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— Mais vous devriez aller discuter, intervint Forficule. Ça vaut toujours la peine.

Finalement, ils s’avancèrent vers les moizes. Snibril reconnut leur chef, qui portait à présent une couronne de cristaux de sel et les considérait avec une mine impérieuse. Mais Fléau s’intéressait surtout à Gorma-liche, qui faisait partie du petit groupe.

— Eh bien ? s’enquit Fléau. Qu’avez-vous à nous dire ?

— Je m’appelle Jornariliche, répondit le moize couronné. Je vous offre la paix. Vous ne pouvez pas vaincre. Le temps joue en notre faveur.

— Nous avons beaucoup d’armes et beaucoup de soldats pour les manier, répliqua Fléau.

— Et la nourriture ? demanda Jornariliche.

Fléau ignora la question.

— Et quelle paix nous proposez-vous ?

— Jetez vos armes. Ensuite, nous reprendrons les pourparlers.

— Que je commence par jeter mon épée ? demanda Fléau, comme s’il prenait cette offre en considération.

— Oui. Vous n’avez pas le choix. (Le regard de Jor-nariliche passa sur leurs visages.) Aucun d’entre vous. Acceptez mes conditions, ou vous mourrez. Vous mourrez ici, tous les six, et le reste de vos gens ne tardera pas.

— On ne peut pas l’écouter ! éclata Snibril. Et Périlleuse ? Et la Terre de la Grand-Porte ?

— Jeter mon épée, murmura pensivement Fléau. L’idée est séduisante, je l’avoue.

Il tira son épée et la brandit.

— Gormaliche ? dit-il.

La vitesse rendit flou le bras de Fléau. L’épée fendit les airs comme un poignard, frappant le moize en pleine gorge. Gormaliche chut en silence, les yeux grands ouverts par l’horreur.

— Voilà, conclut Fléau. C’est ainsi que nous jetons nos épées, à Uzure. Je l’avais prévenu, mais il n’a pas voulu m’écouter.

Il fit faire volte-face à son cheval et repartit au galop vers la ville, suivi par les autres qui tentaient de se maintenir à sa hauteur. Jornariliche n’avait pas bougé un muscle.

— Ce n’était pas une attitude très dumiie, remarqua Forficule. Vous m’avez surpris.

— Non, j’ai surpris Gormaliche. Toi, tu as simplement été étonné, précisa Fléau. Il était en train de tirer son épée, tu n’as pas vu ?

— Ils préparent une nouvelle charge, les avertit Glurk.

— Je suis surp… étonné qu’ils n’aient pas tenté de creuser des tunnels dans la Trame, fit remarquer Forficule.

— Certains d’entre eux s’y sont essayés, le rassura Glurk avec une mine satisfaite. Ils ont débouché sous les pieds de l’escouade de Bouffu. Voilà une tactique qu’ils ne sont pas près de rééditer.

Fléau se retourna pour considérer les visages inquiets des défenseurs.

— Leur nouvelle charge, donc, dit-il. Nous leur donnerons des raisons de s’en souvenir. Préparez les pones. Nous utiliserons tous les moyens à notre disposition.

— Tous ? répéta Brocando. Entendu !

Il s’éloigna sur son poney le long de la tranchée.

Ils patientèrent.

— Au fait, combien de nourriture nous reste-t-il ? demanda Snibril au bout d’un moment.

— Quatre ou cinq repas pour chacun, répondit Fléau, l’air absent.

— Ce n’est pas beaucoup.

— Cela suffira peut-être, répondit Fléau.

Ils attendirent encore.

— Le pire, c’est d’attendre, fit observer Forficule.

— Non, pas du tout, intervint Biglechouette (à qui nul n’avait osé confier une épée). Je pense que le pire, c’est de se faire planter dans le corps de grandes épées bien affûtées. L’attente, c’est simplement ennuyeux. Quand j’emploie le terme ennuyeux, je veux dire…

— Les voilà, annonça Glurk en ramassant sa lance.

