Выбрать главу

– Écoute, lui avait dit Belbo, précisément ce jour-là, tu ne m'as pas dissuadé, tu m'encourages. J'ai donc entre les mains, et à mes ordres, comme tes amis avaient le Golem, mon Aboulafia personnel. Je l'appellerai Aboulafia, Abou pour les intimes. Et mon Aboulafia sera plus prudent et respectueux que le tien. Plus modeste. Le problème n'est-il pas de trouver toutes les combinaisons du nom de Dieu ? Bien, regarde dans ce manuel, j'ai un petit programme en Basic pour permuter toutes les séquences de quatre lettres. On dirait qu'il est fait exprès pour IHVH. Le voilà, tu veux que je le fasse tourner ? » Et il lui montrait le programme, cabalistique, ça oui, pour Diotallevi :

10 REM anagrammi

20 INPUT L$(1),L$(2),L$(3),L$(4)

30 PRINT

40 FOR I1=1 TO 4

50 FOR I2=1 TO 4

60 IF 12=11 THEN 130

70 FOR 13= 1 TO 4

80 IF I3=II THEN 120

90 IF I3=I2 THEN 120

100 LET I4=10-(I1+I2+I3)

110 LPRINT L$(I1)¡L$(I2)¡L$(I3)¡L$(I4)

120 NEXT 13

130 NEXT 12

140 NEXT I1

150 END

« Essaie, écris I, H, V, H, quand l'input te le demande, et fais partir le programme. Tu seras sans doute déconcerté : les permutations possibles ne sont qu'au nombre de vingt-quatre.

– Saints Séraphins. Et qu'est-ce que tu en fais de vingt-quatre noms de Dieu ? Tu crois que nos sages n'avaient pas déjà fait le calcul ? Mais lis donc le Sefer Jesirah, seizième section du chapitre quatre. Et ils n'avaient pas nos calculateurs. " Deux Pierres bâtissent deux Maisons. Trois Pierres bâtissent six Maisons. Quatre Pierres bâtissent vingt-quatre maisons. Cinq Pierres bâtissent cent vingt Maisons. Six Pierres bâtissent sept cent vingt Maisons. Sept Pierres bâtissent cinq mille quarante Maisons. A partir de là, va et pense à ce que la bouche ne peut dire et l'oreille ne peut entendre. " Tu sais comment cela s'appelle aujourd'hui ? Calcul factoriel. Et tu sais pourquoi la Tradition t'avertit qu'à partir de là il vaut mieux que tu t'arrêtes ? Parce que si les lettres du nom de Dieu étaient au nombre de huit, il y aurait quarante mille permutations, et si elles étaient dix, il y en aurait trois millions six cent mille, et les permutations de ton pauvre nom atteindraient presque quarante millions, et tu peux dire merci de ne pas avoir la middle initial comme les Américains, autrement tu grimperais à plus de quatre cents millions. Et si les lettres des noms de Dieu étaient au nombre de vingt-sept, parce que l'alphabet hébraïque n'a pas de voyelles, mais bien vingt-deux sons plus cinq variantes – ses noms possibles seraient un nombre de vingt-neuf chiffres. Mais il faudrait que tu calcules aussi les répétitions, car on ne peut exclure que le nom de Dieu soit Aleph répété vingt-sept fois, et alors la factorielle ne te suffirait plus et il faudrait calculer vingt-sept à la vingt-septième : et tu aurais, je crois, 444 milliards de milliards de milliards de milliards de possibilités, ou à peu près, en tout cas un nombre de trente-neuf chiffres.

– Tu es en train de tricher pour m'impressionner. J'ai lu moi aussi ton Sefer Jesirah. Les lettres fondamentales sont au nombre de vingt-deux et avec celles-là, et seulement avec celles-là, Dieu forma toute la création.

