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— Petit malheureux ! Tu as souillé toutes les pages avec tes doigts ! Enfin, tant pis pour toi. C’est cinquante francs.

— Oui, a dit Alceste. Mais je n’ai pas de sous. Alors, à la maison, pendant le déjeuner, je vais demander à mon papa s’il veut bien m’en donner. Mais n’y comptez pas trop, parce que j’ai fait le guignol hier, et papa a dit qu’il allait me punir.

Et comme il était tard, nous sommes tous partis, en criant : « Au revoir, monsieur Escarbille ! »

M. Escarbille ne nous a pas répondu ; il était occupé à regarder le cahier qu’Alceste va peut-être lui acheter.

Moi, je suis content avec la nouvelle librairie, et je sais que maintenant nous y serons toujours très bien reçus. Parce que, comme dit Maman : « Il faut toujours devenir amis avec les commerçants ; comme ça, après, ils se souviennent de vous et ils vous servent bien. »

Rufus est malade

On était en classe, en train de faire un problème d’arithmétique très difficile, où ça parlait d’un fermier qui vendait des tas d’œufs et de pommes, et puis Rufus a levé la main.

— Oui, Rufus ? a dit la maîtresse.

— Je peux sortir, mademoiselle ? a demandé Rufus ; je suis malade.

La maîtresse a dit à Rufus de venir jusqu’à son bureau ; elle l’a regardé, elle lui a mis la main sur le front et elle lui a dit :

— Mais c’est vrai que tu n’as pas l’air bien. Tu peux sortir ; va à l’infirmerie et dis-leur qu’ils s’occupent de toi.

Et Rufus est parti tout content, sans finir son problème. Alors, Clotaire a levé la main et la maîtresse lui a donné à conjuguer le verbe : « Je ne dois pas faire semblant d’être malade, pour essayer d’avoir une excuse afin d’être dispensé de faire mon problème d’arithmétique. » A tous les temps et à tous les modes.

A la récré, dans la cour, nous avons trouvé Rufus et nous sommes allés le voir.

— Tu es allé à l’infirmerie ? j’ai demandé.

— Non, m’a répondu Rufus. Je me suis caché jusqu’à la récré.

— Et pourquoi t’es pas allé à l’infirmerie ? a demandé Eudes.

— Je ne suis pas fou, a dit Rufus. La dernière fois que je suis allé à l’infirmerie, ils m’ont mis de l’iode sur le genou et ça m’a piqué drôlement.

Alors, Geoffroy a demandé à Rufus s’il était vraiment malade, et Rufus lui a demandé s’il voulait une baffe, et ça, ça a fait rigoler Clotaire, et je ne me rappelle plus très bien ce que les copains ont dit et comment ça s’est passé, mais très vite on était tous en train de se battre autour de Rufus qui s’était assis pour nous regarder et qui criait : « Vas-y ! Vas-y ! Vas-y ! »

Bien sûr, comme d’habitude, Alceste et Agnan ne se battaient pas. Agnan, parce qu’il repassait ses leçons et parce qu’à cause de ses lunettes on ne peut pas lui taper dessus ; et Alceste, parce qu’il avait deux tartines à finir avant la fin de la récré.

Et puis M. Mouchabière est arrivé en courant.

M. Mouchabière est un nouveau surveillant qui n’est pas très vieux et qui aide le Bouillon, qui est notre vrai surveillant, à nous surveiller. Parce que c’est vrai : même si nous sommes assez sages, surveiller la récré, c’est un drôle de travail.

— Eh bien, a dit M. Mouchabière, qu’est-ce qu’il y a encore, bande de petits sauvages ? Je vais vous donner à tous une retenue !

— Pas à moi, a dit Rufus ; moi je suis malade.

— Ouais, a dit Geoffroy.

— Tu veux une baffe ? a demandé Rufus.

— Silence ! a crié M. Mouchabière. Silence, ou je vous promets que vous serez tous malades.

Alors, on n’a plus rien dit et M. Mouchabière a demandé à Rufus de s’approcher.

— Qu’est-ce que vous avez ? lui a demandé M. Mouchabière.

Rufus a dit qu’il ne se sentait pas bien.

— Vous l’avez dit à vos parents ? a demandé M. Mouchabière.

— Oui, a dit Rufus, je l’ai dit à ma maman ce matin.

