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— Très bien, fit Brocando. Parfait. Les femmes ne se battront pas.

Snibril remarqua qu’il avait un sourire bizarre.

— De toute façon, il n’y a pas assez d’armes pour tout le monde, compléta Fléau.

— Mais le palais contient toute une armurerie ! s’exclama Biglechouette.

— Quand nous l’avons ouverte, il ne restait plus qu’une énorme brèche dans le sol, révéla Fléau. Les moizes s’en sont emparés.

— Alors, dans ce cas… commença Brocando.

— Vous allez suggérer que nous attaquions les moizes pour leur reprendre les armes, c’est ça ? coupa Fléau sur un ton glacial.

— Ben…

— Abstenez-vous-en, conclut Fléau. (Il frappa de la paume sur la table.) Ils sont là-bas dehors, dit-il, et ici en dessous. Je le sais. Ils attendent. Quand le grand Découdre aura frappé, ils passeront à l’attaque. C’est comme ça que les choses vont se dérouler. C’est comme ça qu’ils opèrent quand ils ne peuvent trouver de passage pour s’infiltrer à l’intérieur.

Snibril avait écouté toute cette discussion. Quand il prit enfin la parole, il eut l’impression de prononcer un discours déjà préparé. C’étaient les mots qu’il devait prononcer en ce moment.

— Je peux vous aider, annonça-t-il.

Tout le monde le regarda.

— Je perçois l’approche du grand Découdre, poursuivit-il. Je ne suis pas aussi doué que les moizes, mais plus que pas mal d’animaux.

— Exact, confirma le sergent Caréus. J’I’ai vu faire ça.

— Ma foi, ce serait utile, admit Fléau.

— Non, vous n’avez pas compris. Que font les moizes avant que ne frappe le grand Découdre ?

— Comment veux-tu que je le sache ? répondit Fléau. Ils se couchent et ils mettent leurs mains sur les yeux, s’ils ont deux sous de jugeote. Et après, ils attaquent sur-le-champ. (Il parut y réfléchir.) Quand ils s’attendent à trouver leurs ennemis écrasés, ajouta-t-il.

Snibril opina.

— Vous savez, ça pourrait bien marcher, déclara Forficule. Un homme averti en vaut deux.

Le silence régna. Puis Brocando intervint :

— Ça veut dire quoi, ça ? Qu’on pourra tenir deux fois plus d’épées ?

20

Ils remportèrent la victoire.

Et ce fut, peu ou prou, tout ce que racontèrent les livres d’Histoire, plus tard, quand on eut rebâti la nouvelle Uzure sur les décombres de l’ancienne. Les historiens s’intéressèrent davantage à l’élection au titre de Président de Fléau, que tous jugeaient honnête, brave et complètement dépourvu d’imagination. Les Dumiis avaient la plus grande méfiance pour l’imagination – ils disaient qu’elle rend les gens indignes de confiance.

Les gens qui écrivent l’Histoire n’étaient pas sur les lieux. Ils ne savaient pas comment ça s’était passé.

Ni toutes les autres façons dont ça aurait pu se passer.

D’abord, il y eut la question des armes. Bouffu s’en chargea. Prenez le cas des lances, par exemple. Ficelez un couteau de cuisine au bout d’un bâton, et vous ne verrez pas la différence. Surtout quand vous vous en retrouvez lardé. Et enfoncez une poignée de clous dans un morceau de poil : vous créez un modèle de massue pas snob le moins du monde… On peut cogner sur n’importe qui, avec. Les sergents firent s’aligner tous les hommes et les garçons valides et procédèrent à des démonstrations élémentaires.

Glurk passa beaucoup de temps à les aider. Bouffu décréta qu’il était un sergent-né. Allez savoir ce qu’il entendait par là.

Brocando se vit confier la garde des femmes et des enfants. Snibril crut lui voir un sourire trop large quand il accepta cette tâche. Et Fléau était partout à la fois, à donner des ordres. A dresser des plans. A superviser le travail spécial qu’on exécutait en toute hâte juste au pied des remparts.

