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Peu impressionnant physiquement, Eamon Valda avait dans le regard la dureté des hommes qui s’attendent à être obéis – comme si c’était l’ordre naturel des choses. Bien campé sur ses pieds bottés, la tête droite, il rayonnait d’autorité dans le tabard blanc et or qui couvrait son plastron doré. Un vêtement de soie plus richement brodé que tous ceux que Pedron Niall avait pu porter durant sa vie entière. Également en soie, sa cape blanche arborait des deux côtés le soleil des Fils de la Lumière, et on retrouvait ces motifs sur sa tunique tout aussi blanche. Sous un bras, il tenait un casque doré lui aussi orné du soleil – sur le front – et un saphir jaune décoré d’un astre diurne étincelant brillait sur la chevalière d’or qu’il arborait au majeur de son gantelet renforcé de fer. Un autre témoignage de reconnaissance des Seanchaniens.

Tandis que Galad et ses compagnons mettaient pied à terre puis le saluaient, un poing sur le cœur, Valda plissa presque imperceptiblement le front. Au pas de course, des palefreniers vinrent soulager les quatre visiteurs des rênes de leur monture.

— Pourquoi n’es-tu pas en chemin pour Nassad, Trom ? demanda Valda sans cacher sa désapprobation. Les autres seigneurs capitaines doivent avoir déjà fait la moitié de la route, à l’heure qu’il est.

Aux rendez-vous avec les Seanchaniens, Valda arrivait toujours en retard, sans doute pour affirmer l’indépendance des Fils de la Lumière. Qu’il soit déjà prêt au départ avait de quoi surprendre. À l’évidence, cette rencontre devait être très importante. Cela dit, le chef des Fils faisait toujours en sorte que les autres officiers de haut rang soient ponctuels, même quand ça impliquait de partir avant l’aube. Apparemment, il n’était pas recommandé de trop jouer avec la patience des nouveaux maîtres des Fils. Car chez les Seanchaniens, la méfiance envers ces alliés récents restait de mise.

Trom ne trahit en rien la gêne qu’aurait dû éprouver un homme promu depuis moins d’un mois.

— Une affaire urgente, seigneur général, dit-il calmement en s’inclinant juste ce qu’il fallait – et pas un pouce de plus ou de moins que l’exigeait le protocole. Un Fils placé sous mes ordres accuse un des nôtres d’avoir maltraité une femme de sa famille. Il réclame un Jugement Sous la Lumière, que la loi vous autorise à accorder ou à refuser.

— Une étrange requête, mon enfant, fit Asunawa, les mains croisées et la tête inclinée.

Sans laisser à Valda le temps de répondre, le Haut Inquisiteur ne dissimulait pas son affliction. À l’évidence, l’ignorance de Trom lui brisait le cœur. Mais des charbons ardents semblaient briller dans ses yeux.

— En général, c’est l’accusé qui demande un tel jugement, laissant aux épées le soin de trancher. D’après ce que je sais, ça arrive surtout quand il sait que les preuves l’accableraient. Quoi qu’il en soit, voilà quatre cents ans qu’on n’a plus requis une telle procédure. Donne-moi le nom de ce sale type, et je me chargerai de lui…

Le regard toujours brûlant, le Haut Inquisiteur ajouta d’un ton glacial :

— Nous sommes au milieu d’étrangers… Pas question de les laisser apprendre que l’un des nôtres est capable d’actes répugnants.

— Asunawa, lâcha Valda, c’est à moi que s’adressait la requête.

Dans le regard du seigneur général, c’est de la haine qu’on aurait cru identifier. Mais il détestait peut-être simplement qu’on parle à sa place. Rejetant en arrière un pan de sa cape, il dévoila le pommeau et la longue poignée de son épée, posa la main dessus et se redressa de toute sa hauteur. Toujours prêt à en rajouter pour la postérité, il parla (déclama, plutôt) d’une voix assez puissante pour qu’on l’entende à l’intérieur du manoir :

— Beaucoup de nos anciennes coutumes devraient reprendre vie, j’en suis convaincu, et cette loi n’a jamais été abrogée. Venue du fond des âges, elle ne le sera jamais ! La Lumière dispense la justice parce qu’elle est la justice. Trom, dis à ton homme qu’il pourra lancer son défi, et affronter à l’épée le Fils qu’il accuse. Si ce dernier refuse, je tiendrai sa réaction pour un aveu de culpabilité, et il sera pendu sans autre forme de procès. Comme le prescrit la loi, ses biens et son grade reviendront à son accusateur. Telle est ma décision.

