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Cette comédie, monsieur Méchinet la répéta dans sept ou huit magasins aux environs.

Et même, dans l’un d’eux, dont les patrons étaient revêches et peu causeurs, il fit une emplette de vingt francs.

Mais après deux heures de cet exercice singulier, et qui m’amusait fort, nous connaissions exactement l’opinion publique. Nous savions au juste ce qu’on pensait de monsieur et madame Monistrol dans le quartier où ils étaient établis depuis leur mariage, c’est-à-dire depuis quatre ans.

Sur le mari, il n’y avait qu’une voix.

C’était, affirmait-on, le plus doux et le meilleur des hommes, serviable, honnête, intelligent et travailleur. S’il n’avait pas réussi dans son commerce, c’est que la chance ne sert pas toujours ceux qui le méritent le plus. Il avait eu le tort de prendre une boutique vouée à la faillite, car depuis quinze ans quatre commerçants s’y étaient coulés.

Il adorait sa femme, tout le monde le savait et le disait, mais ce grand amour n’avait pas dépassé les bornes convenues; il n’en était rejailli sur lui aucun ridicule…

Personne ne pouvait croire à sa culpabilité.

– Son arrestation, disait-on, doit être une erreur de la police.

Pour ce qui est de madame Monistrol, les avis étaient partagés.

Les uns la trouvaient trop élégante pour sa situation de fortune, d’autres soutenaient qu’une toilette à la mode était une des obligations, une des nécessités du commerce de luxe qu’elle tenait.

En général, on était persuadé qu’elle aimait beaucoup son mari.

Car, par exemple, il n’y avait qu’une voix pour célébrer sa sagesse, sagesse d’autant plus méritoire qu’elle était remarquablement belle et qu’elle était assiégée par bien des adorateurs. Mais jamais elle n’avait fait parler d’elle, jamais le plus léger soupçon n’avait effleuré sa réputation immaculée…

Cela, je le voyais bien, déroutait singulièrement monsieur Méchinet.

– C’est prodigieux, me disait-il, pas un cancan, pas une médisance, pas une calomnie!… Ah! ce n’est pas là ce que supposait Caroline… D’après elle, nous devions trouver une de ces boutiquières qui tiennent le haut du comptoir, qui étalent leur beauté encore plus que leurs marchandises, et qui relèguent à l’arrière-boutique leur mari – un aveugle imbécile ou un malpropre complaisant… Et pas du tout!

Je ne répondis pas, n’étant guère moins déconcerté que mon voisin.

Nous étions loin, maintenant, de la déposition de la concierge de la rue Lécluse, tant il est vrai que le point de vue varie selon le quartier. Ce qui passe aux Batignolles pour une damnable coquetterie, n’est plus rue Vivienne qu’une exigence de situation.

Mais nous avions employé trop de temps déjà à notre enquête, pour nous arrêter à échanger nos impressions et à discuter nos conjectures.

– Maintenant, dit monsieur Méchinet, avant de nous introduire dans la place, étudions-en les abords.

Et rompu à la pratique de ces investigations discrètes, au milieu du mouvement de Paris, il me fit signe de le suivre sous une porte cochère, précisément en face du magasin de Monistrol.

C’était une boutique modeste, presque pauvre, quand on la comparait à celles qui l’entouraient. La devanture réclamait le pinceau des peintres. Au-dessus, en lettres jadis dorées, maintenant enfumées et noircies, s’étalait le nom de Monistrol. Sur les glaces, on lisait: «Or et imitation.»

Hélas! c’était de l’imitation, surtout, qui reluisait à l’étalage. Le long des tringles pendaient force chaînes en doublé, des parures de jais, des diadèmes constellés de cailloux du Rhin, puis des colliers jouant le corail, et des broches, et des bagues, et des boutons de manchettes rehaussés de pierres fausses de toutes les couleurs…

Pauvre étalage en somme, je le reconnus d’un coup d’œil, et qui ne devait pas tenter les voleurs à la vrille.

– Entrons!… dis-je à monsieur Méchinet.

Il était moins impatient que moi, ou savait mieux contenir son impatience, car il m’arrêta par le bras en disant:

– Un instant… Je voudrais au moins entrevoir madame Monistrol.

Mais c’est en vain que, durant plus de vingt minutes encore, nous demeurâmes plantés à notre poste d’observation; la boutique restait vide, madame Monistrol ne paraissait pas…

– Décidément, c’est assez faire le pied de grue, s’exclama enfin mon digne voisin: arrivez, monsieur Godeuil, risquons-nous…

IX

Pour être au magasin de Monistrol, nous n’avions qu’à traverser la rue…

Ce fut fait en quatre enjambées.

Au bruit de la porte qui s’ouvrait, une petite servante de quinze à seize ans, malpropre et mal peignée, sortit de l’arrière-boutique.

– Qu’y a-t-il pour le service de ces messieurs? demanda-t-elle.

– Madame Monistrol?

– Elle est là, messieurs, et je vais la prévenir, parce que, voyez-vous…

Monsieur Méchinet ne lui laissa pas le loisir d’achever.

D’un geste passablement brutal, je l’avoue, il l’écarta du passage et pénétra dans l’arrière-boutique en disant:

– C’est bon, puisqu’elle est là, je vais lui parler.

Moi, je marchais sur les talons de mon digne voisin, persuadé que nous ne sortirions pas sans connaître le mot de l’énigme.

C’était une triste pièce, que cette arrière-boutique, servant tout à la fois de salon, de salle à manger et de chambre à coucher.

Le désordre y régnait, et plus encore cette incohérence qu’on remarque chez les pauvres qui s’efforcent de paraître riches.

Au fond était un lit à rideaux de damas bleu, dont les oreillers étaient garnis de dentelles, et devant la cheminée se trouvait une table tout encombrée des débris d’un déjeuner plus que modeste.

Dans un grand fauteuil, une jeune femme blonde était assise, ou plutôt gisait une jeune femme très blonde, tenant à la main une feuille de papier timbré…

C’était madame Monistrol…

Et certes, quand ils nous parlaient de sa beauté, tous les voisins étaient restés bien au-dessous de la réalité… je fus ébloui.

Seulement une circonstance me déplut: elle était en grand deuil, vêtue d’une robe de crêpe légèrement décolletée qui lui seyait merveilleusement…

C’était trop de présence d’esprit pour une si grande douleur. Il me sembla voir là l’artifice d’une comédienne revêtant d’avance le costume du rôle qu’elle doit jouer.

À notre entrée, elle se dressa, d’un mouvement de biche effarouchée, et d’une voix qui paraissait brisée par les larmes:

– Que voulez-vous, messieurs? interrogea-t-elle.

Tout ce que j’avais observé, monsieur Méchinet l’avait remarqué comme moi.

– Madame, répondit-il durement, je suis envoyé par la justice, je suis un agent du service de la sûreté.

À cette déclaration, elle se laissa d’abord retomber sur son fauteuil avec un gémissement qui eût attendri un tigre…

Puis, tout à coup, saisie d’une sorte d’enthousiasme, l’œil brillant et la lèvre frémissante: