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— Tu trouves ça étrange ? Attends de voir ce que je vais mettre, ma belle !

— Laisse-moi deviner. Un tartan écossais avec une cornemuse et un sporran bourré à craquer de joints.

— Tu dis n’importe quoi, ma pauvre fille ! En tout cas, je crois que tu ne m’as pas menti en me racontant que tes pouvoirs psychiques avaient été bousillés. Ah ! Ne cherche pas à savoir. Je te réserve une grosse surprise. Mais je vais te dire en tout cas qu’elle est la vocation que je me suis choisie. Je veux être un homme à tout faire, un Yankee du Connecticut, façon écossaise, à la Cour du Roi Arthur[7]. Et toi, ma jolie dompteuse de cerveaux grillée ?

Elle eut un sourire rêveur.

— Je ne crois pas que je vais me choisir une autre personnalité. Je porterai… je ne sais pas, peut-être un jean rouge, et aussi ma bague d’émettrice incrustée des diamants bénis d’Illusio pour me souvenir des jours passés. Quant à ma vocation…

Elle se pencha sur la plaque, fit défiler rapidement la liste, puis reprit au début, les sourcils froncés.

— Pour ça, je crois qu’il faudra que j’exerce plusieurs métiers. Il me faudra tanner les peaux, confectionner des paniers et savoir fabriquer du charbon de bois. Oui, tout cela. Et si je te dis que ma vocation commence par un A, tu peux deviner, Aiken Drum…

— Eh ! cria-t-il en frappant violemment la table. Tu vas t’envoyer en l’air, c’est ça ? (Le Viking et le pirate détournèrent à peine le regard.) Ascensionniste ! Oh, c’est formidable, ma jolie ! Il faut que tu montes, Elizabeth, hein ?

Une sonnerie discrète retentit. Une voix douce et neutre se fit entendre :

— Candidats du Groupe Vert, nous vous serions très reconnaissants de bien vouloir rejoindre le Conseiller Mishima au Petit Salon où nous avons préparé à votre intention un cours d’orientation particulièrement intéressant… Candidats du Groupe Jaune…

— Les Verts. C’est nous, dit Aiken.

Ils se levèrent et entrèrent dans l’auberge. Les murs étaient blanchis à la chaux, les poutres larges et sombres, et les objets d’art qu’ils apercevaient étaient sans prix. Le Petit Salon était une pièce coquette, à air conditionné, meublée de fauteuils de brocard, d’armoires de bois sculpté et décoré d’une grande tapisserie aux couleurs fannées représentant une vierge et une licorne. C’était la première fois que le groupe, après cinq jours d’entraînement, se trouvait rassemblé au complet. Elizabeth promena son regard sur leurs compagnons d’aventure et essaya de deviner les diverses circonstances qui les avaient poussés vers l’Exil.

Lorsqu’ils entrèrent dans le salon, une personne attendait déjà, seule, une ravissante enfant aux cheveux clairs, vêtue d’une simple tunique. Son fauteuil avait été placé à l’écart des autres, à plusieurs mètres et son frêle poignet était lié à l’accoudoir par une fine chaînette d’argent.

Le pirate et le Viking entrèrent à leur tour. Ils avaient l’air à la fois féroces et désorientés parce que nul autre n’était encore en costume. Ils allèrent prendre place très exactement au centre. Un autre couple les suivit en silence : une femme au teint de lait, aux cheveux bruns et bouclés qui portait une combinaison blanche, accompagnée d’un homme râblé, apparemment d’âge moyen, au nez camus, avec des pommettes slaves très marquées et des bras noueux qui devaient pouvoir terrasser un bœuf. Le dernier à se présenter dans le salon fut un personnage de style quasi académique, vêtu d’une vieille veste de tweed et tenant un attaché-case. Il semblait tellement équilibré qu’Elizabeth ne parvint à lui imaginer aucun problème.

Le Conseiller Mishima était un personnage maigre et élancé. Il s’avança en souriant, hochant la tête. Il exprima sa satisfaction de les voir tous rassemblés devant lui et souhaita qu’ils prennent quelque intérêt à son exposé sur la géographie et l’écologie du Pliocène.