— Et alors, a dit M. Mouchabière, pourquoi vous a-t-elle laissé venir à l’école, votre maman ?

— Ben, a expliqué Rufus, je le lui dis tous les matins, à ma maman, que je ne me sens pas bien. Alors, bien sûr elle ne peut pas savoir. Mais cette fois-ci, ce n’est pas de la blague.

M. Mouchabière a regardé Rufus, il s’est gratté la tête et lui a dit qu’il fallait qu’il aille à l’infirmerie.

— Non, a crié Rufus.

— Comment, non ? a dit M. Mouchabière. Si vous êtes malade, vous devez aller à l’infirmerie. Et quand je vous dis quelque chose, il faut m’obéir !

Et M. Mouchabière a pris Rufus par le bras, mais Rufus s’est mis à crier : « Non ! non ! J’irai pas ! j’irai pas ! » et il s’est roulé par terre en pleurant.

— Le battez pas, a dit Alceste, qui venait de finir ses tartines ; vous voyez pas qu’il est malade ?

M. Mouchabière a regardé Alceste avec de grands yeux.

— Mais je ne le..., il a commencé à dire, et puis il est devenu tout rouge et il a crié à Alceste de se mêler de ce qui le regardait, et lui a donné une retenue.

— Ça, c’est la meilleure ! a crié Alceste. Alors, moi je vais avoir une retenue parce que cet imbécile est malade ?

— Tu veux une baffe ? a demandé Rufus, qui s’est arrêté de pleurer.

— Ouais, a dit Geoffroy.

Et on s’est tous mis à crier ensemble et à discuter ; Rufus s’est assis pour nous regarder, et le Bouillon est arrivé en courant.

— Eh bien, monsieur Mouchabière, a dit le Bouillon, vous avez des ennuis ?

— C’est à cause de Rufus qui est malade, a dit Eudes.

— Je ne vous ai rien demandé, a dit le Bouillon. Monsieur Mouchabière, punissez cet élève, je vous prie.

Et M. Mouchabière a donné une retenue à Eudes, ce qui a fait plaisir à Alceste, parce qu’en retenue c’est plus rigolo quand on est avec des copains.

Et puis M. Mouchabière a expliqué au Bouillon que Rufus ne voulait pas aller à l’infirmerie et qu’Alceste s’était permis de lui dire de ne pas battre Rufus et qu’il n’avait jamais battu Rufus et qu’on était insupportables, insupportables, insupportables. Il a dit ça trois fois, M. Mouchabière, avec sa voix à la dernière fois qui ressemblait à celle de maman quand je la fais enrager.

Le Bouillon s’est passé la main sur le menton, et puis il a pris M. Mouchabière par le bras, il l’a emmené un peu plus loin, il lui a mis la main sur l’épaule et il lui a parlé longtemps tout bas. Et puis le Bouillon et M. Mouchabière sont revenus vers nous.

— Vous allez voir, mon petit, a dit le Bouillon avec un gros sourire sur la bouche.

Et puis, il a appelé Rufus avec son doigt.

— Vous allez me faire le plaisir de venir avec moi à l’infirmerie, sans faire de comédie. D’accord ?

— Non ! a crié Rufus. Et il s’est roulé par terre en pleurant et en criant : « Jamais ! Jamais ! Jamais ! »

— Faut pas le forcer, a dit Joachim.

Alors, ça a été terrible. Le Bouillon est devenu tout rouge, il a donné une retenue à Joachim et une autre à Maixent qui riait. Ce qui m’a étonné, c’est que le gros sourire, maintenant, il était sur la bouche de M. Mouchabière.

Et puis le Bouillon a dit à Rufus :

— A l’infirmerie ! Tout de suite ! Pas de discussion !

Et Rufus a vu que ce n’était plus le moment de rigoler, et il a dit que bon, d’accord, il voulait bien y aller, mais à condition qu’on ne lui mette pas de l’iode sur les genoux.

— De l’iode ? a dit le Bouillon. On ne vous mettra pas de l’iode. Mais quand vous serez guéri, vous viendrez me voir. Nous aurons un petit compte à régler. Maintenant, allez avec M. Mouchabière.

Et nous sommes tous allés vers l’infirmerie, et le Bouillon s’est mis à crier :