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— Probablement pas. Tout se trouvait en ordre, voire dans un désordre familier au retraité. Le meurtrier est venu pour tuer, salement, bassement, mais uniquement pour tuer.

— Continue !

— Il n’a fait que précipiter la fin du vieillard ; le docteur Rapus a découvert que celui-ci allait claquer d’un cancer dans peu de temps car son foie n’existait pratiquement plus en tant que tel !

Je me renverse dans le fauteuil et, le regard perdu au plafond, je tente de coordonner mes pensées tumultueuses. Me dis que tout ça ne tient pas debout. Un gonzier se pointe à minuit chez le vieillard poltron ; se saboule pour une besogne salissante ; l’égorge et le saccage comme s’il entendait faire disparaître le corps dans la lunette des tartisses ! Et puis, plie bagage et s’emporte.

— La servante m’a déclaré que lorsqu’elle est venue prendre son travail, la lourde de cette chambre était entrebâillée.

— Et alors ?

— Ecoute, Xavier. Imagine ce dabe qui a les chocottes au point de proposer à sa femme de ménage de dormir à la maison les nuits de pleine lune, tu penses qu’il ne va pas se barricader ?

— Peut-être l’a-t-il fait ?

— Tellement bien que le meurtrier pénètre dans sa demeure, puis dans sa chambre sans effraction ?

Je me lève pour aller examiner la serrure. Banale. Mais intacte. Si elle se trouvait fermée à clé, le bonhomme a ouvert à celui qui allait devenir son assassin !

— Pourquoi pas ?

— Tu réfléchis un peu, sous tes cheveux rouges ? Le daron claque de trouille, pourtant, à minuit, on fait toc toc à sa porte et il va déponer ?

— Si l’arrivant lui inspirait confiance ? Attends ! Attends ! s’écrie-t-il. Qui nous dit que le meurtrier est arrivé à minuit ? Pourquoi n’aurait-il pas été là bien avant à la demande du père Lhours ? Suppose que le retraité qui claquait des dents les nuits de pleine lune ait prié quelqu’un de l’assister ?

— Il aurait sollicité ce service de celui qui allait devenir son meurtrier ?

— Un jour tu m’as dit que dans notre job TOUT était possible.

A quoi bon ergoter ? Pourquoi les choses ne se seraient-elles pas passées ainsi ?

— Tu as fouillé dans sa panoplie de vieux kroum à la retraite ?

— Méthodiquement.

— Alors ?

— Il était assez riche, certains papiers de banque attestent des placements se chiffrant par millions de nouveaux francs.

— Tu es sûr ?

— Tu regarderas toi-même ; je n’ai pas établi le total, mais ça va chercher dans les vingt-cinq briques.

— Pas mal.

— L’une de ses banques lui assurait une mensualité de dix mille francs. Il y a également des quittances de location de C.F. ; qui sait ce qu’ils renferment !

— De la famille ?

— Une fille qui a cinquante balais et vit sur la Côte d’Azur, au cap d’Antibes. Leurs rapports devaient être tendus car elle ne lui écrivait que pour mettre au point des choses officielles et sans user de formules affectueuses. Les bafouilles s’achèvent toutes par : « Croyez, père, en mes sentiments distingués. » Pas le genre saute-au-cou, comme tu peux voir.

— Bien, tranché-je, il est grand temps qu’on se fasse envoyer de la main-d’œuvre qualifiée pour une enquête au peigne fin. Moi je vais dire bonjour aux voisins.