Ses derniers mots, Valda les ponctua d’un regard noir pour l’Inquisiteur. Après tout, entre eux, il était peut-être bien question de haine.

Trom s’inclina de nouveau.

— Seigneur général, l’accusé, vous venez de l’informer vous-même de ce qui l’attend… Damodred, à toi de parler !

Le sang de Galad se glaça dans ses veines. Pas de terreur, mais à cause du vide qui l’envahissait. Quand Dain, à demi soûl, avait répété les vagues rumeurs parvenues à ses oreilles, puis quand Byar, à contrecœur, avait affirmé qu’il ne s’agissait pas de rumeurs, Galadedrid Damodred avait éprouvé une rage dévorante – de celles qui font perdre la raison, quand on n’y prend pas garde. Si son cœur n’explosait pas le premier, s’était-il dit, ce serait son cerveau. Désormais, exempt de toute émotion, il était froid comme une lame.

Comme Trom, il s’inclina à la perfection. Une grande partie de ce qu’il avait à dire était codifiée par la loi, mais le reste, il devrait le choisir soigneusement, pour préserver la mémoire d’une femme qui lui était chère.

— Eamon Valda, Fils de la Lumière, je réclame contre toi un Jugement Sous la Lumière. Et ce pour avoir infligé des outrages et des blessures à Morgase Trakand, la reine d’Andor, avant de lui ôter la vie.

Personne n’avait pu confirmer que Morgase, la femme que Galad tenait pour sa mère, était morte. Pourtant, comment aurait-il pu en être autrement ? Une dizaine d’hommes affirmaient qu’elle avait disparu de la Forteresse de la Lumière avant que celle-ci tombe entre les mains des Seanchaniens. Une dizaine d’autres juraient que la reine n’était pas en mesure de s’en aller de son propre gré.

Valda ne tressaillit pas sous l’accusation. Son sourire aurait pu manifester une certaine compassion face à la folle accusation de Galad, mais il exprimait trop de mépris pour ça. Alors qu’il allait répondre, Asunawa lui brûla de nouveau la politesse :

— C’est ridicule, fit-il, plus affligé que furieux. Arrêtons ce fou et découvrons à quel complot des Suppôts il participe. Encore une infamie visant à discréditer les Fils de la Lumière.

Sur un geste de leur chef, deux Confesseurs firent un pas vers Galad. Un sourire cruel sur les lèvres, l’un jubilait tandis que l’autre, impassible, se contentait d’exécuter ses basses œuvres.

Les deux hommes ne firent pas plus d’un pas.

Dans toute la cour, le bruit de l’acier qui coulisse dans du cuir retentit. Alors que la plupart des hommes tiraient à demi leur épée, une dizaine la dégainèrent carrément puis laissèrent retomber leur bras le long de leur flanc.

Tentant de disparaître, les palefreniers se firent aussi petits que possible. S’ils l’avaient osé, ils auraient pris leurs jambes à leur cou.

Asunawa regarda autour de lui, n’en crut pas ses yeux et serra les poings. Bizarrement, Valda lui-même semblait troublé. Après sa tirade, il ne s’attendait sûrement pas à ce que les Fils acceptent l’arrestation de Galad. Et s’il l’avait espéré en secret, il n’en montra rien.

— Vous voyez, Asunawa, dit-il, presque guilleret. Les Fils m’obéissent et respectent la loi, pas les caprices d’un Inquisiteur. (Il tendit son casque à un Fils.) Jeune Galad, je conteste tes accusations, et je te ferai ravaler tes mensonges. Car tu es un menteur, ou un crétin qui gobe les ignominies répandues par les Suppôts des Ténèbres ou d’autres ennemis des Fils de la Lumière. Quoi qu’il en soit, puisque tu as souillé mon honneur, je relève ton défi. Nous nous battrons, et je te tuerai.