– Pour l'instant ne t'essaie pas aux sophismes, parce que si tu entres dans cet ordre de grandeur, si au lieu de vingt-sept à la vingt-septième tu fais vingt-deux à la vingt-deuxième, tu totalises quand même quelque chose comme trois cent quarante milliards de milliards de milliards. Pour ta mesure humaine, quelle différence cela fait ? Mais sais-tu bien que si tu devais compter un, deux, trois et ainsi de suite, un nombre à la seconde, pour arriver à un milliard, et je parle d'un tout petit milliard, tu y mettrais presque trente-deux ans ? Mais la chose est plus complexe que tu ne crois et la Kabbale ne se réduit pas au Sefer Jesirah. Et moi je vais te dire pourquoi une bonne permutation de la Torah doit se servir des vingt-sept lettres au complet. Il est vrai que, si dans le cours d'une permutation les cinq finales devaient tomber dans le corps du mot, elles se transformeraient dans leur équivalent normal. Mais il n'en va pas toujours ainsi. Dans Isaïe neuf, six, sept, le mot LMRBH, Lemarbah–qui, comme par hasard, veut dire multiplier –, est écrit avec la mem finale au milieu.

– Et pourquoi ?

– Parce que chaque lettre correspond à un nombre et que la mem normale vaut quarante tandis que la mem finale vaut six cents. La Temurah n'est pas en jeu, qui t'apprend à permuter, mais la Gématria, qui trouve de sublimes affinités entre le mot et sa valeur numérique. Avec la mem finale le mot LMRBH ne vaut pas 277 mais bien 837, et il équivaut ainsi à " ThThZL, Thath Zal ", qui signifie " celui qui donne à profusion ". Tu vois donc qu'il faut tenir compte des vingt-sept lettres au complet, car ce n'est pas seulement le son qui compte mais aussi le nombre. Et alors revenons à mon calcul : il y a plus de quatre cents milliards de milliards de milliards de milliards de permutations. Et tu sais combien il faudrait pour toutes les essayer, une par seconde, en admettant qu'une machine, certes pas la tienne, petite et misérable, pût le faire ? Avec une combinaison à la seconde, tu y mettrais sept milliards de milliards de milliards de milliards de minutes, cent vingt-trois millions de milliards de milliards de milliards d'heures, un peu plus de cinq millions de milliards de milliards de milliards de jours, quatorze mille milliards de milliards de milliards d'années, cent quarante milliards de milliards de milliards de siècles, quatorze milliards de milliards de milliards de millénaires. Et si j'avais un calculateur capable d'essayer un million de combinaisons à la seconde, ah, pense combien de temps tu gagnerais : ton boulier électronique s'en tirerait en quatorze mille milliards de milliards de millénaires ! Mais en vérité le vrai nom de Dieu, le nom secret, est long comme la Torah tout entière et il n'est de machine au monde qui puisse en épuiser les permutations, car la Torah est déjà en soi le résultat d'une permutation avec répétitions des vingt-sept lettres, et l'art de la Temurah ne te dit pas que tu dois permuter les vingt-sept lettres de l'alphabet mais tous les signes de la Torah, où chaque signe vaut à l'instar d'une lettre à part, même s'il apparaît un nombre infini d'autres fois dans d'autres pages, comme pour dire que les deux he du nom de Ihvh valent comme deux lettres différentes. A telle enseigne que, si tu voulais calculer les permutations possibles de tous les signes de la Torah entière, tous les zéros du monde ne te suffiraient pas. Essaie, essaie avec ta misérable petite machine pour experts-comptables. La Machine existe, certes, mais elle n'a pas été produite dans ta vallée de la silicone, c'est la sainte Kabbale ou Tradition, et les rabbins font depuis des siècles ce qu'aucune machine ne pourra jamais faire et, espérons-le, ne fera jamais. Parce que, à supposer la combinatoire épuisée, le résultat devrait rester secret et, en tout cas, l'univers cesserait son cycle – et nous, nous resplendirions, oublieux, dans la gloire du grand Métatron.

– Amen », disait Jacopo Belbo.

Mais dès cette époque, Diotallevi le poussait vers ces vertiges, et j'aurais dû en tenir compte. Combien de fois n'avais-je pas vu Belbo, après les heures de bureau, tenter des programmes qui lui permissent de vérifier les calculs de Diotallevi, pour lui montrer qu'au moins son Abou lui disait la vérité en quelques secondes, sans devoir calculer à la main, sur des parchemins jaunis, avec des systèmes numériques prédiluviens qui, façon de parler, pouvaient bien même ne pas connaître le zéro ? En vain, Abou aussi répondait, jusqu'où il pouvait arriver, par notation exponentielle, et Belbo ne parvenait pas à humilier Diotallevi avec un écran qui se remplirait de zéros à l'infini, pâle imitation visuelle de la multiplication des univers combinatoires et de l'explosion de tous les mondes possibles...