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Valda attendit qu’il se soit retourné pour dégainer sa propre lame – si vite qu’on eut à peine le temps de voir qu’il la faisait passer de sa dextre à sa sénestre, puis la prenait à deux mains avant d’avancer de nouveau, toujours en exécutant le Chat qui Traverse le Jardin.

Levant sa lame, Galad avança lui aussi. D’instinct, il adopta une démarche probablement influencée par son état d’esprit. On nommait ce phénomène « le Vide », et il fallait un œil sacrément exercé pour voir qu’il ne se contentait pas de marcher mais conservait un équilibre parfait à chaque milliseconde de sa progression.

Valda ne devait pas son épée au héron à du favoritisme. Cinq maîtres de la lame, pas moins, l’avaient regardé évoluer avant de voter pour lui à l’unanimité. Un seul désaccord, et tout aurait été perdu. Pour obtenir une épée au héron, le seul autre moyen, c’était de tuer en duel un adversaire qui en portait une.

À l’époque de sa cooptation, Valda était plus jeune que Galad. Mais ça ne changeait rien. Le fils adoptif de Morgase n’était pas focalisé sur la mort du seigneur général. À dire vrai, il n’était plus focalisé sur rien. Mais il désirait cette mort, même s’il lui fallait pour ça exécuter le Fourreau de l’Épée, autrement dit accepter que la lame au héron lui traverse le corps. Si c’était requis pour atteindre son objectif, il y était prêt.

Valda ne perdit pas de temps en préludes. Dès que Galad fut à sa portée, Cueillir la Pomme sur une Branche Basse fendit l’air en direction de son cou, comme si le seigneur général avait bel et bien l’intention de le décapiter presque sans y penser.

Contre cette attaque, il existait plusieurs défenses, toutes devenues instinctives au fil d’un entraînement exigeant. L’avertissement de Byar dérivant dans son esprit – sans compter que Valda l’avait prévenu de ses intentions –, Galad ne tomba pas dans le piège. Alors que Cueillir la Pomme devenait la Caresse du Léopard, il s’écarta et plongea en avant.

Quand sa lame rata d’un souffle la cuisse gauche de Galad, Valda écarquilla les yeux – d’autant plus lorsque Entailler la Soie laissa une marque sanglante sur son avant-bras droit.

Vif comme l’éclair, il passa aussitôt à l’Envol de la Colombe – si vite que Galad dut bondir en arrière pour ne pas y perdre un bras. De justesse, il para l’attaque avec le Roi Pêcheur qui Tourne autour de la Mare, mais il avait eu chaud.

Comme s’ils exécutaient un ballet, les deux hommes multiplièrent les figures d’escrime. Un Lézard dans le Buisson d’Épineux dévia un Éclair à Trois Dents, et une Feuille au Vent para une Anguille au Milieu des Nénuphars.

Dans la foulée, Deux Lièvres Bondissants s’opposèrent au Colibri qui Étreint le Chèvrefeuille.

Tout ça avec grâce et souplesse, comme lors d’une démonstration.

Galad multiplia les attaques, mais Valda, dut-il admettre, était vraiment rapide comme une vipère.

Les Danses du Grand Tétras gratifièrent Galad d’une entaille sur l’épaule gauche et le Faucon Rouge qui Chasse une Colombe lui valut la même punition sur le bras droit – pas une estafilade, cette fois, mais une plaie plus profonde.

S’il n’avait pas réagi par une Pluie dans les Hauts Courants, un Fleuve de Lumière aurait pu aisément lui coûter un bras.

Dans le vacarme de l’acier, le ballet mortel continua. Combien de temps ? Galad n’aurait su le dire. En de pareilles circonstances, seul comptait l’instant. Quoi qu’il en fût, il aurait juré que Valda et lui se déplaçaient comme s’ils étaient immergés, la résistance de l’eau ralentissant leurs mouvements.

Bien qu’il transpirât d’abondance, le seigneur général souriait toujours, pas le moins du monde perturbé par son avant-bras blessé. La seule plaie qu’il eût récoltée jusque-là.

De la sueur ruisselait aussi sur le front de Galad, faisant piquer ses yeux. Et sur son bras touché, du sang dégoulinait. Au bout du compte, ses blessures le ralentiraient, si ce n’était pas déjà fait. Les pires zébraient sa cuisse gauche, et il sentait son pied baigner dans le sang au fond de sa botte. Depuis peu, il boitillait, et ça deviendrait plus grave au fil du temps. Si Valda devait mourir, il fallait que ce soit très bientôt.

Délibérément, Galad prit une profonde inspiration, puis une autre, comme s’il avait du mal à s’oxygéner. Que Valda le croie donc à bout de souffle !

Moins vite qu’il l’aurait voulu, Enfiler l’Aiguille fondit sur l’épaule gauche du seigneur général. Parant d’un Envol de l’Hirondelle, Valda enchaîna aussitôt avec des Bonds du Lion.

