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— Tu as l’air de connaître mes dettes ?

— Je les connais quelque peu, répondit négligemment le Phénicien. Tu dois envoyer six talents à l’armée de l’Est ; nos banquiers de Chetem et de Migdole s’en chargeront. Tu dois trois talents à Nitager ; et trois autres à Patrocle ; je ferai cela sur place … Quant à Gédéon et à Sarah, je leur ferai verser le nécessaire par ce brigand d’Azarée. Cela vaudra mieux ainsi pour toi : sinon, ils essaieraient de te voler.

Ramsès se mit à parcourir la pièce à pas nerveux.

— Tu veux donc une reconnaissance de dette pour trente talents ? demanda-t-il.

— Une reconnaissance de dette ? Mais pourquoi donc ? Que veux-tu que j’en fasse ? Voyons, il te suffira de me donner pour trois ans la gérance de tes domaines de Takens, Sès, Neha-Ment. Neha-Pechu, Sebt-Het et Habu …

— T’en donner la gérance dit le prince. Cela ne me plait guère.

— Mais, alors, comment veux-tu que je récupère mes trente talents ?

— Attends quelques jours. Je dois d’abord demander à mon comptable combien rapportent ces domaines.

— Tu n’as pas besoin de le demander, et d’ailleurs ton comptable sera incapable de te répondre. Chaque année, la récolte est différente et différents les revenus. Je pourrais y perdre, et ce n’est pas le comptable qui me dédommagera !

— Oui, mais vois-tu, j’ai la conviction que ces domaines rapportent bien plus de dix talents chaque année …

— Tu n’as pas confiance en moi, seigneur ? Soit. Je renonce au domaine de Sès … Tu te méfies encore ? Bon. J’abandonne celui de Sebt-Het … Mais nous n’avons que faire du comptable. C’est lui qui va t’enseigner ce que tu dois faire, peut-être ? Par Astoreth ! Je ne supporterais pas qu’un employé fit des remarques à mon seigneur ! Nous n’avons besoin ici que d’un scribe qui notera que tu me cèdes pour trois ans tel et tel domaine ; il faudra aussi seize témoins pour témoigner qu’un pareil honneur m’incombe … C’est tout …

Le prince, excédé, haussa les épaules.

— Apporte l’argent demain, dit-il au Phénicien. Trouve aussi un scribe et des témoins. Je ne veux pas m’occuper de tout cela.

— Tu es la sagesse même ! Puisses-tu vivre éternellement l s’écria le Phénicien.

Chapitre IX

Sur la rive gauche du Nil, à l’extrémité de la banlieue Nord de Memphis, s’étendait la propriété que le prince héritier avait mise à la disposition de Sarah, fille de Gédéon.

C’était un domaine d’une vingtaine d’hectares, de forme carrée, disposé en gradins. La partie située dans le bas et inondée régulièrement par les crues du Nil, était consacrée à la culture du blé et des légumes. Un peu plus haut, là où les crues n’arrivaient pas toujours, on avait planté des palmiers et des arbres fruitiers. Dans le haut, enfin, se trouvaient un jardin, de la vigne ainsi que la maison.

Celle-ci était à un étage, en bois, munie comme toujours d’une terrasse surmontée d’une tente de toile. Au rez-de-chaussée logeait un esclave noir de Ramsès, à l’étage, Sarah avec sa servante Tafet. La maison était entourée d’un mur de pierres au-delà duquel on apercevait les étables et les communs. L’appartement de Sarah était petit, mais luxueux. Le sol était couvert de tapis ; aux portes et aux fenêtres flottaient des tentures de tissu à lignes multicolores. Le mobilier se composait de lits, de chaises, de coffres sculptés, de petites tables à trois pieds sur lesquelles étaient placés des vases pleins de fleurs, des cruchons de vin, des flacons de parfum, des coupes d’or et d’argent, Tout était exquis d’élégance, de goût et de grâce.

