit malgré tout les mêmes précautions qu’auparavant. Il se trouvait pour l’instant sous le diaphragme et ne voulait pas monter plus haut de crainte de déranger le cœur qu’il entendait battre juste au-dessus de lui.

De cet endroit, il lui fut très facile de découvrir une grosse artère qu’il put traverser sans difficulté. À sa grande satisfaction il constata que les globules rouges pouvaient lui fournir assez d’oxygène pour ses besoins sans que la masse totale de sang qui circulait dans l’artère s’en trouvât diminuée. Son présent comportement était très différent de celui qui avait présidé à sa courte visite dans le corps du requin. En effet, le Chasseur en était venu à considérer Robert comme le compagnon permanent qu’il élirait durant son séjour sur la Terre. Ses gestes étaient dictés par une loi très stricte de son ancien monde, loi qui remontait à des temps si éloignés qu’elle était devenue une sorte d’instinct :

« Tu ne gêneras point ton hôte. »

III

HORS DE JEU

« Tu ne gêneras point ton hôte. »

La très grande majorité des êtres de l’espèce du Chasseur n’avaient jamais eu la moindre intention de transgresser cette loi, car ils vivaient en bonne amitié avec les créatures qui leur servaient de refuge. Les quelques individus faisant exception à cette règle étaient regardés par leurs semblables comme un objet de mépris qu’il fallait exterminer. C’était précisément un de ceux-ci que le Chasseur poursuivait lorsqu’il était venu s’écraser sur la Terre. Il lui fallait absolument retrouver le fugitif pour protéger sa race d’une invasion possible de ces créatures irresponsables qui finissaient toujours par se regrouper.

« Tu ne gêneras point ton hôte. » Dès l’instant de son arrivée, le Chasseur avait remarqué les réactions des globules blancs circulant dans le sang généreux du jeune garçon. Jusqu’à présent, il avait réussi à éviter tout contact avec ces globules en s’abstenant de pénétrer à l’intérieur des vaisseaux transportant du sang rouge. Cependant, il y avait aussi des globules blancs dans le système lymphatique et dans les autres tissus. Leur dangereuse présence l’obligeait à une très grande prudence. Son corps cellulaire n’était pas immunisé contre le pouvoir d’absorption des globules blancs, et il avait réussi à se préserver de tout accident sérieux en fuyant constamment devant ces globules. Il savait très bien qu’une telle situation ne pourrait pas se prolonger indéfiniment. Tout d’abord, il serait certainement obligé de porter son attention sur d’autres sujets. En outre il se verrait forcé, tôt ou tard, de combattre, si cette situation se prolongeait. S’il luttait, le nombre des globules blancs augmenterait évidemment, occasionnant par là une maladie quelconque à son hôte. Donc il n’y avait qu’une solution : faire la paix avec les leucocytes. Les membres de sa race avaient mis au point depuis longtemps une technique générale permettant de résoudre ce problème. Néanmoins il fallait faire très attention dans les cas particuliers et à plus forte raison avec des inconnus. En procédant par tâtonnements, le Chasseur s’efforça de déterminer aussi rapidement que possible la nature chimique de la substance qui permettait aux globules blancs de différencier les corps étrangers de ceux qui se trouvaient normalement dans le corps humain. Après de longs et prudents efforts, il exposa successivement chacune des cellules de son être afin de trouver la source de la substance chimique. Des molécules nouvelles se formèrent à la surface de ses nombreuses cellules et il s’aperçut avec un vif soulagement, que les leucocytes ne l’importunaient plus. Il pouvait donc se servir en toute tranquillité de tous les vaisseaux sanguins grands ou petits pour lancer des explorations de tous côtés.