Galad encaissa une troisième entaille sur la cuisse gauche. S’il voulait abuser son adversaire, il ne devait surtout pas se montrer plus rapide en défense qu’en attaque.

En inspirant comme un soufflet de forge, il multiplia les Enfiler l’Aiguille, toujours avec la même cible. Par pure chance, il évita de récolter d’autres plaies pendant ces passes d’armes.

Ou la Lumière brillait-elle pour de bon sur ce combat ?

Le sourire de Valda s’élargit. À l’évidence, il croyait son adversaire au bout du rouleau, donc à sa merci. Alors que Galad repartait à l’assaut, beaucoup trop lentement, le futur vainqueur exécuta un Envol de l’Hirondelle d’un parfait académisme.

Mobilisant ce qui lui restait d’énergie, Galad modifia sa figure. Son Faucher l’Orge fit mouche, entamant la chair sous les côtes du seigneur général.

Un instant, Valda ne sembla pas remarquer qu’il était touché. Avançant d’un pas, il esquissa l’Avalanche le Long de la Falaise, ou quelque chose d’approchant. Puis ses yeux s’arrondirent, il vacilla, lâcha son épée et tomba à genoux.

Enfin, il porta les mains à son ventre et tenta de retenir les entrailles qui s’en déversaient. La bouche ouverte, il riva sur Galad des yeux déjà vitreux. Quoi qu’il ait eu l’intention de dire, ce fut du sang qui jaillit de ses lèvres. Puis il bascula en avant et ne bougea plus.

D’instinct, Galad inclina sa lame pour la débarrasser du fluide vital du vaincu. Après, il l’essuya sur la belle tunique blanche du seigneur général.

Le combat fini, la douleur qu’il bloquait revint au galop. Son épaule et son bras blessés l’élançaient et sa cuisse gauche semblait en feu. Avait-il mimé l’épuisement, ou en était-il au bord ? Ce duel, combien de temps avait-il duré ?

Certain que venger sa mère l’emplirait de joie, Galad n’éprouvait pourtant qu’un grand vide. La mort de Valda ne suffirait pas. Pour le consoler, il aurait fallu que Morgase Trakand revienne à la vie.

Soudain, il entendit des sons rythmiques. Levant les yeux, il vit que les Fils de la Lumière l’applaudissaient en tapant sur leur épaule cuirassée. Tous, à part Asunawa et ses Confesseurs – parce qu’ils n’étaient plus là.

Byar accourut avec un petit sac de cuir. Très délicatement, il écarta la manche fendue du vainqueur.

— Il faudra des points de suture, marmonna-t-il, mais ça pourra attendre.

S’agenouillant près de Galad, il sortit des bandages de son sac et entreprit de panser la cuisse trois fois entaillée.

— Là aussi, il faudra recoudre. Mais jusque-là, tu ne saigneras pas à mort…

Des Fils approchèrent pour féliciter le vainqueur. Les hommes à pied au premier rang et les cavaliers au deuxième, aucun n’accorda un regard au cadavre du vaincu – à part Kashgar, qui ramassa l’épée au héron et l’essuya sur la tunique déjà souillée du mort.

— Où est parti Asunawa ? demanda Galad.

— Il s’est éclipsé quand tu as ouvert le ventre de Valda, répondit Dain, nerveux. Il doit filer vers le camp, pour en ramener des Confesseurs.

— Non, dit un Fils. Il est parti dans l’autre sens, vers la frontière.

En direction de Nassad, située juste au-delà.

— Pour rejoindre les seigneurs capitaines…, fit Galad.

Trom acquiesça.

— Damodred, aucun Fils ne permettrait aux Confesseurs de t’arrêter à cause de ce qui vient d’arriver. Sauf si un seigneur capitaine en donne l’ordre. Et quelques-uns le feraient, je crois.

Des grognements coururent dans les rangs. À l’évidence, les hommes n’étaient pas prêts à une telle infamie. Les mains levées, Trom calma le jeu :

— Vous y seriez obligés, dit-il. Sinon, ce serait de l’insubordination.

Un lourd silence suivit cette déclaration. Dans les rangs des Fils, il n’y avait jamais eu de mutinerie. Jusqu’à ce jour, en tout cas, car potentiellement, on n’en était pas loin.

— Galad, je vais rédiger le document attestant que les Fils de la Lumière t’accordent l’immunité. Quelqu’un pourra toujours ordonner ton arrestation, mais il faudra te mettre la main dessus, et tu auras beaucoup d’avance. Asunawa n’aura pas rattrapé les seigneurs capitaines avant des heures. Si certains se rallient à lui, ils arriveront ici après la tombée de la nuit.

Galad secoua rageusement la tête. Trom disait juste, mais tout ça… sonnait faux. Oui, quelque chose clochait.