Forficule et Biglechouette jouaient à un jeu. Il suffisait de déplacer de petites figurines de soldats sur un plateau composé de carrés. Forficule déclara qu’il y jouait parce qu’il se concentrait mieux de cette façon, et aussi parce que Biglechouette pariait gros et qu’il n’était pas très doué.

Snibril se sentit un peu en dehors de tout.

Il finit par retrouver Fléau, penché sur les remparts au-dessus d’une des portes principales, en train de contempler les poils. Il y avait toujours des sentinelles en faction, prêtes à sonner le clairon en cas d’attaque.

— On ne voit rien, signala Snibril. On a envoyé des patrouilles. Elles n’ont rien remarqué.

— Je ne cherchais pas les moizes, répondit Fléau.

— Ah, bon, et que cherchiez-vous, alors ?

— Hmm ? Oh. Personne.

— Une silhouette vêtue de blanc. Je l’ai vue, moi aussi.

— Il faut qu’elle veille pour que les choses se produisent… (Fléau sembla recouvrer sa détermination.) Je n’aime pas ça, dit-il d’un ton vif. C’est trop calme.

— Je préfère que ce soit ainsi plutôt que trop bruyant.

— Comment va ta tête ?

— Je ne sens rien.

— C’est sûr ?

— En pleine forme.

— Ah bon.

Fléau contempla les défenses spéciales. Tous ceux qu’on avait pu réunir y avaient œuvré, creusant des tranchées dans la poussière, qu’ils amassaient ensuite en une murette. Depuis les poils, on ne pouvait rien voir.

— Ce n’était que cela, Uzure, jadis, dit Fléau. Un fossé et un mur. Et des ennemis tout autour.

— Glurk pense que les moizes sont tous partis. Ils ont dû nous entendre. Mais pourquoi nous attaquent-ils, d’ailleurs ?

— Il faut bien que chacun s’occupe, répondit Fléau, morose.

— Regardez. Tout le monde est prêt. Enfin, aussi prêt qu’on le sera jamais. On a barricadé tous les orifices ! Que va-t-il se passer ? Vous avez jeté l’Empereur en prison ? Et après ?

— Tu crois qu’il y aura un après ?

— Il y a toujours un après, répliqua Snibril. Glurk m’a dit que Culaïna vous l’avait expliqué. Le but recherché est d’atteindre l’après qu’on souhaite.

Il se gratta l’occiput. Il sentait une démangeaison derrière l’oreille.

— Il y a des limites au temps pendant lequel nous pouvons rester prêts, fit observer Fléau.

Snibril se frotta à nouveau l’oreille.

— Fléau… !

— En supposant que nous soyons prêts. Après ce que tu avais raconté, je pensais que les Vivants nous prêteraient main-forte, mais ils se sont sauvés, tout simplement…

— Fléau… !

Fléau se retourna.

— Tu te sens bien ?

Snibril avait l’impression que l’on poussait ses deux oreilles vers le milieu de sa tête.

— Le grand Découdre ? demanda Fléau.

Snibril hocha la tête, et même ce mouvement était douloureux.

— Il nous reste combien de temps ?

Snibril tendit une main, tous les doigts tendus. Fléau se dirigea jusqu’à la sentinelle la plus proche sur le rempart et s’empara de son clairon. De la poussière sortit de l’embouchure lorsqu’il en sonna.

C’est drôle. Quand on a établi un signal d’alerte, que les gens le connaissent depuis des éternités et que le signal retentit pour la première fois… les gens ne réagissent pas comme ils le devraient. Ils vont, ils viennent en maugréant des choses comme Y a quelqu’un qui s’amuse avec le signal d’alerte ? ou Mais qui c’est qui fait sonner le signal d’alerte ? C’est expressément réservé aux cas d’alerte !

Ce qui se passa effectivement ici. En baissant les yeux, Fléau vit les rues remplies de gens intrigués, et il poussa un grognement.

— Ça commence ! hurla-t-il. Ça y est !