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Avant qu’il ait pu formuler la première question, le regard de Max lui fit comprendre que pour avoir des explications, si tant est qu’il en recevrait un jour, il lui faudrait patienter longtemps. Quels qu’aient pu être les événements qu’ils avaient vécus, Maximilian Carver sut, comme cela nous arrive parfois dans la vie sans qu’il soit besoin de paroles ou de raisons, que derrière le regard triste de ses enfants il y avait la fin d’une étape de leur vie qui ne reviendrait jamais.

Avant d’entrer dans la maison de la plage, Maximilian Carver plongea son regard dans l’abîme sans fond des yeux d’Alicia qui contemplait, absente, la ligne de l’horizon comme si elle espérait y trouver la réponse à toutes les questions ; des questions auxquelles ni lui ni personne n’aurait pu répondre. Soudain, et silencieusement, il se rendit compte que sa fille avait grandi et qu’un jour, probablement proche, elle entreprendrait un nouveau cheminement, en quête de ses propres réponses.

La gare était plongée dans le nuage de vapeur qu’exhalait la machine. Les derniers voyageurs se pressaient pour monter dans les wagons et faire leurs adieux aux familles et aux amis qui les avaient accompagnés sur le quai. Max observa la vieille horloge qui leur avait souhaité la bienvenue au village et constata que, cette fois, ses aiguilles s’étaient définitivement arrêtées. Le groom du train s’approcha de Max et de Victor Kray la paume tendue dans l’intention non dissimulée de recevoir un pourboire.

— Les valises sont dans le train, monsieur.

Le gardien du phare lui tendit quelques pièces et le groom s’en alla en les comptant. Max et Victor Kray échangèrent un sourire, comme si cette diversion les avait amusés et que leur séparation n’était qu’un banal au revoir.

— Alicia n’a pas pu venir, parce que… commença Max.

— Ce n’est pas nécessaire. J’ai bien compris, le coupa le gardien du phare. Dis-lui adieu pour moi. Et prends bien soin d’elle.

— Je le ferai.

Le chef de gare donna un coup de sifflet. Le train était sur le point de partir.

— Vous ne me direz pas où vous allez ? demanda Max en désignant le train qui attendait sur la voie.

Victor Kray sourit et tendit la main au garçon.

— Où que j’aille, jamais je ne pourrai me sentir loin d’ici.

Le sifflet retentit de nouveau. Victor Kray restait le seul voyageur encore sur le quai. Le contrôleur attendait au pied de la porte du wagon.

— Je dois y aller, Max, dit le vieil homme.

Max l’étreignit avec force et le gardien du phare lui rendit la pareille.

— Ah, j’oubliais, j’ai quelque chose pour toi.

Max accepta la petite boîte que lui remit le vieil homme. Il l’agita doucement : quelque chose tintait à l’intérieur.

— Tu ne l’ouvres pas ?

— J’attends que vous soyez parti.

La gardien du phare haussa les épaules.

Il se dirigea vers son wagon et le contrôleur lui tendit la main pour l’aider à monter. Lorsqu’il eut gravi la dernière marche, Max courut subitement vers lui.

— Monsieur Kray !

Le vieil homme lui renvoya son regard, l’air amusé.

— J’ai été heureux de vous connaître, monsieur Kray.

Victor Kray lui sourit une dernière fois et se frappa doucement la poitrine avec son index.

— Moi aussi, Max. Moi aussi.

Lentement, le train s’ébranla. La traînée de vapeur qu’il laissait derrière lui finit par disparaître au loin et pour toujours. Max resta sur le quai jusqu’au moment où ce qui n’était déjà plus qu’un point sur l’horizon devint définitivement invisible. Alors, seulement, il ouvrit la boîte que le vieil homme lui avait donnée et découvrit qu’elle contenait un trousseau de clefs. Il sourit. C’étaient les clefs du phare.

Épilogue

Les dernières semaines de l’été apportèrent des nouvelles de cette guerre dont tous disaient qu’elle ne pourrait plus durer longtemps. Maximilian Carver avait inauguré son horlogerie dans un petit local proche de la place de l’église et, en peu de temps, il ne restait plus d’habitant dans le village qui n’eût rendu visite au petit bazar de merveilles du père de Max. Irina était complètement guérie et ne semblait pas se rappeler l’accident dont elle avait été victime dans l’escalier de la maison de la plage. Elle et sa mère avaient l’habitude de faire de longues promenades sur le sable à la recherche de coquillages et de petits fossiles qui, l’automne venu, ne manqueraient pas de faire l’admiration de ses nouvelles camarades de classe.

Max, fidèle au legs du gardien du phare, allait chaque soir à bicyclette allumer le faisceau de lumière qui devait guider les bateaux jusqu’au lever du jour. Il montait jusqu’au couronnement et, de là, contemplait l’océan, tout comme l’avait fait Victor Kray pendant presque toute sa vie.

Durant une de ces soirées au phare, il découvrit que sa sœur Alicia revenait régulièrement sur la plage à l’endroit où s’était élevée la cabane de Roland. Solitaire, elle s’asseyait près du rivage et laissait passer silencieusement les heures. Ils ne se parlaient plus jamais comme ils l’avaient fait au cours des journées qu’ils avaient partagées avec Roland, et Alicia n’évoquait jamais ce qui s’était passé cette nuit-là dans la baie. Max avait respecté son silence dès le premier moment. Quand vinrent les derniers jours de septembre qui annonçaient le début de l’automne, le souvenir du Prince de la Brume paraissait s’être définitivement effacé de leur mémoire comme un rêve à la lumière du jour.

Souvent, lorsque Max observait sa sœur en bas, sur la plage, il pensait aux paroles de Roland, quand son ami lui avait avoué sa crainte que ce ne soit son dernier été au village s’il était appelé à l’armée. Désormais, même si le frère et la sœur n’échangeaient pratiquement pas un mot à ce sujet, Max savait que le souvenir de Roland et de cet été où ils avaient découvert ensemble la magie et ses maléfices ne cesserait de les accompagner et les unirait pour toujours.