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— Entrez, je vais nous faire du café.

L’intérieur de la cabane était grossier et mal tenu, en contraste avec ce que j’avais observé dans la ville, où l’on semblait attacher beaucoup d’importance à la propreté et à l’ordre. L’habitation de Malchuskin était encombrée de linge sale, de vaisselle et de casseroles non lavées, ainsi que des reliefs de plusieurs repas. Dans un coin s’entassaient des outils et des instruments en métal et contre une paroi se trouvait une couchette dont les couvertures étaient roulées en boule. Il régnait une odeur de nourriture ancienne.

Malchuskin mit de l’eau dans une casserole qu’il posa sur un réchaud. Il dénicha deux tasses, les rinça sur l’évier et les secoua pour les égoutter. Il versa une mesure de café synthétique dans un pot, puis ajouta l’eau bouillante.

Il n’y avait qu’une chaise dans la cabane. Malchuskin ôta quelques lourds outils de la table et poussa celle-ci vers le lit. Il s’installa sur le matelas et me fit signe d’approcher la chaise. Nous restâmes en silence à siroter le café. Il était fait de la même manière que dans la ville, et pourtant je lui trouvai un goût différent.

— Pas vu beaucoup d’apprentis ces temps derniers.

— Pourquoi ? demandai-je.

— Sais pas. Pas beaucoup à se présenter. Qui êtes-vous ?

— Helward Mann. Mon père…

— Oui, je sais. Un homme de valeur. Nous étions à la crèche ensemble.

Je fronçai les sourcils. Ils n’avaient certainement pas le même âge, lui et mon père ? Malchuskin remarqua mon expression.

— Que cela ne vous trouble pas, dit-il. Un jour, vous comprendrez. Vous découvrirez tout à la dure, comme c’est l’usage avec ce foutu système des guildes. La vie est bizarre dans la guilde du Futur. Cela ne collait pas pour moi, mais je crois que vous vous y ferez.

— Pourquoi n’avez-vous pas voulu être un Futur ?

— Je n’ai pas dit ça… Simplement, ce n’était pas fait pour moi. Mon propre père était un homme des Voies. Toujours le système des guildes. Mais si vous cherchiez la difficulté, ils vous ont placé en bonnes mains. Avez-vous fait beaucoup de travaux manuels ?

— Non…

Il éclata de rire :

— Les apprentis n’en ont jamais fait. Vous vous habituerez. (Il se leva.) Il est temps de commencer. Il est encore tôt, mais à présent que vous m’avez sorti du lit, inutile de traîner. Ces salauds-là sont de fameux flemmards.

Il sortit de la cabane. J’avalai en hâte le reste de mon café, me brûlant la langue, et je le suivis. Il se dirigeait vers les deux autres bâtiments. Je le rattrapai.

À l’aide d’une clé de métal qu’il avait prise dans la cabane, il cogna fortement sur la porte de chacun des bâtiments, en hurlant à ceux qui étaient à l’intérieur de se lever en vitesse. D’après les marques sur les battants, j’estimai qu’il devait toujours frapper avec un outil de métal.

On entendit du mouvement dans la baraque.

Malchuskin retourna dans sa cabane où il se mit à trier les outils.

— Pas grand-chose à faire avec ces hommes, m’avertit-il. Ils ne sont pas de la ville. L’un d’entre eux… je l’ai chargé de commander les autres. Rafaël. Il parle un peu l’anglais et nous sert d’interprète. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, adressez-vous à lui. Encore mieux, venez me trouver. Il n’y aura probablement pas de difficultés, mais s’il y en a, appelez-moi. Compris ?

— Des difficultés de quelle nature ?

— Ils ne font pas ce qu’on leur dit. Ils sont pourtant payés pour faire ce que nous voulons. Mais le plus grand défaut de cette bande, c’est la fainéantise. Voilà pourquoi nous commençons de bon matin. Plus tard, il fait trop chaud, et alors mieux vaut abandonner.

