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Sempé (et Goscinny)

 

 

Le Petit Nicolas

Tome 5

 

 

 

Le petit Nicolas a des ennuis

 

 

(1964)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Joachim a des ennuis

Joachim n’est pas venu hier à l’école et il est arrivé en retard aujourd’hui, l’air très embêté, et nous on a été très étonnés. On n’a pas été étonnés que Joachim soit en retard et embêté, parce qu’il est souvent en retard et toujours embêté quand il vient à l’école, surtout quand il y a interrogation écrite de grammaire ; ce qui nous a étonnés, c’est que la maîtresse lui ait fait un grand sourire, et lui ait dit :

— Eh bien, félicitations, Joachim ! Tu dois être content, n’est-ce pas ?

Nous, on a été de plus en plus étonnés, parce que si la maîtresse a déjà été gentille avec Joachim (elle est très chouette et elle est gentille avec n’importe qui), elle ne l’a jamais, jamais félicité. Mais ça n’a pas eu l’air de lui faire plaisir, à Joachim, qui, toujours aussi embêté, est allé s’asseoir à son banc, à côté de Maixent. Nous, on s’était tous retournés pour le regarder, mais la maîtresse a tapé sur son bureau avec sa règle et elle nous a dit de ne pas nous dissiper, de nous occuper de nos affaires et de copier ce qu’il y avait au tableau, sans faire de fautes, je vous prie.

Et puis, j’ai entendu la voix de Geoffroy, derrière moi :

— Faites passer ! Joachim a eu un petit frère !

A la récré, on s’est mis tous autour de Joachim, qui était appuyé contre le mur, avec les mains dans les poches, et on lui a demandé si c’était vrai qu’il avait eu un petit frère.

— Ouais, nous a dit Joachim. Hier matin, Papa m’a réveillé. Il était tout habillé et pas rasé, il rigolait, il m’a embrassé et il m’a dit que, pendant la nuit, j’avais eu un petit frère. Et puis il m’a dit de m’habiller en vitesse et nous sommes allés dans un hôpital, et là, il y avait Maman ; elle était couchée, mais elle avait l’air aussi contente que Papa, et près de son lit, il y avait mon petit frère.

— Ben, j’ai dit, toi t’as pas l’air tellement content !

— Et pourquoi je serais content ? a dit Joachim. D’abord, il est moche comme tout. Il est tout petit, tout rouge et il crie tout le temps, et tout le monde trouve ça rigolo. Moi, quand je crie un peu, à la maison, on me fait taire tout de suite, et puis Papa me dit que je suis un imbécile et que je lui casse les oreilles.

— Ouais, je sais, a dit Rufus. Moi aussi, j’ai un petit frère, et ça fait toujours des histoires. C’est le chouchou et il a le droit de tout faire, et si je lui tape dessus, il va tout raconter à mes parents, et puis après je suis privé de cinéma, jeudi !

— Moi, c’est le contraire, a dit Eudes. J’ai un grand frère et c’est lui le chouchou. Il a beau dire que c’est moi qui fais des histoires, lui, il me tape dessus, il a le droit de rester tard pour regarder la télé et on le laisse fumer !

— Depuis qu’il est là, mon petit frère, on m’attrape tout le temps, a dit Joachim. A l’hôpital, Maman a voulu que je l’embrasse, mon petit frère, et moi, bien sûr, je n’en avais pas envie, mais j’y suis allé quand même, et Papa s’est mis à crier que je fasse attention, que j’allais renverser le berceau et qu’il n’avait jamais vu un grand empoté comme moi.

— Qu’est-ce que ça mange, quand c’est petit comme ça ? a demandé Alceste.

— Après, a dit Joachim, nous sommes retournés à la maison, Papa et moi, et ça fait tout triste, la maison, sans Maman. Surtout que c’est Papa qui a fait le déjeuner, et il s’est fâché parce qu’il ne trouvait pas l’ouvre-boîtes, et puis après on a eu seulement des sardines et des tas de petits pois. Et ce matin, pour le petit déjeuner, Papa s’est mis à crier après moi, parce que le lait se sauvait.

— Et tu verras, a dit Rufus. D’abord, quand ils le ramèneront à la maison, il va dormir dans la chambre de tes parents, mais après, on va le mettre dans ta chambre à toi. Et chaque fois qu’il se mettra à pleurer, on croira que c’est toi qui l’as embêté.

— Moi, a dit Eudes, c’est mon grand frère qui couche dans ma chambre, et ça ne me gêne pas trop, sauf quand j’étais tout petit, ça fait longtemps, et que cette espèce de guignol s’amusait à me faire peur.

— Ah ! non ! a crié Joachim. Ça, il peut toujours courir, mais il ne couchera pas dans ma chambre ! Elle est à moi, ma chambre, et il n’a qu’à s’en trouver une autre s’il veut dormir à la maison !

— Bah ! a dit Maixent. Si tes parents disent que ton petit frère couche dans ta chambre, il couchera dans ta chambre, et voilà tout.

— Non, monsieur ! Non, monsieur ! a crié Joachim. Ils le coucheront où ils voudront, mais pas chez moi ! Je m’enfermerai, non mais sans blague !

— C’est bon, ça, des sardines avec des petits pois ? a demandé Alceste.

— L’après-midi, a dit Joachim, Papa m’a ramené à l’hôpital, et il y avait mon oncle Octave, ma tante Édith et puis ma tante Lydie, et tout le monde disait que mon petit frère ressemblait à des tas de gens, à Papa, à Maman, à l’oncle Octave, à tante Édith, à tante Lydie et même à moi. Et puis on m’a dit que je devais être bien content, et que maintenant il faudrait que je sois très sage, que j’aide ma Maman et que je travaille bien à l’école. Et Papa a dit qu’il espérait bien que je ferais des efforts, parce que jusqu’à présent je n’étais qu’un cancre, et qu’il fallait que je devienne un exemple pour mon petit frère. Et puis après, ils ne se sont plus occupés de moi, sauf Maman, qui m’a embrassé et qui m’a dit qu’elle m’aimait bien, autant que mon petit frère.

— Dites, les gars, a dit Geoffroy, si on faisait une partie de foot, avant que la récré se termine ?

— Tiens ! a dit Rufus, quand tu voudras sortir pour aller jouer avec les copains, on te dira de rester à la maison pour garder ton petit frère.

— Ah ! oui ? Sans blague ! Il se gardera tout seul, celui-là ! a dit Joachim. Après tout, personne ne l’a sonné. Et j’irai jouer chaque fois que j’en aurai envie !

— Ça fera des histoires, a dit Rufus, et puis on te dira que tu es jaloux.

— Quoi ? a crié Joachim. Ça, c’est la meilleure !

Et il a dit qu’il n’était pas jaloux, que c’était bête de dire ça, qu’il ne s’en occupait pas, de son petit frère ; la seule chose, c’est qu’il n’aimait pas qu’on l’embête et qu’on vienne coucher dans sa chambre, et puis qu’on l’empêche d’aller jouer avec les copains, et que lui il n’aimait pas les chouchous, et que si on l’embêtait trop, eh bien, il quitterait la maison, et c’est tout le monde qui serait bien embêté, et qu’ils pouvaient le garder, leur Léonce, et que tout le monde le regretterait bien quand il serait parti, surtout quand ses parents sauraient qu’il était capitaine sur un bateau de guerre et qu’il gagnait beaucoup d’argent, et que de toute façon il en avait assez de la maison et de l’école, et qu’il n’avait besoin de personne, et que tout ça, ça le faisait drôlement rigoler.