Sarah habitait depuis dix jours déjà dans cette retraite, s’y cachant des hommes par peur et par honte ; en fait, les domestiques ne l’avaient même jamais vue. Elle passait ses journées à coudre, à tisser du drap ou à faire des couronnes de fleurs pour Ramsès. Parfois, elle allait sur la terrasse et, écartant prudemment le rideau de la tente, elle regardait le Nil couvert de barques où retentissait un harmonieux chant d’hommes ; ou bien elle levait les yeux avec crainte sur les sombres pylônes du palais royal, qui se dressaient, silencieux et menaçants, de l’autre côté du fleuve. Alors, elle retournait en hâte à son travail et faisait venir auprès d’elle Tafet.

— Assieds-toi ici, disait-elle ; qu’as-tu donc à faire en bas ?

— Le jardinier a apporté les fruits et nous avons reçu du pain et du vin de la ville ; j’ai dû en prendre livraison.

— Reste près de moi et parle-moi, car j’ai peur …

— Tu es une enfant ! répondait en riant Tafet. Le premier jour, moi aussi j’avais peur ; mais cela n’a pas duré, car que craindrais-je alors que tous, ici, sont à genoux devant moi ? Pour toi, c’est sur la tête qu’ils marcheraient ! Va donc voir comme le jardin est beau. Fais un tour dans les champs où on récolte le blé ! Monte dans la barque dorée qui t’attend et fais-toi promener sur le Nil !..

— J’ai peur !

— Mais de quoi donc ?

— Je n’en sais rien. Tant que je couds, j’ai l’impression d’être à la maison ; je crois entendre père … Mais lorsque le vent écarte les tentures et que je vois ce pays étranger, j’ai l’impression qu’un faucon m’a ravie et amenée dans son aire, que je ne pourrai plus jamais quitter !..

— Quelle enfant ! répéta Tafet. Si tu voyais quelle baignoire de cuivre t’a envoyée ce matin le prince ! Et quels cruchons merveilleux !

Après le coucher du soleil, à l’abri de l’obscurité, Sarah reprenait courage et passait de longues heures sur la terrasse à regarder le fleuve. Lorsqu’enfin apparaissait au loin une barque illuminée de torches, qui laissaient sur l’eau des traînées de sang, Sarah sentait son cœur vaciller. C’était Ramsès qui venait à elle, et elle eût été incapable de dire ce qu’elle éprouvait. Était-ce la joie d’attendre cet homme si beau qui, quelques jours plus tôt, l’avait séduite d’un seul regard ? Était-ce la crainte de revoir son maître et seigneur ?

Un jour, son père vint la voir. C’était sa première visite. Sarah avait couru vers lui en pleurant, l’avait embrassé, lui avait lavé les pieds, l’avait parfumé. Gédéon était un homme grand et maigre, aux traits durs.

— Tu es enfin là, s’était écriée Sarah, et elle s’était remise à lui couvrir les mains de baisers.

— Je m’étonne moi-même d’être ici, répondit tristement Gédéon. Je suis entré comme un voleur et tout le long du chemin il m’a semblé que les Égyptiens me montraient du doigt et que les Juifs crachaient sur mon passage.

— Mais, père, tu m’as toi-même donnée au prince ! murmura Sarah.

— Que pouvais-je faire d’autre ? D’ailleurs, je me trompe en croyant que maintenant on me méprise. Les Égyptiens que je connais me saluent très bas ; notre maître Sesofris parle d’agrandir ma maison ; le seigneur Chaires m’a offert un baril de vieux vin, et notre nomarque lui-même m’a fait demander si tu étais en bonne sauté et si je ne voulais pas devenir son régisseur.

— Et les Juifs ? demanda Sarah.

— Les Juifs ? Ils savent que je n’ai pas cédé de bon gré, et d’ailleurs chacun d’entre eux voudrait qu’on lui fît une telle violence … Dieu seul est juge ! Dis-moi plutôt comment tu vas ? acheva-t-il.

— Elle ne pourrait être mieux sur le sein d’Abraham ! dit Tafet. Toute la journée, on nous apporte du vin, des fruits, de la viande, tout ce que nous pouvons désirer. Et quelle baignoire nous avons ! Toute en cuivre !