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— C’est horrible, a murmuré Mme Dravet, en s’approchant du mort.

— Ne le touchez pas ! ai-je recommandé. C’est très important.

— Oh ! oui… Pour la police ?

— C’est cela, pour la police. Dans ce genre de suicide le moindre détail a tellement d’importance…

— Suicide ?

— Il s’est tiré une balle dans la tête ; c’est évident.

Elle paraissait vraiment ne pas y croire.

Il y a eu un temps de flottement. Nous savions qu’il y avait des mesures à prendre, mais nous avions du mal à agir d’une façon sensée.

Je me demandais ce qu’elle éprouvait. Avait-elle du chagrin ? J’ai failli lui poser la question, mais, en présence du cadavre c’était impossible.

— Il faut téléphoner à la police ?

— Évidemment !

Mais elle n’a fait aucun mouvement, La blessure du mort la captivait.

Tout venait de se passer très vite. La preuve : l’horloge déjà entendue se remettait à sonner minuit, L’instantanéité d’un cauchemar ! On rêve à d’effrayantes aventures, on se débat dans des maléfices sans nombre, et puis brusquement on s’aperçoit que la fantasmagorie a duré le temps d’un battement de paupière. Seulement, pour nous, ça continuait. Le cadavre était bien un cadavre que nous regardions fixement, croyant déceler parfois un frémissement dans ce corps jeté de côté ! Nous cherchions à nous suggestionner. Nous attendions la fin du mauvais rêve mais il ne s’agissait pas d’un rêve. La réalité a toutes les patiences.

Enfin, Mme Dravet a réagi et a brusquement quitté la pièce. Je l’ai entendue s’éloigner dans le couloir. Au bout d’un moment, le cadran du téléphone s’est mis à crachoter. Alors j’ai pensé à quelque chose de terrible ! Et ce quelque chose ne m’était pas venu à l’esprit plus tôt.

Je me suis élancé comme un fou hors du salon.

Elle était dans sa chambre, assise sur un pouf avec l’appareil sur les genoux. Elle achevait de composer son appel lorsque je lui ai arraché le téléphone des mains.

Le combiné a voltigé sur sa coiffeuse, brisant un flacon de parfum. Une odeur pénétrante de tubéreuse s’est répandue instantanément dans la chambre.

La jeune femme semblait affolée.

— Mais pourquoi ?…

— Attendez un moment avant de prévenir la police.

Ce qui me restait à lui dire était difficile !

— Il faut bien, pourtant ! a-t-elle protesté.

— Oui, il faut bien. Seulement vous ne pouvez pas parler de moi aux policiers ! Je ne peux pas être mêlé à une histoire de ce genre.

Elle était très abattue mais lucide. J’ai vu flamber une lueur de mépris dans son regard. Brusquement je devenais pour elle un pauvre coureur de cotillons embêté de s’être fourvoyé dans un tel guêpier et affolé à la perspective des complications.

— Je sais ce que vous pensez, mais vous vous trompez ; si je vous demande ça c’est dans votre intérêt.

« Ma présence chez vous, cette nuit, peut vous nuire. Je suis loin d’être une caution pour vous.

Elle respirait à peine. La bouche légèrement entrouverte, le regard rond, elle paraissait sur le point de défaillir. Son état de prostration m’a alarmé.

— Vous vous sentez mal ?

— Non. Parlez !

Parler ! C’était si difficile après ce qui venait de se passer !

— Je vous ai raconté mon histoire, au début de la soirée. Mais incomplètement, car la suite n’est pas racontable…

Je me suis tu à nouveau. À bout de nerfs, elle s’est mise à hurler :

— Mais dites ! Vous voyez bien que je n’en peux plus !

— Cette femme avec qui je m’étais enfui… Au bout de trois mois, son amour a tiédi et elle a voulu partir. Alors, je… je l’ai tuée ! Une crise passionnelle ! C’est du moins mon avocat qui a baptisé ainsi mon crime. J’ai été jugé à Aix-en-Provence et condamné à dix ans… On m’a libéré hier de la prison des Baumettes de Marseille, j’ai obtenu une remise de peine.

