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Maman a dit que le papier à lettres était dans le tiroir de la petite table du salon, qu’elle commençait à en avoir assez et que son dîner était prêt.

J’ai recopié la lettre de Papa et j’ai dû recommencer plusieurs fois, à cause des fautes, et puis aussi à cause de la tache d’encre. Maman est venue nous dire que tant pis, le dîner serait brûlé, et puis j’ai fait l’enveloppe trois fois, et Papa a dit qu’on pouvait aller dîner, et moi j’ai demandé un timbre à Papa, et Papa a dit « Ah ! oui », et il m’a donné un timbre, et j’ai eu deux fois du dessert. Mais Maman ne nous a pas parlé pendant le dîner.

Et c’est le lendemain soir que j’ai été drôlement inquiet pour Papa, parce que le téléphone a sonné, Papa est allé répondre et il a dit :

— Allô ?... Oui... Ah ! Monsieur Moucheboume !... Bonsoir, monsieur Moucheboume... Oui... Comment ?

Alors, Papa a fait une tête tout étonnée et il a dit :

— Une lettre ?... Ah ! c’est donc pour ça que ce petit cachottier de Nicolas m’a demandé un timbre, hier soir !

La valeur de l’argent

J’ai fait quatrième à la composition d’histoire ; on a eu Charlemagne et je le savais, surtout avec le coup de Roland et son épée qui casse pas.

Papa et Maman ont été très contents quand ils ont su que j’étais quatrième, et Papa a sorti son portefeuille et il m’a donné, devinez quoi ? Un billet de dix francs !

— Tiens, bonhomme, m’a dit Papa, demain, tu achèteras ce que tu voudras.

— Mais... Mais, chéri, a dit Maman, tu ne crois pas que c’est beaucoup d’argent pour le petit ?

— Pas du tout, a répondu Papa ; il est temps que Nicolas apprenne à connaître la valeur de l’argent. Je suis sûr qu’il dépensera ces dix nouveaux francs d’une façon raisonnable. N’est-ce pas, bonhomme ?

Moi, j’ai dit que oui, et j’ai embrassé Papa et Maman ; ils sont chouettes, et j’ai mis le billet dans ma poche, ce qui m’a obligé à dîner d’une seule main, parce qu’avec l’autre je vérifiais si le billet était toujours là. C’est vrai que jamais je n’en avais eu d’aussi gros à moi tout seul. Oh ! bien sûr, il y a des fois où Maman me donne beaucoup d’argent pour faire des courses à l’épicerie de M. Compani, au coin de la rue, mais ce n’est pas à moi et Maman me dit combien de monnaie doit me rendre M. Compani. Alors, c’est pas la même chose.

Quand je me suis couché, j’ai mis le billet sous l’oreiller, et j’ai eu du mal à m’endormir. Et puis j’ai rêvé des drôles de choses, avec le monsieur qui est sur le billet et qui regarde de côté, qui se mettait à faire des tas de grimaces, et puis la grande maison qui est derrière lui devenait l’épicerie de M. Compani.

Quand je suis arrivé à l’école, le matin, avant d’entrer en classe, j’ai montré le billet aux copains.

— Eh ben, dis donc, a dit Clotaire, et qu’est-ce que tu vas en faire ?

— Je sais pas, j’ai répondu. Papa me l’a donné pour que je connaisse la valeur de l’argent, et il faut que je le dépense d’une façon raisonnable. Moi, ce que j’aimerais, c’est m’acheter un avion, un vrai.

— Tu peux pas, m’a dit Joachim, un vrai avion, ça coûte au moins mille francs.

— Mille francs ? a dit Geoffroy, tu rigoles ! Mon papa m’a dit que ça coûtait au moins trente mille francs, et un petit, encore.

Là, on s’est tous mis à rire, parce que Geoffroy, il raconte n’importe quoi, il est très menteur.

— Pourquoi n’achèterais-tu pas un atlas ? m’a dit Agnan, qui est le premier de la classe et le chouchou de la maîtresse. Il y a de belles cartes, des photos instructives, c’est très utile.

— Tu voudrais tout de même pas, j’ai dit, que je donne de l’argent pour avoir un livre ? Et puis les livres c’est toujours Tata qui me les donne pour mes anniversaires ou quand je suis malade ; j’ai pas encore fini celui que j’ai eu pour les oreillons.

Agnan, il m’a regardé, et puis il est parti sans rien dire et il s’est remis à repasser sa leçon de grammaire. Il est fou, Agnan !

— Tu devrais acheter un ballon de foot, pour qu’on puisse tous y jouer, m’a dit Rufus.

