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Siméon demeura tranquillement dans son fauteuil, caressant son menton.

Un coup fut frappé à la porte : Alfred et Lydia entrèrent.

« Ah ! Vous voilà ! Asseyez-vous ici, ma chère Lydia, tout près de moi. Comme vous avez de belles couleurs !

— Je suis sortie dans le froid. Quand on rentre du dehors, les joues vous brûlent.

— Comment vas-tu, père ? T’es-tu bien reposé cet après-midi ? demanda Alfred.

— Très bien. J’ai dormi et j’ai rêvé au bon vieux temps… cette belle époque où je ne possédais ni richesse ni influence sociale. »

Soudain, il éclata d’un rire joyeux. Sa belle-fille l’écoutait poliment, un sourire aux lèvres.

« Père, dit Alfred, quelle est cette nouvelle ?… deux autres invités pour la Noël ?

— Ah ! voilà ! Il faut que je vous explique. Cette année, je veux avoir une fête superbe pour la Noël… un très beau Noël. Récapitulons : il y aura George et Magdalene…

— Oui, fit Lydia, ils arriveront demain au train de cinq heures vingt.

— Quel imbécile ce George ! s’écria le vieux Siméon. Une cervelle vide ! Et pourtant, c’est mon fils.

— Ses électeurs l’aiment beaucoup, observa Alfred.

— Sans doute parce qu’ils le croient honnête homme. Un Lee honnête. Un tel phénomène n’existe pas dans la famille.

— Voyons, père ! se récria son aîné.

— Tu fais exception à la règle, mon garçon.

— Et David ? demanda Lydia.

— J’oubliais David. Je serais curieux de le revoir après tant d’années. Dans sa jeunesse, il était d’une sentimentalité bête. Je me demande comment est sa femme. En tout cas, il n’a pas commis la sottise d’épouser une femme de vingt ans plus jeune que lui, comme cet imbécile de George !

— Hilda a répondu une très gentille lettre, dit Lydia, et je viens de recevoir d’elle un télégramme annonçant qu’ils arriveraient demain. »

Son beau-père lui lança un regard pénétrant.

« Lydia, elle, conserve toujours son calme, déclara-t-il en riant. Je dois dire, ma chère Lydia, que vous êtes une personne bien élevée. Il est vrai que vous sortez d’une très bonne famille. Quelle drôle de chose que l’hérédité ! Parmi mes enfants, un seul me ressemble… un seul de ceux qui portent mon nom. »

Une flamme dansa dans ses yeux.

« Devinez à présent qui doit venir à Noël. Je vous le donne en mille. »

Il les dévisagea l’un après l’autre.

Fronçant le sourcil, Alfred murmura :

« Horbury nous a dit que vous attendiez une demoiselle.

— Cela vous a intrigués, hein ? J’en étais sûr. Pilar va arriver ici d’un instant à l’autre. J’ai envoyé la voiture à la gare.

— Pilar ? dit Alfred, interloqué.

— Oui, Pilar Estravados, dit Siméon. La fille de Jennifer… et ma petite-fille. Je me demande à qui elle ressemble.

— Bonté divine ! s’exclama Alfred. Tu ne m’en as point parlé. »

Le vieillard grimaça un sourire.

« Je voulais tenir son arrivée secrète. Je lui ai fait écrire par mon notaire Charlton. Il s’est occupé des détails de son voyage. »

D’une voix pleine de reproches, Alfred, mortifié, répéta :

« Tu ne m’en as point parlé… »

Son père reprit, un sourire mauvais éclairant ses traits :

« Cela eût gâté la surprise ! J’aurai plaisir à revoir de la jeunesse sous mon toit ! Je n’ai jamais vu Estravados. Savoir de qui tient la petite… du père ou de la mère ?

— Crois-tu avoir agi sagement, père ? Tout bien considéré… »

Son père l’interrompit :

« Quel homme prudent tu fais, Alfred ! Toujours ennemi de la nouveauté, et du risque. Ah ! tu ne me ressembles guère. Pilar est ma petite-fille… mon unique petite-fille ! Qu’importe la conduite de son père ! Elle est de mon sang et va venir vivre dans ma maison.