— Ils se sont réorganisés, observa Fléau. Ils ont réuni toutes leurs forces en un seul point. Très bien. Quelqu’un aurait une épée en trop ?

Au bout du compte, il y a des gens qui se battent. Charges, contre-attaques. Des flèches et des lances partout. Des épées qui taillent de petits morceaux dans les gens. Après coup, les historiens tracent des cartes où ils disposent des petites surfaces colorées et de grandes flèches trapues pour indiquer que c’est en ce point que les Fulgurognes ont surpris tout un groupe de moizes, ici que les pones ont piétiné des snargues, que les armes non conventionnelles de Bouffu se sont laissé piéger et n’ont dû leur salut qu’à la charge résolue d’un détachement munrungue. Et parfois, figurent des croix – c’est en ce point que Fléau fit périr un chef moize, là que Biglechouette estourbit une snargue par accident.

Les cartes ne peuvent mettre en évidence la peur, le bruit, la surexcitation. Après, les choses se passent mieux. Parce que, s’il y a un après, ça signifie que vous avez survécu. Une fois sur deux, personne ne sait ce qui s’est passé avant que tout ne soit terminé. Et parfois même, on ne sait pas qui a gagné avant que les comptes ne soient achevés…

Snibril se faufila et s’ouvrit à l’épée un chemin dans la mêlée. Les moizes semblaient être partout. L’un d’eux lui infligea une estafilade à l’épaule, et le Munrungue ne s’en aperçut qu’après.

Brusquement, il se retrouva dans un espace dégagé, cerné par les moizes, l’épée brandie…

— Attendez.

Jornariliche, le chef des moizes, était là, une patte levée.

— Pas tout de suite. Veillez à ce qu’on ne nous dérange pas. (Il baissa les yeux vers Snibril.) Vous vous trouviez là-bas, avec les autres. Et vous avez essayé de sauver le petit Empereur dodu. Je suis curieux de savoir pour quelle raison vous vous battez encore ? Votre cité n’est plus que ruines. Vous ne pouvez remporter la victoire.

— Uzure ne sera pas en ruine tant que nous n’aurons pas cessé de combattre, répondit Snibril.

— Vraiment ? Comment cela se fait-il ?

— Parce que… Parce que si Uzure existe quelque part, c’est dans la tête des gens.

— En ce cas, nous allons être obligés de voir si nous la trouvons, répliqua Jornariliche sur un ton lourd de menaces.

Un barrissement monta derrière lui, et le groupe s’égailla quand une pone affolée traversa le champ de bataille. Snibril plongea vers la sécurité. Quand il regarda à nouveau, le moize était retourné au combat.

Les défenseurs étaient bel et bien en train de perdre le combat. On le sentait dans l’air. Pour chaque moize qui mordait la poussière, deux autres prenaient sa place.

Il descendit le long d’une pente et retrouva Fléau qui tenait deux ennemis en respect. Quand Snibril atterrit, un des moizes mordit la poussière. Un revers régla le compte du second.

— Nous sommes en train de perdre, annonça Snibril. Il faudrait un miracle.

— Ce ne sont pas les miracles qui remportent les victoires, rétorqua Fléau. (Une nouvelle demi-douzaine de moizes apparut autour des ruines d’une bâtisse.) Les effectifs supérieurs et des tactiques plus élaborées…

Une sonnerie de clairon monta derrière eux. Les moizes firent volte-face.

Une nouvelle armée avançait. Elle n’était pas très importante, mais elle était résolue. Brocando la menait. On entendait ses cris dominer le vacarme.

— Madame ! Tenez ça par l’autre bout ! Allons, allons, mesdames, ne poussez pas ! Attention avec cette lance, vous risquez de blesser quelqu’un…

— Ce n’est pas le but recherché, jeune homme ? demanda une vieille dame très comme il faut, qui n’aurait jamais dû se trouver à proximité d’un champ de bataille.

— Non, madame. Le but, vous l’atteindrez mieux avec l’autre bout, le bout pointu, de l’autre côté.

— Alors poussez-vous donc, jeune homme, que je puisse m’en servir.