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« J’avais pensé que nous pourrions dîner ensemble, ce soir..., à moins que vous ne soyez engagée ailleurs, bien entendu. »

Il faisait cette proposition avec la vague idée de l’embarrasser, tant s’affirmait sa conviction qu’elle se rendait à un rendez-vous urgent. Il lui sembla un instant qu’il avait réussi. Une ombre de contrariété passa sur le visage d’Olga et ses yeux se détournèrent.

« Si j’avais su... mais, écoutez... »

Elle s’était reprise aussitôt. Il ne s’était pas trompé en lui attribuant une maîtrise peu commune. « J’allais retrouver une camarade de ma boutique, qui vient justement de me téléphoner. » Ceci était un mensonge flagrant. Il éprouva une intense satisfaction à constater qu’elle n’était pas impeccable, malgré son habileté, à cause même de sa subtilité qui la poussait à mentionner la première cette conversation téléphonique, dont il pouvait avoir perçu l’écho. Mais elle avait parlé trop vite. Ce n’était pas de l’extérieur qu’on avait appelé. La sonnerie était parfaitement audible d’une chambre à l’autre et il était sûr de ne pas l’avoir entendue. C’était une bévue de sa part, qu’il était trop bon observateur pour laisser passer. Il marquait une touche dans cette sorte d’escrime qu’ils inauguraient ce soir. C’était elle qui avait appelé, croyant sans doute Martial sorti avec Herst. Ce mensonge le confirma dans l’idée que cette communication était louche.

« Je comprends fort bien, dit-il assez hypocritement. Si vous avez promis...

— Mais je ne tiens pas du tout à aller voir cette amie.

Donnez-moi un instant et je me décommande... Si, si, je vous assure que j’ai très envie d’être avec vous ce soir.

— Dans ce cas... »

Elle l’embrassa de nouveau et se dirigea vers le téléphone, hésitant un peu comme il était encore sur le pas de la porte. Il fut tenté de rester là pour l’embarrasser, mais cette attitude risquait d’éveiller ses soupçons, ce qu’il désirait éviter pardessus tout. De plus, cela ne servirait à rien. Il la devinait assez adroite pour trouver une échappatoire et éluder cette conversation en sa présence. « Je vous attends au bar. » Il s’éloigna dans le couloir. Une ombre apparut sur le mur, en face de la chambre restée ouverte : elle s’assurait qu’il prenait bien l’ascenseur. Il ne tenta pas de l’épier, mais, parvenu au rez-de-chaussée, se dirigea le plus rapidement possible vers le réduit où siégeait la standardiste, une vieille amie à lui, qu’il connaissait depuis plus de vingt ans, depuis l’époque où il avait commencé à séjourner dans cet hôtel entre deux voyages. Elle était alors femme de chambre. Depuis, percluse de rhumatismes, ce poste de téléphoniste lui permettait de continuer à gagner sa vie.

Gaur lui avait rendu plusieurs services, lui prêtant de l’argent dans les moments difficiles et prenant gratuitement des photos avantageuses d’une de ses nièces qui voulait faire une carrière dans le cinéma. Il pouvait être capable de gestes charitables quand le métier n’était pas en cause. Elle ne pouvait rien lui refuser.

« Passe-moi le casque. Oui, la chambre 23. Je veux écouter ce qu’elle raconte.

— Qu’est-ce que ça peut te fiche ? Tu es jaloux ? Ce n’est pourtant pas ton genre, »

Sa liaison était connue de tout le personnel de l’hôtel.

Devant son insistance, elle eut un geste réprobateur, puis haussa les épaules, lui montra le casque et détourna les yeux.

« Fais ce que tu voudras. Moi, je ne vois rien. »

Avant de saisir le sens des paroles, Gaur eut un sursaut d’étonnement. La voix de l'homme qui parlait à Olga lui était familière. Il était sûr de l'avoir entendue dans un passé très proche. Ce fut sa première impression mais il hésitait encore à assigner un nom au mystérieux correspondant, tant cela lui paraissait burlesque. La voix était impérieuse avec des accents grinçants désagréables.

