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Il cale ses avant-bras sur les accoudoirs du siège et respire un grand coup.

— Si tu trouvererais un’ goutte de quèque chose qui r’monte, Antoine, j’ t’en saurerais un plein pot d’ gré.

Je m’empresse d’aller fureter dans la cuisine et lui rapporte une boutanche de bordeaux tout juste entamée.

— T’es un frère ! me dit-il. Tu veuilles bien m’ soul’ver le bras afin qu’ j’ busse à la régalade ? Moui, commak, douc’ment, j’aye élégamment meurtri mon épaule.

Grâce à mon affectueuse assistance, il biberonne le solde de la boutanche.

— Pourquoi étais-tu venu nous chercher ? m’enquiers-je.

Il marque un soubresaut.

— Putain d’ell’ ! Av’c c’ te chute ça m’était sorti d’ l’esprit. Cours aux chiottes du reste-chaussé, Toine !

Je m’empresse. Ouvre la lourde desdits et reste abasourdi.

Auguste, le pote de Son Enfoirure, s’est pendu avec la tirette de la chasse d’eau, anormalement longue car, dans ces chiches anciennes, le réservoir est situé à plus de deux mètres du sol. Il est pudiquement tourné face au mur. Sa tronche est inclinée sur la droite, ses pieds sont en flèche.

— Aidez-moi, docteur !

Rapus soutient le veuf tandis que, monté sur la lunette des gouinssecas, j’arrache la chaînette.

Ensuite on étale le gars sur le carreau du vestibule.

Mon compagnon s’efforce de desserrer le lien de fer afin de rendre de l’oxygène au malheureux. Après quoi, il pose son oreille sur la poitrine du pendu.

— Comment slave va-t-il, les mecs ? crie le Mastard à la cantonade.

— Cela ne va plus, répond le légiste : il est mort.

Un silence.

Nouveau vent longue durée du Gros qui traduit l’intensité de son émotion.

Puis l’homme de Saint-Locdu de déclarer :

— Vous voudrez qu’ j’ vous dise ? C’est c’te baraque qui porte malheur !

6

PIED À TERRE

Jérémie Blanc qui s’est joint à Xavier Mathias, notre blondinet couleur coquelicot, me dit :

— Qui c’est, la gamine endormie dans ta Ferrari ?

— Une petite pécore qui s’est jetée dans mes bras, pour ainsi dire, et que je n’ai pas eu le temps d’embourber.

— Elle m’a paru mignonnette.

— Si le cœur t’en dit, je t’offre mon droit de cuissage.

Il semble ne pas prendre cette propose à la légère.

— Sans charres, grand ?

— Officiel. En repartant, raconte-lui que je suis coincé ici pour la journée et que tu vas la reconduire à Paname ; ce sera alors à toi de jouer ton va-tout !

Ses mirettes se mettent à tourniquer, comme les motifs d’un appareil à sous.

— Je te remercie, susurre-t-il de ses grosses lèvres à pneus ballon.

— Ça sera ton cadeau de Noël, ajouté-je ; je ne savais quoi t’offrir.

Il ricane :

— Tu t’y prends en avance, Noël n’est que dans sept mois !

— Comme ça, je suis certain de ne pas t’oublier, la date venue…

On plaisante, mais le cœur n’y est pas. Ça catastrophe trop autour de nous. La mort abominable du vieux, là-haut, nous hante. De telles visions sont difficiles à occulter. Il va me falloir en tirer des coups avant de me reconstituer un optimisme !

J’ai laissé embarquer le cadavre d’Augustin par Police-secours. Nos confrères, à ma requête, ont accepté de reconduire Sa Bérurerie béate jusqu’à son domicile car il est totalement bloqué des reins. Le légiste m’a confié, après son départ, qu’il craint fort que ce sac-à-poubelle se soit nazé une vertèbre. J’imagine mon pote dans une petite voiture électrique qu’il driverait d’un bistrot l’autre. Sale perspective !

— Elle est bizarroïde, cette affaire, murmure l’homme des savanes (dont il se fait l’écho).