— Comment ! s’écria Lydia. Elle va venir habiter ici ? »

Il lui jeta un vif coup d’œil :

« Y voyez-vous une objection ? »

Elle hocha la tête et répondit en souriant :

« J’aurais mauvaise grâce à vouloir vous empêcher de recevoir quelqu’un chez vous, n’est-ce pas ? Non, je pensais simplement à… cette jeune fille…

— Que voulez-vous dire ?

— Sera-t-elle heureuse ici ? »

Le vieux Siméon redressa la tête.

« Elle n’a pas un sou vaillant. Elle devrait me remercier ! »

Lydia haussa les épaules et Siméon se tourna vers Alfred.

« Écoute. Nous allons avoir un Noël splendide ! J’aurai tous mes enfants autour de moi. Tous mes enfants ! À présent, Alfred, devine qui est l’autre visiteur ? »

L’interpellé ouvrit de grands yeux.

« Voyons, mon garçon. Je te dis que j’aurai tous mes enfants autour de moi. Devine ! Harry, naturellement ! Ton frère Harry ! »

Alfred pâlit et balbutia :

« Harry… tout de même, pas Harry…

— Si, Harry en personne.

— Mais on le croyait mort.

— Que non !

— Et tu… tu le fais revenir ici… après tout ce qu’il a fait ?

— Le retour du fils prodigue, n’est-ce pas ? Nous allons tuer le veau gras, Alfred. Il faut lui faire une belle réception. »

Le fils aîné murmura :

« Il a jeté sur vous… sur nous tous… le déshonneur, il a…

— À quoi bon rappeler ses crimes ? La liste en serait trop longue. Mais, souviens-toi, Noël est la saison du pardon. Nous accueillerons donc joyeusement le fils prodigue. »

Alfred se leva et dit :

« Cette nouvelle m’a donné un choc. Je n’aurais jamais rêvé de revoir Harry à la maison. »

Siméon se pencha vers lui :

« Tu n’as jamais aimé Harry, n’est-ce pas ? lui demanda-t-il d’une voix douce.

— Après la façon dont il nous a traités…

— Oublions le passé. On doit célébrer la fête de Noël dans un esprit de pardon, n’est-ce pas, Lydia ? »

Elle aussi avait pâli. D’un ton sec, elle dit à son beau-père :

« Je vois que vous voulez avoir beaucoup de monde autour de vous, cette année, pour la Noël.

— Je veux voir ma famille réunie autour de moi. Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté. Je me fais vieux. Vous partez, Lydia ? »

Alfred avait quitté la place. Lydia fit une pause avant de le suivre.

Siméon désigna de la tête Alfred qui venait de franchir le seuil de la chambre.

« Il en est tout bouleversé. Lui et Harry ne se sont jamais aimés. Harry se moquait d’Alfred et le surnommait : Piane-Piane. »

Lydia entrouvrit les lèvres. Elle allait riposter, mais se contint devant l’expression cruelle du vieillard. Le calme de sa belle-fille désarma enfin le vieux Siméon. Lydia, s’en rendant compte, eut le courage de dire :

« Dans la fable du Lièvre et de la Tortue, c’est tout de même la tortue qui a gagné la course.

— Dans la vie, il en va souvent autrement, ma chère Lydia. »

Toujours souriante, elle lui dit :

« Excusez-moi, mais il faut que je rattrape Alfred. Toutes ces émotions le troublent.

— Ah ! Il n’aime guère le changement. Alfred a toujours préféré la tranquillité.

— Alfred vous est tout dévoué, lui dit Lydia.

— Cela vous étonne, n’est-ce pas ?

— À certains moments, oui. »

Elle quitta la pièce sous l’œil sarcastique de son beau-père.

Quand elle fut partie, il se frotta les mains en ricanant :

« Ce que je vais m’amuser à Noël ! »

Péniblement, il se leva, et, s’appuyant sur sa canne, il traversa la chambre.