— Nous avons parmi nous une personne distinguée qui en connaît plus long que moi-même en paléo-écologie, ajouta-t-il en s’inclinant vers le personnage aux traits slaves. Je lui serais reconnaissant de m’interrompre pour me corriger ou préciser un détail.

C’est donc ça, songea Elizabeth. Un paléontologiste qui s’en va explorer le zoo des fossiles. Quant à cette poupée qu’on tient en laisse, c’est une récidiviste, et apparemment elle est plus mouillée que ce pauvre Aiken. Les types en costume d’époque… des perdants anachroniques, de toute évidence. Mais la Dame Blanche ? Et notre Intellectuel qui porte du tweed en plein mois d’août ?

La lumière s’estompa et la tapisserie s’éleva, révélant un grand écran holographique. Une musique se fit entendre. (Doux Jésus ! pensa Elizabeth. Pas Stravinsky !) L’écran montrait maintenant, en couleurs Tri-D, une vue en orbite de la Terre du Pliocène, six millions d’années auparavant à peu près.

A cette distance, elle paraissait très familière. Puis la vue se rapprocha.

— Vous remarquerez que les continents, dit Mishima, occupent approximativement leur emplacement actuel. Cependant, leurs contours ne sont guère familiers, d’abord parce que des mers épicontinentales peu profondes recouvraient certaines régions alors que d’autres étaient encore émergées.

Le globe tournait lentement devant leurs yeux. Il s’arrêta lorsque l’Europe fut pleinement visible. La vue se fit encore plus rapprochée.

— Il vous sera remis à chacun un jeu complet de cartes sur durofilm. A petite échelle pour l’ensemble de la Terre du Pliocène Inférieur, au sept millionième pour l’Europe et au millionième pour la France. Si vous avez l’intention de tenter des excursions vers d’autres parties du monde ou bien si, plus simplement, vous leur portez un intérêt plus particulier, nous ferons tout notre possible pour vous fournir les cartes terrestres ou marines disponibles.

— Est-ce qu’elles seront très précises ? demanda le pirate.

— Extrêmement, je pense, répondit Mishima d’une voix onctueuse. Le Pliocène, après tout, est une époque géologique relativement rapprochée et nos ordinateurs ont été en mesure de faire un relevé topographique dont l’ordre de précision doit frôler quatre-vingt-deux pour cent. Les régions les mieux décrites comportent des détails très fins du tracé du littoral, les cours d’eau mineurs et certains aspect de la Façade méditerranéenne.

Il leur présenta des vues rapprochées de différentes régions, en relief parfait. En surimpression apparaissait le contour contemporain.

— Les Iles Britanniques sont encore fondues en une seule masse importante, Albion, sans doute reliée à la Normandie par un isthme très étroit. La région des Pays-Bas est submergée par la Mer d’Anvers, tout comme l’Allemagne du nord-ouest. La Finlande est soudée à la Scandinavie et la Baltique ne les sépare pas encore. La Pologne et la Russie sont parsemées de marais et de lacs, dont certains sont très importants. On trouve également une vaste étendue d’eau douce au sud-ouest des Vosges, en France, et on compte un certain nombre de grands lacs alpins…

A l’est, il n’y avait presque rien de familier. Un lagon saumâtre, le Bassin Pannonien, recouvrait la Hongrie et s’étirait au-delà de la Porte de Fer et du Détroit Dacien jusqu’à ce qui subsistait de l’ancienne Mer de Tethys, jadis très importante. Les lagons saumâtres allaient très loin dans l’Asie Centrale et, jusqu’au nord, vers l’Océan Boréal. Dans les siècles qui suivraient, seules la Mer d’Aral et la Caspienne témoigneraient de l’existence de la Mer de Tethys.

— Remarquez aussi que le Bassin Euxinique, qui deviendra plus tard la Mer Noire, est une mer d’eau douce alimentée par les montagnes d’Anatolie, de Caucasie et par les Helvétides à l’ouest. Un immense marais occupe la région où se trouvera l’actuelle Mer de Marmara. En dessous, nous voyons le Lac du Levant, qui correspond plus ou moins à la Mer Egée que nous connaissons.

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7

Allusion au roman de Mark Twain (1889). (N.D.T.)