« ... Donc, vous ne pouvez pas me rencontrer ce soir. Bien.

Je vous laisse libre d'agir pour le mieux. »

Martial sursauta encore et la vieille standardiste lui lança un coup d'œil inquiet. Le nom du correspondant s'imposait à chaque nouvelle parole.

Olga parla à son tour, « Je n'ai pas cru devoir refuser son invitation. Il faut le mettre en confiance. Et puis, j'apprendrai peut-être d'autres détails, qui m'ont échappé ce soir. Je n'ai pas pu tout entendre. »

La voix masculine la coupa avec brusquerie…

« Inutile de reparler de cela maintenant. Vous m'avez dit l’essentiel tout à l'heure. Je vous répète que Je ne fais pas d'objections. C'est à vous de prendre vos responsabilités. »

C'était Verveuil ! Il n'y avait plus de doute possible, Martial reconnaissait non seulement voix, mais le style ampoulé,

« Donc, à demain », continua Verveuil. « En attendant, je vais prendre quelques dispositions. Demain, une heure, sur un banc du Luxembourg, côté rue Guynemer, après le croquet.

— D'accord. »

L'entretien était terminé. Martial Gaur reposa le casque et gagna rapidement le bar, après avoir donné une tape amicale à la téléphoniste en guise de remerciement. Il s'assit sur un tabouret, l'air absent, sans même remarquer le salut du barman.

Que diable signifiait ceci ? Dans quelle aventure rocambolesque était-il donc engagé ? Cela avait toute l'allure d'une conspiration. Pour quelle entreprise ténébreuse Olga était-elle associée à Verveuil ? C'était celui-ci, sans aucun doute, qui avait lancé la jeune fille sur ses traces; beaucoup de détails lui revenaient en mémoire qui confirmaient tous cette opinion : sa rencontre prétendue fortuite avec cet imbécile quelque deux mois auparavant, son insistance à savoir son adresse, à connaître son genre de vie et à renouer des relations. C'était un peu plus tard qu'Olga s'était installée à l'hôtel, probablement parce que Verveuil avait compris qu'il n'entrerait jamais dans le cercle de ses familiers, avec la mission évidente de pénétrer dans son intimité, de l'espionner, d'écouter ses conversations avec ses amis, avec... Avec Herst, surtout. Cela devenait de plus en plus clair. La conversation à laquelle elle faisait allusion au téléphone était certainement celle qu’il venait d’avoir avec le gorille.

C’était pour en rendre compte à son complice, à son chef plus probablement, qu’elle l’avait appelé aussitôt après, lui fixant un rendez-vous pour le soir même. Qu’avaient-ils donc dit de si important ? Herst n’avait cessé de s’étendre sur ses soucis professionnels, sur l’alarme que lui causaient les apparitions en public du chef de l’Etat, et surtout la cérémonie du mariage pour la semaine prochaine. Bon Dieu !...

Il en était là de ses réflexions et de ses déductions quand Olga apparut sur le seuil du bar. Il se leva pour l’accueillir et la regarda s’approcher de lui. Ses lèvres minces, à la courbure à peine perceptible, étaient adoucies par un sourire tendre, son visage embelli par l’éclat inaccoutumé que prenaient parfois ses yeux sombres, dans lesquels il put lire seulement le plaisir qu’elle se promettait de passer une soirée avec son amant.

VIII

ASSISE sur un banc du Luxembourg, près d’une des pelouses réservées aux amateurs de calme le long de la rue Guynemer, Olga Poulain grignotait un sandwich, émiettant de temps en temps quelques bribes de pain pour les moineaux qui voletaient autour d’elle. Il n’y avait que peu de promeneurs à cette heure. Les bancs proches du sien étaient inoccupés. Les quelques habitués de ce havre conservaient entre eux des distances raisonnables, comme respectueux d’une convention tacite.