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— Et maintenant, on décharge et on recommence, dit-il.

Je regardai les ouvriers. Ils paraissaient dans le même état que moi, et pourtant je les soupçonnais d’en avoir moins fait, bien que je fusse débutant, n’ayant pas encore appris l’art d’économiser mes forces. La plupart d’entre eux s’étaient couchés dans la petite bande d’ombre que projetait la masse de la ville.

— Très bien, répondis-je.

— Non… je plaisantais. Croyez-vous que cette bande bougerait encore sans s’être rempli le ventre ?

— Non.

— Bon, alors… on mange.

Je l’accompagnai et nous nous partageâmes de la nourriture synthétique réchauffée. Il n’avait rien d’autre à m’offrir.

L’après-midi commença par le déchargement. Les traverses, les fondations et les rails furent rechargés sur un autre véhicule à accumulateurs, qui roulait cette fois sur quatre gros pneus ballon. Une fois le transfert terminé, nous conduisîmes le chariot au bout de la voie pour recommencer l’opération. L’après-midi était torride et les hommes travaillaient avec lenteur. Malchuskin lui-même avait un peu molli et quand la draisine eut reçu sa charge, il accorda une halte.

— J’aimerais bien faire encore un chargement aujourd’hui, me déclara-t-il.

Il but longuement au goulot d’une bouteille d’eau.

— Je suis prêt, dis-je.

— Peut-être. Vous voulez vous en occuper tout seul ?

— Écoutez… je suis prêt, répétai-je, me refusant à avouer mon état d’épuisement.

— On ne pourra déjà rien tirer de vous demain. Non. On décharge ce chariot, on le roule jusqu’au bout de la voie et ce sera tout.

Ce ne fut pas tout, en réalité. Quand nous eûmes conduit la draisine au bout de la voie, Malchuskin ordonna aux hommes de combler le dernier emplacement avec toute la terre et la poussière que l’on pouvait trouver. Ce remblai s’étendit sur vingt mètres.

J’en demandai la raison à Malchuskin.

Il me désigna du menton la voie longue la plus proche, gauche intérieure. Au bout se dressait un bloc massif de béton, solidement planté dans le sol.

— Préféreriez-vous en planter un comme ça à la place ? me demanda-t-il.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Un butoir. Imaginez que les câbles se rompent tous à la fois… la ville partirait en arrière et quitterait les rails. Déjà ces butoirs n’offriraient pas grande résistance, mais c’est tout ce que nous pouvons faire.

— La ville a-t-elle déjà reculé ?

— Une fois.

Malchuskin m’offrit le choix entre regagner ma chambrette dans la ville ou rester avec lui dans sa cabane. Sa façon de présenter la chose ne me laissait guère le choix. Visiblement, il n’avait pas grand respect pour les gens de la cité. Il me déclara d’ailleurs qu’il n’y retournait pas souvent.

— L’existence y est douillette, dit-il. La moitié des citadins ignorent ce qui se passe ici, à l’extérieur. Et j’imagine qu’ils s’en ficheraient pas mal, même s’ils le savaient.

— Pourquoi devraient-ils le savoir ? Après tout, si nous sommes en mesure de tout faire marcher convenablement, ce n’est pas leur problème.

— Je sais, je sais. Mais je ne serais pas obligé d’employer tous ces foutus indigènes si davantage de citadins venaient ici. Dans les dortoirs voisins, les manœuvres bavardaient à grand bruit. Quelques-uns chantaient.

— N’avez-vous donc aucun rapport avec eux ?

— Je les emploie. Cela regarde les gens des Échanges. S’ils deviennent trop paresseux, je les renvoie et je demande aux Échanges de m’en embaucher d’autres. Jamais bien difficile. L’embauche est rare dans le secteur.

— Où sommes-nous ?

— Ne me le demandez pas… C’est à votre père et à sa guilde de vous répondre. Moi, je me contente d’enlever les voies utilisées.

Je sentais bien que Malchuskin détestait moins la ville qu’il ne le prétendait. Je suppose que la vie relativement isolée qu’il menait lui inspirait un certain mépris envers les citadins, mais, à ma connaissance, il n’était nullement forcé de se cantonner dans sa cabane. Les manœuvres étaient peut-être paresseux, et bruyants pour le moment, mais ils paraissaient se comporter de manière civilisée. Malchuskin ne tentait nullement de les surveiller quand ils étaient au repos, aussi aurait-il pu habiter la ville s’il l’avait désiré.

— Votre première journée au-dehors, hein ? fit-il.

— Exact.

— Vous voulez contempler le crépuscule ?

— Non… pourquoi ?

— Les apprentis le font en général.

— Bien.

Comme pour lui être agréable, je sortis et portai mon regard vers l’horizon, derrière la ville. Malchuskin vint me rejoindre.

Le soleil était proche de l’horizon et déjà je sentais le vent froid dans mon dos. Les nuages de la nuit précédente n’étaient pas revenus, aussi le ciel était-il bleu et transparent. J’observais le soleil sans qu’il me fasse mal aux yeux, maintenant que ses rayons étaient atténués par l’épaisseur de l’atmosphère. Il avait l’aspect d’un grand disque orangé un peu incliné vers nous. Au-dessus et au-dessous, de grandes flèches de lumière pointaient à partir du centre. Sous nos regards, le disque sombra lentement derrière l’horizon, le point lumineux le plus élevé disparaissant en dernier.

— Si vous dormiez en ville, vous n’auriez pas la chance de voir cela, dit Malchuskin.

— C’est très beau.

— Vous avez vu le lever du soleil ce matin ?

— Oui.

Il hocha la tête :

— C’est bien leur façon d’agir ! Dès qu’un gosse accède à une guilde, ils le plongent dans le bain, d’un coup. Sans explications, pas vrai ? Dehors dans le noir, jusqu’à ce que le soleil apparaisse.

— Pourquoi agissent-ils ainsi ?

— Le système des guildes. Ils estiment que c’est la manière la plus rapide de faire comprendre aux apprentis que le soleil n’est pas comme on le lui a enseigné.

— N’est-ce pas le cas ?

— Que vous a-t-on enseigné ?

— Que le soleil est une sphère.

— Ainsi ils racontent toujours cela ! Eh bien, vous avez maintenant constaté qu’il n’est pas sphérique. Qu’en déduisez-vous ?

— Rien.

— Vous y réfléchirez. Allons donc manger.

Nous rentrâmes chez lui et il m’ordonna de commencer à chauffer les aliments pendant qu’il vissait une deuxième couchette au-dessus de la sienne, sur les supports verticaux prévus à cet effet. Il tira de la literie d’un placard et la déposa sur le matelas.

— Vous dormirez ici, dit-il en me montrant la couchette supérieure. Avez-vous le sommeil agité ?

— Je ne crois pas.

— Nous allons faire un essai d’une nuit. Si vous remuez trop, on changera. Je n’aime pas être dérangé. Je songeai qu’il y avait peu de chances que je le dérange. J’aurais dormi au flanc d’une falaise, cette nuit-là. On avala la nourriture insipide et ensuite Malchuskin me parla de son travail sur les Voies. Je n’y prêtai que peu d’attention et quelques minutes plus tard, je m’étendis sur le lit en feignant de continuer à l’écouter. Je sombrai presque instantanément dans le sommeil.

4

Je m’éveillai le lendemain matin au bruit que faisait Malchuskin en lavant la vaisselle du soir. Je voulus me lever de la couchette dès que j’eus les yeux bien ouverts, mais une vive douleur dans le dos me paralysa aussitôt. Je réprimai un cri.

Malchuskin leva la tête, avec un large sourire :

— Courbatures ?