— Très !

— Tu vois, les circonstances ont fini par me rendre aussi cartésien et con qu’un mec dit civilisé ; sinon je déclarerais que ce meurtre a une connotation surnaturelle.

— Tu penches pour un acte de sorcellerie ?

— Je n’ose pas te répondre oui, tu me traiterais d’ anthropophage.

Il enchaîne :

— Quand tu découvres un être humain à ce point saccagé, démantelé, écorché vif, sans que son environnement soit ensanglanté, ta raison patine, non ?

— Je le reconnais.

J’ajoute, du ton qu’a pris mon camarade Galilée pour affirmer : « Et pourtant elle tourne ! » :

— Néanmoins il y a forcément une explication à la chose ; à nous de la découvrir.

Puis, lui présentant un feuillet de mon calepin :

— Voici les coordonnées du vieux, mon gentil Scandinave. Tu vas retourner à la Grande Boutique des Horreurs et remuer le monde entier et sa banlieue pour me dresser un curriculum complet de Martin Lhours. Je veux tout savoir de son passé et de ce que fut son présent jusqu’à cette nuit. Carrière, femmes, enfants, famille éloignée, incidents de parcours. C’est pas un rapport qu’il me faut, mais une biographie. Depuis quand habitait-il cette maison, ses revenus, ses placements, ses maladies. Tout ! Tu m’entends bien ?

— Et si je n’y parviens pas tout seul ?

— Prends des nègres !

Il a un sourire apitoyé :

— Et dire que des gens s’imaginent que tu as de l’esprit !

Deux plombes qu’ils usinent de concert dans la chambre, Mathias et le légiste. Je respecte leurs travaux. Excepté les cantonniers et les artistes, les gens détestent qu’on les regarde marner.

Pendant qu’ils s’activent, moi je furète, mais sans résultat.

Le vieux conservait tout son matériel à vivre dans sa piaule, façon grigou. Harpagon couve toujours son trésor, comme une poule ses œufs. Contrairement à ce que l’on imagine, il les met dans le même panier afin de mieux les surveiller.

J’attends donc avec impatience la fin de leurs explorations. Suis un poulain ivre de liberté qui brûle d’aller gambader dans le corral. Je sais que l’examen de la chambre funéraire sera riche d’enseignements.

Une ambulance se pointe pour venir embarquer le corps ; c’est le doc qui l’a convoquée avec son biniou portable.

Les deux brancardiers sont un peu pâlichons des genoux en redescendant l’escadrin. Celui qui ouvre la marche se prend le pied dans le trou du tapis qui a été fatal à Béru et se file un déval à plat bide, avec, en prime, le cadavre du père Lhours sur les rognons.

Une fois en bas, il ne peut plus se relever biscotte une fracture du bassin. T’admettras que la scoumoune est de rigueur dans cette turne ! Un malaise croissant m’empare.

On remet l’assassiné sur sa civière, on aide le chauffeur à le placer dans son fourgon ; après quoi on s’occupe de coltiner le fracturé auprès de lui.

L’ambulancier-chauffeur, loin de compatir au sort de son équipier, l’invective de première. Il le traite de « branleur », de « branque », de « manche à burnes ». Assure que ce gus est pédé. Qu’il exploite les pissotières. Qu’il joue lui-même au brancard, au lieu d’être simplement brancardier. Qu’il a probablement le sida (il n’est que de voir les vilaines plaques qu’il a sur les bras). Lui, Michel, refuse de le subir davantage en tant qu’équipier. La semaine dernière, n’a-t-il pas laissé tomber un col du fémur de quatre-vingt-douze ans sur le trottoir et, la veille de Noël, il a voulu allumer une cigarette chez un suicidé au gaz, cet archicrétin !

Enfin, ils repartent.

Jusqu’au carrefour suivant où, dans son énervement, le conducteur emplâtre un camion de la voirie.

L’irascible chauffeur d’ambulance est tué. Son acolyte s’en tire avec une double fracture de la jambe gauche, en supplément au programme.