— Garantiras-tu l’immunité à tous les hommes ici présents ? Asunawa trouvera un biais pour les accuser, tu le sais très bien. Et protégeras-tu les Fils qui refusent d’aider les Seanchaniens à conquérir notre continent au nom d’un homme mort depuis plus de mille ans ?

Plusieurs Tarabonais échangèrent un regard et acquiescèrent. D’autres Fils les imitèrent, et tous ne venaient pas d’Amadicia.

— Et les héros qui ont défendu la Forteresse de la Lumière ? Un document suffira-t-il à les libérer de leurs chaînes et à interdire aux Seanchaniens de les faire trimer comme des bœufs ?

Les grognements se multiplièrent. Ces prisonniers étaient un point sensible pour tous les Fils.

Les bras croisés, Trom étudia Galad comme s’il venait de le rencontrer.

— Que proposes-tu, dans ce cas ?

— Eh bien, que les Fils trouvent quelqu’un – n’importe qui ! – qui combat les Seanchaniens, et qu’ils s’allient à lui. Ainsi, au lieu d’aider l’ennemi à traquer les Aiels et à s’emparer de nos nations, les Fils de la Lumière participeront à l’Ultime Bataille.

— N’importe qui ? répéta d’une voix de fausset un Cairhienien nommé Doirellin.

Personne ne se moquait jamais du timbre de ce gaillard. De petite taille, Doirellin était au moins aussi large que haut, et il n’avait pas une once de graisse. Entre ses doigts, il pouvait craquer quatre noix en même temps sans le moindre effort.

— Ça inclut les Aes Sedai ?

— Quand on veut participer à Tarmon Gai’don, il faut être prêt à combattre aux côtés de ces femmes.

À cette idée, Bornhald grimaça de dégoût, et il ne fut pas le seul. Toujours penché sur Galad, Byar se redressa à demi, puis se remit à l’ouvrage.

Cela dit, personne n’émit d’objection. Doirellin hocha pensivement la tête, comme s’il n’avait jamais envisagé les choses sous cet angle.

— Je n’aime pas non plus ces sorcières, marmonna Byar sans relever les yeux.

Du sang suintait des bandages qu’il enroulait consciencieusement.

— Mais vous savez ce que disent nos Préceptes… Pour combattre un corbeau, il faut s’allier avec le serpent… jusqu’à la victoire.

Les hommes acquiescèrent avec un bel ensemble. Le « corbeau » symbolisait le Ténébreux, mais c’était aussi l’emblème de l’Empire seanchanien.

— Je me battrai aux côtés des sorcières, dit un Tarabonais élancé. Et aussi de ces Asha’man dont tout le monde parle – s’ils se dressent contre les Seanchaniens. Même chose lors de l’Ultime Bataille. Et gare à tout homme qui m’accusera d’avoir tort !

Le Tarabonais défia son petit monde du regard, histoire de prouver qu’il ne plaisantait pas.

— On dirait que les choses vont dans ton sens, seigneur général, dit Trom en s’inclinant devant Galad – avec bien plus de conviction que face à Valda. Jusqu’ici, en tout cas. Qui sait ce qui arrivera cet après-midi, et plus encore demain ?

À sa grande surprise, Galad éclata de rire. La veille, il aurait juré que ça ne lui arriverait plus jamais.

— Ta plaisanterie n’est pas très bonne, Trom…

— C’est ce que prescrit la loi. Valda l’a proclamé à voix haute. En outre, tu as eu le mérite de dire tout haut ce que beaucoup pensaient tout bas, moi compris. Ton plan pour les Fils de la Lumière, mon ami, est le meilleur que j’aie entendu depuis la mort de Pedron Niall.

— Ça ne rend pas la plaisanterie moins mauvaise…

Quoi que « prescrive » la loi, cette partie des textes n’était plus en vigueur depuis la fin de la guerre des Cent Années.

— Nous verrons ce qu’en diront les Fils, fit Trom avec un grand sourire. Ce qu’ils répondront quand tu leur demanderas de te suivre pour combattre avec les sorcières lors de l’Ultime Bataille.

Les hommes se tapèrent de nouveau sur l’épaule – plus fort qu’à l’issue du duel. Quelques-uns commencèrent, puis tous les imitèrent, y compris Trom.

Tous, sauf Kashgar. S’inclinant humblement, il tendit à Galad l’épée au héron glissée dans son fourreau.

— Elle est à toi, désormais, seigneur général.

Galad soupira d’accablement. Avec un peu de chance, cette absurdité serait terminée lorsqu’ils atteindraient le camp. Y retourner était assez imprudent pour ne pas ajouter au défi une folle revendication. Très vraisemblablement, Galad et ses compagnons seraient dégradés et mis aux fers, si on ne décidait pas de les battre à mort.

Mais Galadedrid Damodred devait retourner au camp. C’était la seule option honorable.