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Terry Pratchett

Le peuple du tapis

À Lyn, pour autrefois et pour maintenant.

NOTE DE L’AUTEUR

Cet ouvrage a deux auteurs et tous deux ne font qu’un.

Le Peuple du Tapis est paru en 1971. Il ne manquait pas de scories, principalement dues au fait qu’il avait été écrit par un auteur âgé de dix-sept ans.

Il s’est vendu doucettement et a fini par épuiser son tirage. Et ce fut tout.

Et puis, voilà sept ans, les histoires du Disque-Monde ont commencé à remporter un certain succès, et les gens qui les achetaient se demandaient toujours :

— Tiens, c’est quoi ce bouquin-là, Le Peuple du Tapis, du même auteur ?

Et les éditeurs en ont eu tellement marre de répéter qu’il n’y avait plus aucune demande pour ce titre qu’ils ont décidé qu’une nouvelle édition s’imposait.

En apprenant cela, Terry Pratchett, quarante-trois printemps, a déclaré :

— Hé là, minute ! J’ai écrit ça à l’époque où je croyais que les histoires de fantasy devaient traiter de batailles et de rois. De nos jours, j’incline à penser que la fantasy devrait plutôt se préoccuper de la façon dont on évite les batailles et dont on se dispense de rois. Et puisque c’est comme ça, je vais le réécrire…

Vous savez ce qui arrive quand on tire sur un fil qui dépasse…

Alors, voilà. Ce n’est pas exactement l’ouvrage que j’ai écrit à l’époque. Ce n’est pas exactement celui que j’aurais écrit aujourd’hui. C’est une collaboration, mais, hé hé hé, je ne suis pas obligé de céder à l’autre la moitié des droits d’auteur. De toute façon, il les gaspillerait. Vous l’aviez réclamé. Le voici. Merci. Soit dit en passant, la cité d’Uzure fait à peu près cette taille —›.

Terry Pratchett

15 septembre 1991

Dans le cours de ce roman, il sera utile au lecteur de savoir que la pièce anglaise d’un penny, grande comme notre pièce de dix centimes et de couleur bronze, porte sur l’avers le profil de la reine Elizabeth et, au revers, la gravure d’une porte fermée par une grille. (N.d.T.)

PROLOGUE

Ils s’étaient baptisés les Munrungues. Cela signifiait le Peuple, ou les Vrais Hommes.

C’est un titre dont tout le monde se gratifie, au départ. Et puis, un jour, une tribu en rencontre une autre et lui donne un nom : l’Autre Peuple, par exemple, ou, si la journée ne s’est pas bien passée, les Ennemis. Si seulement ils pouvaient avoir l’idée d’inventer un nom comme D’Autres Vrais Hommes, ils éviteraient bien des problèmes par la suite.

Non que les Munrungues soient en aucune façon primitifs. Forficule répétait toujours qu’ils possédaient un riche héritage culturel autochtone. Des histoires, il voulait dire.

Forficule connaissait toutes les vieilles légendes et un grand nombre de nouvelles, et il les leur contait, tandis que la tribu entière l’écoutait, captivée, et que les feux de camp croulaient en cendres dans la nuit.

Parfois, il semblait que même les poils imposants qui s’élevaient le long de la Palissade autour du village l’écoutaient. Ils semblaient venir plus près.

La plus vieille histoire était la plus courte. Il ne la racontait pas souvent, mais toute la tribu la connaissait par cœur. C’était une histoire narrée en bien des langues à travers le Tapis.

— Au Commencement, racontait Forficule, n’existait qu’une étendue plate à perte de vue. Alors vint le Tapis, qui couvrit les platitudes. Il était jeune en ce temps-là. Aucune poussière n’encrassait ses poils, qui étaient minces et droits, et non tordus et sales comme ils le sont de nos jours. Et le Tapis était désert.

« Alors vint la poussière, qui plut sur le Tapis, flottant entre les poils, s’enracinant dans les ombres des profondeurs. Il en vint davantage, neigeant avec lenteur, en silence, entre les poils qui attendaient, jusqu’à ce qu’une grande couche de poussière règne sur tout le Tapis.