— Tu rigoles, j’ai dit. Le billet, il est à moi, je vais pas acheter des choses pour les autres. D’abord, t’avais qu’à faire quatrième en histoire si tu voulais jouer au foot.

— T’es un radin, m’a dit Rufus, et si t’as fait quatrième en histoire, c’est parce que t’es le chouchou de la maîtresse, comme Agnan.

Mais j’ai pas pu donner une claque à Rufus, parce que la cloche a sonné et on a dû se mettre en rang pour aller en classe. C’est toujours la même chose : quand on commence à s’amuser, ding dong, il faut aller en classe. Et puis, quand on a été en rang, Alceste est arrivé en courant.

— Vous êtes en retard, a dit le Bouillon, notre surveillant.

— C’est pas ma faute, a dit Alceste, il y avait un croissant de plus pour le petit déjeuner.

Le Bouillon a fait un gros soupir et il a dit à Alceste de se mettre en rang et d’essuyer le beurre qu’il avait sur le menton.

En classe, j’ai dit à Alceste, qui est assis à côté de moi : « T’as vu ce que j’ai ? » et je lui ai montré mon billet.

Alors, la maîtresse a crié :

— Nicolas ! Qu’est-ce que c’est que ce papier ? Apportez-le-moi immédiatement, il est confisqué.

Je me suis mis à pleurer et j’ai porté le billet à la maîtresse, qui a ouvert des grands yeux.

— Mais, elle a dit, la maîtresse, qu’est-ce que vous faites avec ça ?

— Je ne sais pas encore, j’ai expliqué : c’est Papa qui me l’a donné pour le coup de Charlemagne.

La maîtresse, j’ai vu qu’elle se forçait pour ne pas rigoler ; ça lui arrive quelquefois et elle est très jolie quand elle fait ça ; elle m’a rendu le billet, elle m’a dit de le mettre dans ma poche, qu’il ne fallait pas jouer avec de l’argent et que je ne le dépense pas pour des bêtises.

Et puis elle a interrogé Clotaire, et je ne crois pas que son papa le payera pour la note qu’il a eue.

A la récré, pendant que les autres jouaient, Alceste m’a tiré par le bras et il m’a demandé ce que j’allais faire avec mon argent. Je lui ai dit que je ne savais pas ; alors il m’a dit qu’avec dix francs, je pourrais avoir des tas de tablettes de chocolat.

— Tu pourrais en acheter cinquante ! Cinquante tablettes, tu te rends compte ? m’a dit Alceste, vingt-cinq tablettes pour chacun !

— Et pourquoi je te donnerais vingt-cinq tablettes, j’ai demandé ; le billet, il est à moi !

— Laisse-le, a dit Rufus à Alceste, c’est un radin !

Et ils sont partis jouer, mais moi je m’en fiche, c’est vrai, quoi, à la fin, qu’est-ce qu’ils ont tous à m’embêter avec mon argent ?

Mais l’idée d’Alceste était très bonne, pour les tablettes de chocolat. D’abord, j’aime bien le chocolat, et puis je n’ai jamais eu cinquante tablettes à la fois, même chez mémé, qui me donne pourtant tout ce que je veux. C’est pour ça qu’après l’école, je suis allé en courant dans la boulangerie, et quand la dame m’a demandé ce que je voulais, je lui ai donné mon billet et je lui ai dit : « Des tablettes pour tout ça, vous devez m’en donner cinquante, m’a dit Alceste. »

La dame a regardé le billet, m’a regardé moi, et elle m’a dit :

— Où as-tu trouvé ça, mon petit garçon ?

— Je ne l’ai pas trouvé, j’ai dit, on me l’a donné.

— On t’a donné ça pour que tu achètes cinquante tablettes de chocolat ? m’a demandé la dame.

— Ben oui, j’ai répondu.

— Je n’aime pas les petits menteurs, m’a dit la dame ; tu ferais mieux de remettre ce billet où tu l’as trouvé.

Et comme elle m’a fait les gros yeux, je me suis sauvé et j’ai pleuré jusqu’à la maison.

A la maison, j’ai tout raconté à Maman ; alors elle m’a embrassé et elle m’a dit qu’elle allait arranger ça avec mon papa. Et Maman a pris le billet et elle est allée voir Papa qui était dans le salon. Et puis Maman est revenue avec une pièce de vingt centimes :

— Tu achèteras une tablette de chocolat avec ces vingt centimes, m’a dit Maman.

Et moi, j’ai été bien content. Je crois même que je vais donner la moitié de ma tablette à Alceste, parce que c’est un copain, et avec lui, on partage tout.