8

FEU FOLLET

Je trouve qu’on n’a jamais bien écrit de la banlieue parisienne, de sa mélancolie grisâtre. Si : Utrillo l’a peinte. Il a su restituer ses maisons blafardes, suantes de mélancolie, ses rues qui viennent de nulle part et qui y vont sans se presser. Y a une douce fatalité dans tout ça. Un ennui qui s’ignore. Les destins sont plus chiants qu’ailleurs parce que plus tranquilles. Pas d’aventure, jamais, mais un cafard gentil, rongeur, qui grignote tout, mine de rien. On y couve d’aimables cancers, des asthmes irrécupérables, des infarctus peinards, à peine cahotiques. La vie conduit à la mort sans se presser. On y suit la marche du monde avec beaucoup de recul dans les colonnes du Parisien Libéré. La téloche du soir y fait moins de boucan que partout ailleurs. Ici, la nature est en pots. L’existence se déplace sur des patins de feutre. On glisse les cartes postales qu’on reçoit dans le cadre de la glace du salon-salle à manger. Les adultères s’y perpètrent sans heurts ; seuls, les enfants, de retour de l’école, mettent un peu d’animation passagère. Les graffitis y sont moins obscènes qu’à Paris. On y vit à l’écart de ce monstre, avec la conviction d’être épargné.

Les voisins « d’à côté » se nomment Margotton. Pierre et Yvette, c’est écrit en anglais sur une plaque émaillée et, sous leurs blazes, on peut admirer encore un bouquet de pensées défraîchies.

On ne répond pas à mon coup de sonnette. Pourtant il y a quelqu’un car la lourde est « grand toute verte », comme dit le seigneur de Béru.

Je hasarde mon tarbouif dans une modeste entrée que décorent un porte-parapluies de cuivre ayant la forme d’une botte et une vue reproduite sur écorce de liège représentant la Promenade des Anglais dans les années 30. Un escadrin de bois mène aux chambres, un vestibule à la salle à manger ainsi qu’à la cuisine.

Je vais pour lancer le célèbre : « Y a quelqu’un ? » qui est la réplique incontournable de tout usager aux entrailles turbulentes devant des chiches fermés. Mais j’aperçois à cet instant une chose inusitée au tournant de l’escalier… En l’eau cul rance, comme je dis puis, il s’agit d’une rigole de sang séché, d’un beau carmin noirâtre.

La curiosité me porte jusqu’à la sixième marche, ce qui me vaut de découvrir une femme à cheveux blancs qui, en guise de peigne, porte un hachoir à viande sur le sommet du crâne.

« Putain ! me dis-je en espagnol, ça va continuer jusqu’à quand, ce carnage ? »

Personne ne me répondant, je me hisse jusqu’à la morte (car la personne à la tronche fendue l’est de fond en comble) et vérifie le bien-fondé de mon estimation. Elle a passé de vie à trépas et ça n’a pas dû traîner car la lame du couperet est enfoncée dans sa coucourbe jusqu’à l’arête du nez, ce qui te prouve que le meurtrier n’y est pas allé avec une houpette de cygne.

J’enjambe la regrettée Yvette Margotton en franchissant quatre marches à la fois et poursuis mon exploration.

Un bruit rauque et lancinant me parvient de la pièce située au fond du couloir. M’y rends. Avise alors un vieux congre dans un lit de clinique très sophistiqué, avec plein de bistougnes électriques permettant de mouvoir cette couche par un simple jeu de touches. Le gonzier qui gît là n’a plus d’âge. Il est davantage que vioque, inrasé, égrotant, catarrheux, plombé, décharné, cradoche, nauséabond, glaireux, filandreux ; il a un œil tout blanc qui donne froid aux couilles, l’autre complètement tourné vers le Mont Palomar. Une mâchoire de saurien, des pommettes en cornes de taureau. Ses doigts noués sur son drap paraissent joints pour l’éternité.

Je me penche sur sa misère.

— Monsieur Margotton ! l’appelé-je gentiment.

Juste son râle qui me répond.

— Si vous m’entendez, battez des cils ! lui fais-je-t-il.

Mais autant lui demander de battre les tapis ! Je visionne son équipement et constate très vite qu’on a débranché les tuyaux qui l’alimentaient en ceci-cela. Pour te résumer la situasse, ce pauvre lavedu est dans l’état où se trouve un mérou à l’étal d’un poissonnier au lendemain de sa capture.

Que faire pour lui ? Quel pipe-line s’ajuste à tel ou tel cathéter ? Et puis, à quoi bon tenter de rafistoler cet agonisant désormais seul au monde ?

Etrangement, un sanglot de gorge me vient. Je voudrais pouvoir chialer sur l’humanité en déliquescence.