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— Il faut bien que quelqu’un s’en fasse, répliqua George.

— Oui, mais c’est absurde de toujours compter comme un avare. Pourquoi ne demandes-tu pas à ton père de se montrer plus généreux ?

— Il me sert déjà une belle rente.

— C’est terrible de dépendre ainsi complètement de ton père. Il devrait te donner tout de suite une grosse somme.

— Cela sortirait trop de ses habitudes. »

Magdalene tourna vers son mari ses yeux couleur noisette, au regard soudain dur et pénétrant. Cette fois, son visage n’était point dénué d’expression.

« Il est excessivement riche, ton père, n’est-ce pas, George ? Une sorte de millionnaire ?

— Plus de deux fois millionnaire, je crois. »

Magdalene poussa un soupir d’envie.

« Et où a-t-il gagné tout cet argent ? En Afrique du Sud ?

— Oui. Il a fait une grosse fortune, là-bas, dans sa jeunesse. Il prospectait des mines de diamants.

— Que c’est intéressant !

— Rentré en Angleterre, il s’est mis dans les affaires et a doublé, ou peut-être triplé son capital.

— Et quand il mourra, que deviendra cette fortune ?

— Père n’en parle guère, et c’est bien délicat de le lui demander. La presque totalité ira sans doute à Alfred et à moi. Naturellement, Alfred touchera la plus forte part.

— Tu as d’autres frères, il me semble.

— Bien sûr, il y a David, mais je ne pense pas que père lui lègue grand-chose. Il a quitté la maison pour devenir artiste, ou quelque autre sottise de ce genre. Père l’a averti qu’il le déshériterait et mon frère a répondu qu’il s’en moquait.

— Faut-il être stupide ! s’écria Magdalene avec mépris.

— Il y avait aussi ma sœur Jennifer. Elle s’enfuit avec un étranger… un artiste espagnol… un ami de David. Elle est morte voilà un an, en laissant une fille. Père donnera sans doute quelque chose à cette enfant, mais rien de conséquent. Et puis, il y a Harry…

— Harry ? fit Magdalene, surprise. Qui ça, Harry ? »

Il s’interrompit, légèrement embarrassé.

« Euh… un de mes frères.

— Tu ne m’as jamais parlé de celui-là.

— C’est que, vois-tu, chérie, il ne fait pas honneur à la famille. Nous n’en parlons jamais. Voilà des années que nous n’avons eu de ses nouvelles. Il est probablement mort. »

Magdalene éclata de rire.

« Qu’est-ce qui te fait rire ? »

La jeune femme répondit :

« C’est si drôle de penser que toi, George, tu puisses avoir un frère qui se conduit mal ! Tu es un homme si vertueux !

— Je l’espère bien », dit George froidement.

Magdalene fronça le sourcil.

« Ton père, lui, n’est pas très respectable, George !

— Voyons, Magdalene !

— Parfois, je suis gênée quand il me parle.

— Tu m’étonnes, Magdalene. Est-ce qu’il produit cette même impression chez Lydia ?

— Oh ! il ne lui raconte sûrement pas les mêmes choses qu’à moi. »

Furieuse, elle ajouta :

« Non, il lui parle différemment. Je me demande pourquoi.

— Bah ! Soyons indulgents. À l’âge de père… et avec sa mauvaise santé…

— Est-il réellement si malade ? demanda Magdalene.

— Oh ! je ne dis pas qu’il est en danger de mort. Il est même d’une résistance étonnante. Puisqu’il veut voir sa famille réunie autour de lui pour la Noël, nous ferons bien d’accepter son invitation. C’est peut-être son dernier Noël. »

D’une voix tranchante, Magdalene observa : « Tu dis cela, George, mais je crois qu’il vivra encore bien des années. »

Interloqué, son mari balbutia : « Oui… oui… c’est possible.

— Ma foi, nous ferons bien tout de même d’aller le voir, déclara Magdalene.

