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Et ce fut la fin : il tira un revolver de sa poche, ouvrit la bouche toute grande et pressa la gâchette.

L’instant d’après, il y avait dix personnes dans la chambre, dont le commissaire Maigret, qui n’avait pas quitté son manteau à col de velours, essayait d’interdire l’accès. On entendait répéter les mots Polizei et Mörder, qui signifie assassin.

Mort, le jeune homme était encore plus piteux que vivant. On voyait les semelles trouées de ses chaussures, et le pantalon s’était relevé dans sa chute, découvrant une invraisemblable chaussette rouge, un tibia livide et velu.

Un agent arriva, prononça quelques mots d’une voix impérieuse et tout le monde se massa sur le palier, sauf Maigret, qui exhiba sa médaille de commissaire à la Police Judiciaire de Paris.

L’agent ne parlait pas le français. Maigret ne bafouillait que quelques mots d’allemand.

Dix minutes plus tard, déjà, une voiture stoppait en face de l’hôtel et des fonctionnaires en civil faisaient irruption.

Sur le palier, maintenant, le mot Franzose avait succédé au mot Polizei et l’on regardait le commissaire avec curiosité. Mais quelques ordres suffirent à faire cesser toute agitation, à couper court à la rumeur aussi nettement qu’on coupe un courant électrique.

Les locataires rentrèrent chez eux. Dans la rue, un groupe silencieux se tint à distance respectueuse.

Le commissaire Maigret avait toujours sa pipe aux dents, seulement elle était éteinte. Et son visage charnu, comme sculpté dans une glaise compacte à vigoureux coups de pouce, avait une expression qui frisait la peur ou la débâcle.

— Je vous demanderai la permission de faire mon enquête en même temps que vous ferez la vôtre ! dit-il. Une chose est certaine : c’est que cet homme s’est suicidé. C’est un Français…

— Vous le suiviez ?…

— Ce serait trop long à vous expliquer… Je voudrais que votre service technique prît de lui des photographies aussi nettes que possible, sur toutes ses faces…

Le silence avait succédé à l’agitation dans la chambre où ils n’étaient plus que trois à circuler.

L’un d’eux, jeune et rose, le crâne rasé, portait une jaquette et des pantalons rayés, essuyait de temps en temps les verres de ses lunettes à branches d’or. Il avait un titre comme docteur en police scientifique.

L’autre, aussi rose, mais moins solennel dans sa tenue, fouillait partout et s’efforçait de s’exprimer en français.

On ne trouva rien, qu’un passeport au nom de Louis Jeunet, né à Aubervilliers, ouvrier mécanicien.

Quant au revolver, il portait la marque de la fabrique d’armes de Herstal (Belgique).

A la Police judiciaire, quai des Orfèvres, personne n’imaginait, cette nuit-là, un Maigret silencieux, comme écrasé par la fatalité, assistant aux opérations de ses collègues allemands, se rangeant pour faire place aux photographes, aux médecins légistes, attendant, le front têtu, la pipe toujours éteinte, le pitoyable butin qu’on lui remit vers trois heures du matin : les vêtements du mort, son passeport et une douzaine de photographies que l’éclairage au magnésium achevait de rendre hallucinantes.

Il n’était pas loin – il était même bien près – de penser qu’il venait de tuer un homme.

Et cet homme, il ne le connaissait pas ! Il ne savait rien de lui ! Rien ne prouvait qu’il avait des comptes à rendre à la justice !

Cela avait commencé la veille à Bruxelles, de la façon la plus inattendue. Maigret s’y trouvait en mission. Il avait conféré avec la Sûreté belge au sujet de réfugiés italiens qu’on avait expulsés de France et dont l’activité donnait des inquiétudes.

Un voyage qui ressemblait à une partie de plaisir ! Les entrevues avaient été plus courtes qu’il était prévu. Le commissaire disposait de quelques heures.