J’avais parlé d’une traite, sans la regarder. Je fixais l’appareil téléphonique renversé. Il ressemblait à une bête morte. Je l’ai ramassé et j’ai mis le combiné sur sa fourche.

— Je suis un repris de justice, madame Dravet. Si la police apprend que nous avons passé une partie de la soirée ensemble, le suicide de votre mari va lui sembler louche, vous comprenez ? Maintenant je connais les flics, ils sont toujours disposés à imaginer le pire !

Elle s’est pris la tête à deux mains. Le cauchemar continuait pour elle. Il avait d’étranges prolongements.

— Pourtant, a-t-elle murmuré, on ne peut pas nous suspecter. Nous étions ensemble. Nous ne nous sommes pas quittés !

— Qui le prouve ? Vous et moi. Si la police imaginait une complicité de notre part, nous serions dans de vilains draps. On ne prête qu’aux riches. J’ai déjà tué quelqu’un, vous comprenez ?

Elle m’a jeté un regard effaré et elle a esquissé un léger mouvement de recul. Cette femme venait de réaliser que j’étais un meurtrier et elle éprouvait ce que tout le monde éprouve dans ce cas : une peur mêlée de répulsion.

— Partez !

— Oui, madame…

— Filez tout de suite d’ici ! a-t-elle insisté d’une voix grondante.

— Il faudrait peut-être que nous nous mettions d’accord…

— Non ! Je ne vous connais pas ! Dès que vous serez sorti d’ici, ce sera comme si je ne vous avais jamais vu, vous m’entendez ?

— Comme vous voudrez. Seulement la police…

— Je m’en charge ! Allez-vous-en !

J’ai quitté la chambre à reculons, déconcerté par son regard mauvais. Pendant les deux ou trois heures que nous avions passées ensemble, je l’avais crue faible et désemparée et soudain, dans l’adversité, elle devenait étrangement froide, déterminée. Elle ne se comportait plus du tout comme une victime. Il y avait dans tout son être quelque chose d’impitoyable qui me faisait mal. J’essayais de me rappeler la petite moue tendre qu’elle avait eue lorsque je l’avais prise dans mes bras.

Ce n’était plus la même femme.

En me retrouvant dans le vestibule j’ai été dégrisé.

Il y avait un homme mort ici. Mol je me trouvais à son domicile sans raison avouable, et je sortais de prison !

Il me semblait que cet appartement était pavé de pièges à loups. J’allais sortir, mais je me suis souvenu de mon verre de cognac posé à cinquante centimètres du cadavre. Il devait comporter un magnifique échantillon de mes empreintes.

Je suis entré au salon pour le nettoyer avec mon mouchoir. J’ai frotté en outre le goulot de la grosse bouteille de cognac puis, par acquit de conscience, le rebord du bar roulant et le marbre de la cheminée. Ensuite j’ai fourbi la poignée de la porte du salon.

Comme je remettais le mouchoir dans la poche de mon pardessus, j’ai rencontré le carton tordu ayant contenu le sujet d’arbre de Noël. J’allais l’oublier ! Je doutais que des empreintes puissent s’imprimer sur cette surface rugueuse, mais il valait mieux ne rien laisser derrière moi.

Je me suis approché du sapin. J’ai tendu la main pour cueillir la petite cage argentée et je suis resté le bras en l’air, comme frappé de paralysie : la cage et son oiseau de velours avaient disparu.

J’ai écarté les branches du sapin pour voir si, par hasard, elle était tombée, mais j’ai eu beau chercher je ne l’ai vue nulle part. Quelqu’un l’avait fait disparaître.

J’ai entendu le pas de Mme Dravet dans le vestibule.

— Pas encore parti ? s’est-elle étonnée.