— Sans aucun doute.

— Cela m’ennuie beaucoup ! Alfred est si stupide et Lydia me traite de haut.

— Tu dis des sottises.

— Non, je t’assure que c’est vrai. De plus, je déteste cet odieux valet de chambre.

— Le vieux Tressilian ?

— Non, Horbury ! Il se faufile partout comme un chat et fait un tas de manières…

— Vraiment, Magdalene, je ne vois pas ce que tu peux reprocher à Horbury !

— Il me donne sur les nerfs, voilà tout ! Enfin, tant pis. Il faut absolument que nous allions voir ton père. Mieux vaut ne pas l’offenser.

— Là, tu as raison. Et maintenant, pour le réveillon des domestiques…

— Nous en parlerons plus tard, George. Je vais donner un coup de téléphone à Lydia pour lui annoncer notre arrivée demain par le train de cinq heures vingt. »

Magdalene quitta la pièce précipitamment. Après avoir téléphoné, elle monta à sa chambre et s’assit devant son secrétaire. Ayant relevé le couvercle, elle fureta dans les petits tiroirs et bientôt les factures s’amoncelèrent devant elle. Magdalene les tria et s’efforça de les classer suivant un certain ordre. Finalement, exaspérée, elle poussa un soupir et en fit un paquet qu’elle remit dans un des tiroirs. Passant la main sur sa chevelure platinée, elle murmura :

« Mon Dieu, que faire ? »

VI

Au premier étage du manoir de Gorston, au fond d’un long couloir, se trouvait une immense chambre donnant sur la grande allée du parc. Dans cette pièce, aux murs tapissés d’un épais brocart, on voyait d’énormes fauteuils de cuir, de grands vases ornés de dragons en relief, des statues en bronze… Tout y était magnifique, coûteux et solide.

Au fond du plus imposant des fauteuils, était assis un vieillard maigre et décrépit. Ses longues mains, aux doigts semblables à des serres d’oiseau de proie, reposaient sur les bras du fauteuil. Une canne à pommeau d’or se trouvait à portée de sa main droite. Enveloppé dans une vieille robe de chambre d’un bleu fané, il était chaussé de pantoufles. Il avait des cheveux blancs et la peau du visage jaune et toute ridée.

À première vue, on se serait cru en présence d’un pauvre être insignifiant. Pourtant la courbe fière de son nez aquilin et le feu sombre de ses prunelles vous obligeaient à bientôt changer d’avis, car chez le vieux Siméon Lee, il restait encore de la flamme et de la vigueur.

En ce moment, il bavardait tout seul et semblait beaucoup s’amuser. Puis, il s’adressa à son valet de chambre qui se tenait debout près de son fauteuil.

« Alors, vous avez fait ma commission à Mrs. Alfred ?

— Oui, monsieur, répondit l’homme d’un ton respectueux.

— Dans les termes que je vous ai recommandé d’employer, n’est-ce pas ?

— Oui, monsieur, je ne me suis pas trompé d’un mot, monsieur.

— C’est bien… c’est bien… Du reste, vous le regretteriez si vous ne suiviez pas exactement les ordres que je vous donne. Et qu’a-t-elle dit, Horbury ? Qu’a dit Mr. Alfred ? »

D’une voix calme, le domestique raconta ce qui s’était passé dans le salon bleu. Se frottant les mains, le vieux gloussa de plaisir :

« Magnifique… Splendide !… Ils ont dû être intrigués… tout cet après-midi ! C’est merveilleux ! Je veux les voir à présent. Dites-leur de monter.

— Oui, monsieur. »

Sans bruit, Horbury traversa la chambre et sortit.

« Dites, Horbury… »

Le vieillard se retourna et poussa un juron.

« Il n’est plus là ! Cet individu ne fait pas plus de bruit qu’un chat. On ne sait jamais où il se trouve. »