« De la poussière, le Tapis nous a tous tissés. D’abord vinrent les petites créatures qui élisent domicile dans les combes et dans les hauteurs des poils. Puis vinrent les sorathes, les taraudeurs de trame, les trumpes, les chèvres, les pipegrome et les snargues.

« Désormais, la vie et le bruit régnaient de par le Tapis. Et la mort et le silence, aussi. Mais sur le métier de la vie, un fil manquait à la trame.

« Bien que regorgeant de vie, le Tapis n’en était pas conscient. Il était mais ne pensait point. Il ignorait même sa nature.

« Et c’est ainsi que nous fûmes produits par la poussière, nous, le Peuple du Tapis. Nous avons donné au Tapis son Nom, et nous avons nommé les créatures vivantes, et le motif s’est achevé. Nous étions les premiers à donner un nom au Tapis. Désormais, il était conscient de sa propre existence.

« Le grand Découdre, qui hait tout ce qui vit sur le Tapis, peut bien nous fouler aux pieds, les ombres nous envelopper, une grande vérité demeure : nous sommes l’âme du Tapis, nés de sa sourde envie de tisser.

« Bon, ça reste une simple métaphore, bien entendu, mais personnellement, ça m’épate toujours. Pas vous ?

1

La loi voulait que, tous les dix ans, le peuple de chaque tribu de l’empire dumii vienne se faire recenser.

Ils n’allaient pas jusqu’à Uzure, la grande capitale, mais se rendaient plutôt dans la petite ville fortifiée de Trégon Marus.

Le Recensement représentait toujours un événement majeur. La taille et l’importance de Trégon Marus doublaient en un seul jour, dès que les tribus dressaient leurs tentes au pied des remparts. C’était l’occasion d’un marché aux chevaux et d’une foire qui durait cinq jours, on retrouvait ses vieilles connaissances, on échangeait des flots de nouvelles.

Et il y avait le Recensement proprement dit. On consignait de nouveaux noms sur les rouleaux craquants qui, comme le peuple aime à le croire, étaient rapatriés à Uzure, jusqu’au grand palais de l’Empereur en personne. Les fonctionnaires dumiis recopiaient industrieusement l’inventaire des cochons, des chèvres et des trumpes que possédait chacun, et, l’un après l’autre, on passait à la table suivante pour acquitter l’impôt, en fourrures et peausseries. C’était le moment le moins populaire. Et ainsi la file s’allongeait-elle de par tout Trégon Marus, pénétrant par la porte d’Orient, passant par la poterne et les écuries, traversant la place du Marché, jusqu’à l’Hôtel des Comptes. On présentait aux clercs jusqu’aux plus jeunes nourrissons, afin que la danse des plumes gratte leur identité sur les parchemins. Nombre de nomades ont été affublés d’un nom bizarre parce qu’un clerc n’avait pas su l’orthographier correctement ; ce genre de choses s’est produit plus souvent qu’on ne le croit, au cours de l’Histoire.

Le cinquième jour, le gouverneur de la ville accordait audience à tous les chefs de tribu sur la place du Marché et prêtait l’oreille à leurs griefs. Il n’y remédiait pas toujours, mais au moins il y prêtait l’oreille et opinait considérablement du bonnet, ce qui contentait tout le monde, jusqu’à ce qu’ils rentrent chez eux en tout cas. Ainsi va la politique.

Voilà comment s’étaient toujours déroulées les choses, depuis des temps immémoriaux.

Enfin, le sixième jour, les gens retournaient chez eux en empruntant les routes construites par les Dumiis. Ils cheminaient vers l’est. Derrière eux, la voie filait vers l’ouest jusqu’à la ville d’Uzure. Là ce n’était plus qu’une des nombreuses routes qui aboutissent à la capitale. Au-delà d’Uzure, la route devenait la Route de l’Ouest, se rétrécissant et serpentant de plus en plus, jusqu’à ce qu’elle atteigne les marches les plus occidentales, comme Carpette.