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— Qu’y a-t-il ? ai-je balbutié, troublé.

Elle avait les yeux fixés sur le portemanteau du vestibule. Un pardessus gris sombre, à col de velours, y était accroché.

Or, ce pardessus ne s’y trouvait pas lorsque nous étions partis.

Le vêtement la fascinait. Elle se retenait de respirer et tendait l’oreille comme pour essayer de deviner, à la qualité du silence, la nature du danger.

Car il y avait danger !

Je le pressentais avec une certitude telle qu’elle tuait en moi tout effroi.

— C’est celui de votre mari ? ai-je chuchoté.

Elle a acquiescé d’un bref signe de tête.

— Donc, « Il » est ici ?

J’allais encore parler, mais d’un geste vif elle m’a bâillonné avec sa main. Elle s’obstinait à écouter. Ce qu’il y avait d’angoissant, c’était ce pardessus accroché, et ce silence absolu de l’appartement.

J’ai écarté sa main et l’ai conservée dans la mienne, comme pour lui insuffler du courage. J’entendais cogner son cœur à grands coups. En articulant exagérément chaque syllabe pour la rendre audible sans avoir à la proférer, j’ai demandé :

— Il ne devait pas rentrer ?

Elle a fait « non » de la tête.

— Il est peut-être venu changer de vêtement et il est reparti ?

Haussement d’épaules. Elle doutait.

— Il a dû se coucher ?

Seules, mes consonnes sifflantes s’entendaient. Je devais ressembler à un muet. Et encore, les muets font-ils du bruit !

Elle a de nouveau fait « non ».

Ce qui paraissait troubler la femme, c’était moins le danger que constituait cette présence que son aspect insolite.

— Voulez-vous que je parte ?

J’avais peur de passer pour un lâche en lui proposant cela. Le galantin qui se défile dans ces cas-là est un personnage mesquin. D’ailleurs je n’avais nulle envie de fuir.

J’étais tout disposé à braver la colère d’un homme jaloux. Il y avait en moi une énergie inemployée qui ne demandait qu’à s’extérioriser.

Elle hésitait à me répondre. Je comprenais la confusion de son esprit. Elle ne savait plus. Devions-nous fuir, ou au contraire faire front ?

Elle s’est décidée tout à coup. D’une voix presque assurée elle a lancé à la cantonade :

— Tu es là, Jérôme ?

Silence ! Un silence pointu qui se piquait dans nos nerfs tendus.

J’ai haussé les épaules.

— Je vous dis qu’il est reparti. Ne vous ayant pas trouvée, il aura décidé de finir la nuit autre part…

Cette fois j’avais parlé normalement.

La femme a admis l’hypothèse d’un battement de cils. Il n’y avait personne au salon puisque celui-ci était éteint. Elle est allée au fond du couloir en ouvrant chaque porte. L’une donnait sur la chambre de son enfant, et c’est là qu’elle a commencé. Je me suis avancé, et j’ai vu la petite Lucienne, sagement endormie dans un petit lit en bois clair. Il y avait des « Donald Duck » en contre-plaqué peints contre les murs et des jouets traînaient sur le tapis.

La porte qui faisait face à la chambre de la petite était celle de leur chambre. Il n’y avait personne dans la pièce. Le lit n’était pas défait. C’était un lit portugais, avec deux colonnes au pied et un fronton terriblement chargé.

— Vous voyez bien qu’il n’y a personne !

Par acquit de conscience elle a jeté un coup d’œil dans la cuisine puis dans la salle à manger.

Personne non plus !

Elle a alors paru rassurée.

— Je ne comprends pas pourquoi il est venu en pleine nuit. C’est si peu dans ses habitudes…

— Peut-être voulait-il vous souhaiter un bon Noël ?

— Lui ! On voit que vous ne le connaissez pas ! Décidément c’est un mystère… Allons boire. Il va être minuit.

Je l’ai saisie par la taille.

— Il est minuit !

J’ai levé le doigt.

— Écoutez !

Une horloge du quartier égrenait ses douze coups, lentement. Son timbre grave vibrait dans l’air immobile de la nuit.

— Embrasse-moi, a-t-elle soudain supplié. J’ai peur !

Je l’ai reprise dans mes bras.

— Plus fort ! Plus fort ! J’ai peur…

Son agitation était extrême. Elle se plaquait contre moi avec une frénésie qui m’effrayait.

— Voyons, calmez-vous. Peur de quoi ? Je suis là…

Elle a ouvert la porte vitrée du salon et a fait la lumière.

Le spectacle était terrible. L’homme se tenait à demi allongé sur le canapé que j’avais occupé lors de ma première visite. Il avait une jambe sur les coussins et le dos contre l’accoudoir. Il était en costume bleu nuit. Sa main gauche pendait le long de son corps, sa main droite était toute tordue entre sa joue et le dossier du canapé. Il avait une partie du crâne enlevée. Entre la tempe droite et le sommet de la tête, ce n’était qu’une plaie bouillonnante. La balle avait fracassé la boîte crânienne et était allée ricocher au plafond, faisant tomber une grosse écaille de plâtre.

Le mort avait les yeux clos, les lèvres légèrement entrouvertes et on voyait briller une dent en or sur le devant de sa bouche.

La femme n’a rien dit. Elle m’a fait penser à un tout jeune arbre dont on a tranché le pied d’un coup de cognée, mais qui ne tombe pas tout de suite. Vivement je l’ai saisie aux épaules pour la refouler dans le vestibule.

Elle était d’une pâleur affreuse et son menton tremblait.

Elle s’est mise à contempler le pardessus accroché à la patère comme s’il s’agissait du cadavre lui-même.

— C’est votre mari ? ai-je fini par demander d’un ton à peine audible.

— Oui.

On entendait, venant de très loin, le « Minuit Chrétiens ». Ce chant naissait de l’espace comme le vent arrive de l’infini.

Il y avait des bribes, puis brusquement cela s’enflait.

Je suis retourné dans le petit salon. Ce mort près du sapin était hallucinant. Il s’agissait d’un homme de trente-deux ou trente-trois ans, aux traits assez aristocratiques. Bon menton carré, légèrement proéminent révélait l’homme d’action.

Avec prudence j’ai contourné le canapé. Je ne voulais toucher à rien, mais seulement me rendre compte. J’ai aperçu le revolver, entre le buste de l’homme et le dossier du meuble. En mourant il l’avait lâché.

Il était mort depuis un moment déjà. Vraisemblablement peu de temps après notre départ. Il avait beaucoup saigné et le sang s’était répandu sur les coussins. J’ai cherché, alentour, une lettre expliquant les raisons qui l’avaient poussé à se détruire, mais il n’y avait rien. Peut-être, cette lettre, la retrouverait-on dans ses vêtements, plus tard…

Un léger bruit m’a fait tourner la tête. J’ai vu la femme debout dans l’encadrement, sa tête appuyée au montant de la porte. Elle regardait son mari mort, d’un œil plus incrédule que réellement effrayé.

Elle ne comprenait pas.

— Il est vraiment mort ? a-t-elle interrogé.

— Oui.

La question était superflue, lorsqu’un homme a au crâne un trou aussi béant que celui-là, il est évident qu’il ne vit plus.

Comment diantre avait-il eu l’idée de se suicider devant ce joyeux sapin qui était un hymne à la vie ?

La cave à liqueurs se trouvait toujours devant le canapé. Et il y avait nos deux verres, l’un près de l’autre, contenant respectivement, l’un un fond de cherry, l’autre un fond de cognac.