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Je tressaillis. Elle le remarqua, interpréta ma réaction incorrectement.

— Ne t’inquiète pas, fit-elle avec un sourire triste. Je vais parfaitement bien. Simplement, j’essaie d’exprimer mes sensations et mes pressentiments. Je vois que tu ne pourras pas me comprendre, pourtant réfléchis toi-même à ce que sont ces pressentiments si de ma bouche ne sortent que de jolis termes du genre nécrotique, revenants …

Elle refit quelques pas dans le mess, s’arrêta devant moi et enchaîna :

— Bien sûr, d’un autre côté la planète possède des paramètres magnifiques, rarissimes. L’activité biologique est pratiquement nulle, l’atmosphère, l’hydrosphère, le climat, la balance thermique — tout est comme sur commande pour le projet Arche. Mais je te donne ma tête à couper qu’aucun organisateur de cette entreprise ne s’est déplacé ; et même à supposer que quelqu’un soit venu, il faut croire qu’il n’avait pas une ombre de flair pour ce qui est de la vie, si j’ose m’exprimer ainsi … C’est compréhensible ces vieux loups du cosmos couverts de la tête aux pieds de cicatrices, ils en ont traversé des enfers … leur flair pour ce qui est du danger matériel est fabuleux ! En revanche, pour cela … (Elle claqua des doigts et alla jusqu’à faire une grimace, la pauvre, dans l’impossibilité de trouver les mots justes.) Au demeurant, je n’en sais rien. Il se peut que l’un d’eux ait senti quelque chose de louche, mais comment l’expliquer à ceux qui n’ont jamais été ici ? Toi, au moins, comprends-tu à peu près ce que je veux dire ?

Elle me scrutait de ses yeux verts, et moi, j’hésitais. Finalement, je mentis :

— Pas tout à fait. Tu as sûrement raison sur certains points …

— Tu vois, même toi, tu ne comprends pas. Bon, assez parlé de ça. Elle s’assit à table devant moi, pointa soudain un doigt dans ma joue et rit : j’ai vidé mon sac, je me sens mieux maintenant. Avec Komov pas question de confidences, je n’ai pas besoin de te le rappeler ; quant à Wanderkhouzé, devant lui il vaut mieux la boucler — il te ferait pourrir dans la section médicale …

La tension qui la paralysait, comme moi, d’ailleurs, tomba aussitôt, et notre conversation dégénéra en une jacasserie légère. Je me plaignis des ennuis de la veille avec mes robots, racontai que Vadik s’était baigné seul dans tout un océan et demandai comment ça allait du côté de l’intendance. Maïka répondit qu’ils avaient repéré quatre endroits pour des campements, de bons endroits, en principe, et que si le reste allait aussi bien, n’importe quel Panthien passerait volontiers sa vie ici, mais du moment que cette entreprise était vouée à l’échec, il ne servait à rien d’épiloguer dessus. Je signalai à Maïka qu’elle se distinguait par sa nature sceptique et que ce scepticisme ne se justifiait pas toujours, loin de là. Elle protesta en disant qu’il ne s’agissait plus de sa nature sceptique mais du scepticisme de la nature et que moi, j’étais un blanc-bec, une patate qui devrait se tenir devant elle, une personne expérimentée, à carreaux. Alors je lui objectai qu’une personne véritablement expérimentée ne se mettrait jamais à contredire un cybertechnicien, parce que le cybertechnicien représente à bord d’un vaisseau l’axe autour duquel tourne, en fait, toute la vie. Maïka nota que la plupart des axes de rotation sont, au fond, une notion imaginaire, ne dépassant pas l’endroit géométrique des points … Ensuite nous nous mîmes à discuter pour savoir s’il existe une différence entre les notions « axe de rotation » et « pivot de rotation » ; bref, nous jacassions, et cela devait, je pense, avoir l’air charmant. Toutefois, j’ignorais à quoi Maïka était en train de réfléchir ; quant à moi, en second plan, je me demandais s’il ne me fallait pas entreprendre sur-le-champ la vérification de l’ensemble des systèmes garantissant notre sécurité. Il est vrai que ces systèmes avaient été prévus pour détecter un danger biologique, et l’on ne pouvait pas affirmer s’ils resteraient valables pour la détection d’un danger nécrotique, mais à qui se lève matin Dieu prête la main, le renard qui dort la matinée n’a pas la gueule emplumée et, pour conclure, qui va lentement va sûrement.

En un mot, quand Maïka commença à bâiller et à se plaindre du manque de sommeil, je l’envoyai faire un petit somme avant le déjeuner, me rendis aussitôt à la bibliothèque, y trouvai un dictionnaire alphabétique et lus ce que signifiait le terme « nécrotique ». L’explication produisit sur moi une impression pénible, et je décidai d’attaquer la vérification sans tarder. Avant, il est vrai, je courus au poste de pilotage pour voir comment travaillaient mes gamins et y tombait sur Wanderkhouzé précisément au moment où il ramassait soigneusement en une petite pile bien rangée son rapport d’enquête.

— Je vais le porter à Komov, annonça-t-il en me voyant, puis je le montrerai à Maïka et ensuite, on en discutera, qu’en penses-tu ? Tu veux que je t’appelle ?

Je dis oui et lui fis savoir que je serais dans la section de sécurité. Il me regarda avec curiosité, mais sortit sans commentaire.

Je fus appelé environ deux heures plus tard. Wanderkhouzé m’informa par l’intercom que les membres de la commission avaient lu le rapport et demanda si je n’avais pas envie de le lire. J’aurais, naturellement, aimé le faire, seulement j’étais en pleine vérification, le gardien-éclaireur éventré à moitié, je bossais à toute vapeur ; je répondis, donc, que je ne le lirais probablement pas et ajoutai que je viendrais à la discussion dès que j’aurais terminé mon travail.

— J’en ai encore pour une heure, précisai-je, déjeunez sans moi.

Quand j’arrivai au mess, le déjeuner était fini et la discussion déjà commencée. Je me versai du potage, m’assis à part et me mis à manger en écoutant.

— Je ne peux pas accepter l’hypothèse de météorites sans formuler aucune réserve, déclara avec reproche Wanderkhouzé. Les Pélicans sont parfaitement protégés contre un choc de météorite, Guénnadi. Le vaisseau aurait simplement dévié le coup.

— Je n’en disconviens pas, répliqua Komov, regardant la table avec une grimace de dégoût. Supposez, néanmoins, que l’attaque de météorite ait eu lieu au moment de la sortie de l’astronef du subespace …

— Oui, bien sûr, approuva Wanderkhouzé. Dans ce cas-là, oui. Mais la probabilité …

— Vous m’étonnez, Yakov. Le principal moteur de vol est entièrement détruit. Il y a un énorme trou de part en part du vaisseau avec les traces d’une forte atteinte thermique. Il me semble que tout homme normal doit bien penser que cela ne peut être qu’une météorite.