La matinée était déjà chaude. Le soleil avait continué de monter pendant que j’étais chez Malchuskin. Mes yeux commençaient à se mouiller, pas du tout accoutumés à une lumière aussi vive. J’avais de nouveau tenté de regarder directement le soleil, mais c’était impossible.

— Prenez cela, me dit Malchuskin en me passant une grande brassée de clés d’acier.

Je chancelai sous leur poids et en laissai échapper deux ou trois. Il m’observa en silence pendant que, honteux de ma maladresse, je les ramassais.

— Où va-t-on ?

— À la ville, naturellement. On ne vous a donc rien enseigné là-bas ?

Je m’éloignai de la cabane en direction de la cité. Malchuskin me suivait des yeux, planté sur son seuil.

— Côté sud !… me cria-t-il.

Je m’immobilisai en jetant un regard perplexe autour de moi.

— Là ! (Il tendait le doigt.) Les voies au sud de la ville. Compris ?

— Compris.

Je m’acheminai dans la direction indiquée, ne laissant tomber qu’une seule clé pendant le trajet.

Au bout d’une heure ou deux je compris ce qu’avait voulu dire Malchuskin au sujet des hommes qui travaillaient avec nous. Ils s’interrompaient sous le moindre prétexte et seuls les cris de Malchuskin et les ordres moroses de Rafaël les maintenaient au travail.

— Oui sont-ils ? demandai-je à Malchuskin pendant la pause d’une quinzaine de minutes pour le déjeuner.

— Des gens du coin.

— Ne pourrions-nous en engager de plus travailleurs ?

— Ils sont tous les mêmes dans le secteur.

Je les comprenais dans une certaine mesure. À ciel ouvert, sans un endroit ombragé, le travail était pénible dans une chaleur pareille. Bien que je fusse décidé à ne pas ralentir la cadence, ma fatigue physique était plus que je ne pouvais supporter. C’était en tout cas plus exténuant que tout ce que j’avais jamais fait.

Les voies au sud de la ville s’allongeaient sur environ un kilomètre, se terminant en un point qui n’avait rien de particulier. Elles étaient au nombre de quatre, chacune comprenant deux rails de métal posés sur des traverses de bois qui reposaient à leur tour sur des semelles de béton enterrées. L’équipe de Malchuskin avait déjà considérablement raccourci deux des voies et nous nous acharnions maintenant sur la plus longue des deux autres, celle de droite, à l’extérieur.

Malchuskin m’expliqua que si je raisonnais avec la ville devant nous, les quatre voies s’identifiaient par gauche et droite, extérieure et intérieure, dans chaque cas.

Le travail ne demandait guère de réflexion. Une besogne routinière, mais très pénible.

Il fallait tout d’abord desserrer les tire-fond sur toute la longueur du tronçon de rail. On posait alors ce dernier sur le côté et on libérait de même le second. Nous nous attaquions ensuite aux traverses, fixées aux semelles bétonnées par deux pinces qu’il fallait desserrer et dégager à la main. Une fois détachée, la traverse était posée sur une draisine en attente sur le tronçon suivant. La fondation de béton, préfabriquée, comme je m’en aperçus, était réutilisable. Il fallait l’ôter de son logement dans le sol et la placer également sur la draisine. Cela fait, on plaçait les rails sur des supports spéciaux installés sur le côté du chariot.

Malchuskin ou moi conduisions alors la draisine, mue par des accumulateurs, jusqu’au tronçon suivant et l’on recommençait l’opération. Une fois le chariot entièrement chargé, toute l’équipe s’y embarquait pour rouler jusqu’à l’arrière de la ville. On le garait là pour recharger la batterie en la branchant sur une prise placée à cette fin dans la muraille de la cité.

Il nous fallut la plus grande partie de la matinée pour effectuer le chargement et mener la draisine à la ville. J’avais l’impression que mes bras allaient se détacher de mes épaules. Mon dos me faisait souffrir. J’étais d’une saleté repoussante et inondé de sueur. Malchuskin, qui n’avait pas moins peiné que les autres – plutôt davantage – me sourit.