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Cette atmosphère de paix n’empêcha pas Verveuil de lancer des regards soupçonneux autour de lui et de faire deux fois le tour de la pelouse, avec une nonchalance affectée, avant de venir s’asseoir à côté d’elle. Elle feignit de ne lui accorder aucune attention pendant son manège, s’appliquant à observer des consignes reçues de lui, même si la puérilité de celles-ci lui paraissait évidente. Olga n’éprouvait aucune considération pour Verveuil, qu’elle jugeait à sa juste valeur, mais le fanatisme de cet imbécile servait ses desseins. Ils n’avaient en fait qu’un sentiment en commun, une haine farouche envers le même personnage. La source de cette haine était très différente pour chacun d’eux, mais celle-ci suffisait à les associer pour une action commune.

Elle se força à ne pas tourner son regard vers Verveuil quand il s’assit et à conserver toute sa patience pour jouer la comédie qu’il lui imposait à chacun de ses rendez-vous. Il commença par cligner de l’œil trois ou quatre fois, puis risqua quelques remarques banales sur le temps, auxquelles elle ne répondit pas tout d’abord, ne le faisant que sur son insistance et avec une froide réserve, comme une femme abordée par un inconnu. Ce ne fut qu'après plusieurs minutes de ce manège quelle parut s’amadouer. Alors, il se rapprocha un peu d’elle et ils engagèrent une conversation à mi-voix, sans qu’il cessât de surveiller les alentours.

« Donc, Herst est venu hier soir. Il a été question de la cérémonie et vous avez pu entendre une partie de leur conversation.

— J’ai presque tout entendu.

— Racontez. L’essentiel d’abord. »

Elle rapporta l’entretien entre les deux amis, insistant sur l’essentiel, comme il le désirait, qui était pour eux la cérémonie du mariage présidentiel, les mesures de sécurité et les confidences inquiètes du gorille.

« Ce ne peut être plus clair. Malarche veut se montrer à découvert. Il posera pour les photographes à la sortie de l’église, au premier rang du cortège. Cela durera plusieurs minutes et les gardes du corps devront se tenir éloignés pendant tout ce temps. Une cible immanquable, de l’aveu même de Herst.

D’autre part, il y a beaucoup de flottement parmi les responsables de la sécurité, qui ne sont pas d’accord sur les mesures à prendre. Nous ne retrouverons jamais une occasion pareille. »

Verveuil écoutait, l’air important, le sourcil autoritaire.

« Cela semble se présenter assez favorablement, dit-il enfin.

Mais Herst a-t-il tout de même donné quelques précisions sur ces mesures ?

— Oui. Seront étroitement surveillées toutes les maisons qui sont situées sur la place même de l’église et à l’entrée de l’avenue qui lui fait face. Pour les autres rues rayonnantes, ils ne s’occuperont que des façades offrant une vue sur le parvis.

Aucune n’est dans ce cas dans la rue qui nous intéresse. Elle sera complètement négligée. On n’y peut voir l’église d’aucune fenêtre.

— Mais on la voit très bien de l’échafaudage, »murmura Verveuil en baissant encore la voix, et après s’être assuré une fois de plus que personne ne pouvait les entendre. « Je l’ai vérifié moi-même, hier encore.

— On la voit de l’échafaudage et c’est notre chance. Mais aucun policier n’est capable de songer à cela.

— C’est votre opinion.

— C’est mon opinion, et n’oubliez pas que j’ai connu des policiers dans ma vie, dit-elle d’une voix dure. Ils sont tous les mêmes : des brutes et des imbéciles, qui appliquent des consignes sans réfléchir... D’ailleurs, continua-t-elle en changeant de ton, le plan définitif a dû être mis au point hier soir, au cours d’une conférence. Je le connaîtrai, sinon par l’écoute, du moins par Gaur lui-même, pour qui Herst n’a pas de secret et qui devient de plus en plus familier avec moi. Il m’a répété hier soir tout ce qui avait été dit au cours de leur entretien et m’a même donné d’autres détails qui m’avaient échappé. C’est un sujet de conversation qui semble le divertir et il n’y a qu’à le laisser aller. »

« La garce ! » murmura Martial Gaur entre ses dents.

Assis

sur

un

tabouret,

dans

une

camionnette

hermétiquement close à l’exception d’une très petite ouverture, garée dans la rue Guynemer le long du jardin, Gaur appliquait son œil depuis un quart d’heure à la lunette d’un étrange instrument, braquée par ses soins sur le banc occupé par les deux complices. La camionnette lui avait été prêtée par un ami, technicien de la télévision. Elle servait en général à tourner des scènes pour la « caméra invisible » et ce n’était pas la première fois que Gaur l’empruntait. Il l’avait utilisée pour prendre certaines photos, alors qu’il désirait passer inaperçu. Mais ce n’était pas une caméra que dissimulait aujourd’hui le véhicule, c’était un appareil aussi indiscret, mais beaucoup moins courant. Il se présentait sous la forme d’une botte parallélépipédique, de la dimension d’une machine à écrire ordinaire, portant à l’avant une sorte d’entonnoir, lui-même surmonté par la lunette de visée. L’entonnoir n’était autre que le pavillon d’un microphone extrêmement sensible, appelé par certains spécialistes « ultra-directionnel ». La boîte renfermait un amplificateur puissant. La lunette servait à placer avec précision le pavillon en direction de la bouche dont on désirait écouter les paroles.

Cet instrument n’était guère utilisé que dans les milieux de la police et des services secrets, mais le vieux Tournette en possédait un échantillon, acquis sans regarder à la dépense assez lourde, possédé par sa manie de collectionneur qui devenait une véritable frénésie avec l’âge et qui s’étendait à tous les appareils comportant un système optique quelconque, même sans rapport avec la photographie. Il l’avait prêté ce matin à Martial, se contentant de la vague explication que celui-ci lui donnait distraitement, à savoir le micro « ultra-directionnel »

lui serait précieux pour obtenir des renseignements en vue d’un cliché sensationnel. Le vieillard ne pouvait résister à un argument de ce genre, Gaur le savait bien. Il lui avait confié sa pièce de musée, après lui en avoir expliqué le mode d’emploi, qui était simple, avec une foule de détails théoriques sur le fonctionnement, dont Martial n’avait que faire.

Ce qui l’intéressait, c’est qu’une bonne écoute était garantie jusqu’à deux cents mètres, en principe. Dans la pratique, il était plus sûr de ne pas dépasser la moitié de cette distance. C’était le cas ici, et il ne perdait pas une parole des conspirateurs, malgré leur soin de ne pas élever la voix.

« La garce, répéta-t-il ! Et naïve, avec cela. Elle me prend pour un idiot. »

La veille au soir, pendant le dîner, il avait en effet rapporté son entretien avec Herst, sans omettre aucun détail, mais ce n’était certes pas ingénuité de sa part. Tandis qu’il discourait ainsi avec complaisance, il s’attachait à épier les indices de son attention et de son désir d’en apprendre davantage, désir qu’elle dissimulait de son mieux sous une apparente indifférence, en évitant de poser des questions. Toutes les plaisanteries qu’il faisait sur le métier de son ami et sur sa présente inquiétude n’étaient que des ballons d’essai pour tenter de surprendre du coin de l’œil ses réactions à elle.