Et il avait pénétré, en simple curieux, dans un petit café de la Montagne-aux-Herbes-Potagères.

Il était dix heures du matin. Le café était à peu près désert. Pourtant, alors qu’un patron jovial et familier lui parlait d’abondance, Maigret avait remarqué un client installé tout au fond de la salle, dans la pénombre, et qui se livrait à un singulier travail.

L’homme était miteux. Il avait tout du « sans-travail professionnel » comme on en rencontre dans toutes les capitales, à la recherche d’une occasion.

Or, il tirait des billets de mille francs de sa poche, les comptait, les enveloppait de papier gris et ficelait le paquet, écrivait une adresse.

Trente billets pour le moins ! Trente mille francs belges ! Maigret avait sourcillé et, quand l’inconnu était sorti après avoir payé le café qu’il avait bu, il l’avait suivi jusqu’au plus proche bureau de poste.

Là, il avait pu lire par-dessus l’épaule de l’homme l’adresse tracée d’une écriture qui n’avait rien de l’écriture d’un primaire : Monsieur Louis Jeunet, 18, rue de la Roquette, Paris.

Mais ce qui l’avait le plus frappé, c’était la mention : imprimé.

Trente mille francs voyageant comme du simple papier journal, comme de vulgaires prospectus ! Car l’envoi ne fut même pas recommandé ! Un postier le pesa, annonça :

— Septante centimes…

Et l’expéditeur sortit après avoir payé. Maigret avait noté le nom et l’adresse. Il avait suivi son homme et, un instant, il avait été amusé par l’éventualité de faire un cadeau à la police belge. Tout à l’heure, il irait trouver le chef de la Sûreté bruxelloise et lui dirait négligemment :

— A propos, en prenant un verre de gueuze-lambic, j’ai mis la main sur un malfaiteur… Vous n’aurez qu’à le cueillir à tel endroit…

Maigret était très gai. Il y avait sur la ville un doux soleil d’automne qui mettait des bouffées de chaleur dans l’air.

A onze heures, l’inconnu achetait pour trente-deux francs une valise en imitation cuir – voire en imitation fibre ! – dans une boutique de la rue Neuve. Et Maigret, par jeu, acheta la même, sans chercher à prévoir la suite de l’aventure.

A onze heures et demie, l’homme pénétrait dans un hôtel d’une ruelle dont le commissaire ne parvint pas à voir le nom. Il en ressortait un peu plus tard et prenait, à la gare du Nord, le train d’Amsterdam.

Cette fois le policier hésita. Peut-être l’impression d’avoir déjà vu cette tête quelque part influa-t-elle sur sa décision ?

— Ce n’est, sans doute, qu’une affaire de rien du tout !… Mais si c’était une affaire importante ?…

Rien ne l’appelait d’urgence à Paris. A la frontière hollandaise, il fut frappé par le fait que l’homme, avec une adresse qui révélait l’habitude de ces sortes d’exercices, hissait sa valise sur le toit du wagon avant d’arriver au poste de douane.

— On verra bien quand il s’arrêtera quelque part !…

Seulement, il ne s’arrêta pas à Amsterdam, où il se contenta de prendre un billet de troisième classe pour Brème. Et ce fut la traversée de la plaine hollandaise, avec ses canaux sillonnés de bateaux à voiles qui semblaient voguer en plein champ.

Neuschanz… Brême…

Maigret, à tout hasard, avait opéré la substitution des valises. Des heures durant, il avait cherché en vain à classer l’individu dans une des catégories connues de la police.

— Trop nerveux pour un véritable bandit international ! Ou alors, ce n’est qu’un comparse qui fera prendre ses chefs !… Un conspirateur ?… Un anarchiste ?… Il ne parle que le français et il n’y a guère de conspirateurs en France, ni même d’anarchistes militants !… Un petit escroc solitaire ?…

Un escroc eût-il vécu si pauvrement après avoir expédié trente billets de mille francs dans un simple papier gris ?